La mer Morte agonise. Chaque année, son niveau diminue de plus d’un mètre. Comme le lac Tchad et la mer d’Aral, elle a perdu un tiers de sa surface en quelques décennies. En cause, la surexploitation du Jourdain, sa principale source d’alimentation, mais aussi les vacanciers qui viennent y flotter en toute insouciance et les industriels qui puisent ses sels minéraux pour en faire de l’engrais ou des cosmétiques. Un projet pharaonique a été imaginé pour renflouer le bassin : la construction d’un canal reliant la mer Rouge à la mer Morte : 180 kilomètres de long, 5 mètres de large, un dénivelé de plus de 400 mètres. L’ouvrage est de ceux qui fascinent. De nombreuses interrogations pèsent cependant sur sa faisabilité, au niveau tant technique - la voie fluviale sera située sur une faille sismique - qu’environnemental.
Nourrie par le Jourdain
« La mer Morte est extrêmement salée, tout le monde le sait, mais elle est nourrie depuis des temps immémoriaux par les eaux douces du Jourdain. Apporter tout à coup de l’eau de mer pourrait avoir des conséquences fâcheuses, comme la création de gypses ou le développement d’algues vertes », note Anne Bringault, présidente de l’ONG les Amis de la terre, très active sur ce dossier. « Le risque pour la nature existe, mais les études de réalisation viennent de démarrer. Elles doivent durer deux ans, nous en saurons plus à ce moment-là », relativise Moussa Jama’ani, responsable du projet pour la Jordanie. Coordonnées par la Banque mondiale, les investigations ont été lancées début juin. Elles sont financées, entre autre, par la France, le Japon et les Pays-Bas.
Avec 2,5 millions d’euros sur un budget total d’environ 7 millions, l’Hexagone est le premier contributeur de l’étude. « La France a des intérêts à tous les niveaux de ce projet, de la construction du canal à celle d’un barrage en passant par le développement de complexes touristiques dans la région », souligne Anne Bringault. Nicolas Sarkozy, actuellement en visite au Proche-Orient (lire page 4), est attendu sur les lieux du futur chantier. Accompagné d’un certain nombre d’entrepreneurs. « Nous serons du voyage, confirme-t-on chez Suez. Nous sommes très intéressés, d’autant que c’est notre filiale à 100%, Coyne et Bellier, qui a remporté l’appel d’offres pour l’étude de faisabilité. Ce projet comporte beaucoup d’aspects différents, et nous avons justement beaucoup de compétences, en matière de dessalement, de production d’électricité, de génie civil ou encore de distribution d’eau potable. » Les recherches préliminaires, donc, sont largement financées par la France, réalisées par une société française dont la maison mère - également française - pourrait ensuite participer aux travaux.
Electricité, eau, tourisme...
A l’Elysée, on refuse de commenter. Tout comme à l’Agence française de développement (AFD), chargée par les autorités de subventionner l’enquête de faisabilité. Tout au plus admet-on que les enjeux sont multiples.
« Ce projet de canal a plusieurs objectifs, relève Myriam Kawabiki, coordinatrice régionale pour la Jordanie et l’Egypte à l’AFD. Le premier est évidemment de remplir la mer Morte, un patrimoine exceptionnel. Le deuxième est de produire de l’électricité ; la mer fermée étant située à 400 mètres en dessous du niveau zéro, la pression de l’eau drainée depuis la mer Rouge permettra de faire tourner une centrale. Le troisième est l’augmentation des ressources en eau douce dans une région qui en manque cruellement, puisqu’une partie du liquide détourné sera dessalé. Le dernier, enfin, est politique. Ce canal fait travailler ensemble trois acteurs ayant des relations compliquées : Israël, la Jordanie et l’Autorité palestinienne. »
Un cinquième élément pourrait être ajouté : le développement de complexes touristiques le long de la voie. « Israël ambitionne de faire fleurir le désert, de créer des lacs artificiels, des hôtels de luxe et des casinos aux abords du canal. Autant de projets très gourmands en eau et en énergie, qui vont créer des tensions supplémentaires », déplore Anne Bringault.