Préambule : Comment penser au conflit ?
Comment penser au conflit israélo-palestinien ?
Attention : le « comment y penser ? » précède le « qu’en penser ? »
Avant de parvenir à quelque conclusion significative que ce soit, - et bien certainement avant de prendre parti -, nous devons être clairs sur la façon d’appréhender le problème.
Commencer de façon normative serait une erreur. Il faut porter un jugement moral. Je ne me ferai certainement pas l’avocat d’une idée contraire. Mais il ne faut pas commencer par porter des jugements moraux.
Décerner des blâmes pour cause d’atrocités n’est pas un bon point de départ.
Dans tout conflit violent, il arrive que les deux côtés, - et c’est souvent le cas -, commettent des atrocités épouvantables : Tuer et mutiler au hasard des innocents désarmés, détruire leurs maisons, les priver de leurs moyens d’existence.
Et, bien sûr, toutes ces atrocités doivent être condamnées.
Oui, il est tout à fait aisé de montrer qu’Israël commet des atrocités à bien plus grande échelle, incommensurablement plus grande, que ses opposants palestiniens (ou autres arabes).
Mais, en soi, cela n’est pas une base suffisante pour prendre parti. Israël fait beaucoup plus de mal, commet des atrocités plus horribles parce qu’il le peut : il est beaucoup plus fort. Il a une énorme machine de guerre, une des plus grandes dans l’absolu et la plus formidable par rapport à sa taille.
C’est pourquoi le bilan des atrocités ne signifie pas forcément qu’Israël a tort.
De même, se demander « qui a commencé ? » n’est d’aucune aide.
Chaque côté prétend se venger des crimes que l’autre a perpétrés. Les médias parlent de « cycle de la violence », en fait ce n’est pas véritablement un cycle, c’est une spirale.
Jusqu’où peut-on revenir en arrière ? Et même si nous reculons aussi loin qu’il soit possible de reculer, si nous trouvons qui a tiré le premier, qu’est-ce que cela donne ? Peut-être que celui qui a tiré le premier avait raison ?
Il faudrait se confronter au problème de façon descriptive et analytique.
Nous devons poser la question : « quelle est la nature du conflit ? De quoi s’agit-il ? »
La compréhension devrait précéder le jugement.
Quand nous comprendrons de quoi il s’agit, chacun d’entre nous pourra appliquer ses principes moraux et porter un jugement.
Et alors, alors seulement, ayant compris la nature du conflit et porté un jugement moral, nous pourrons élaborer ce que serait une solution du conflit et essayer d’imaginer ce qu’il faudrait faire pour arriver à cette solution.
1/ Analyse du conflit.
1.1 Opération de colonisation dans un contexte régional.
L’Histoire, c’est important. On ne peut pas comprendre le conflit en prenant un instantané de l’état actuel des choses.
Le conflit n’a pas commencé en 1967, il est alors seulement entré dans une nouvelle phase avec l’occupation de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et du Golan syrien.
Il n’a pas non plus commencé en 1956 lorsque, de connivence avec la France et la Grande Bretagne, Israël a attaqué l’Egypte.
Et il n’a pas commencé en 1948 lors de la création d’Israël qui entraîna la Nakba palestinienne (la catastrophe), transformant en réfugiés la plupart des arabes palestiniens vivant sur cette terre qui allait devenir Israël.
Le conflit a commencé il y a un siècle et il s’est accentué après la Première Guerre mondiale.
En termes généraux : il fait partie de l’ensemble des problèmes non résolus engendrés dans la région par la façon dont les puissances impérialistes occidentales, - la France et la Grande Bretagne, - ont démantelé et dépecé l’Empire ottoman.
Nous avons sous les yeux d’autres éléments de cet héritage complexe en Irak, au Liban et dans l’ensemble de la région.
Ce contexte régional d’une extrême importance sera le fil rouge de ce qui suit.
Mais, spécifiquement : c’est un conflit entre le projet sioniste de coloniser la Palestine et les populations autochtones de ce pays, les Arabes palestiniens.
En 1948 ceci se transforma en conflit entre Israël - l’Etat colonisateur qui est un produit de l’entreprise de colonisation sioniste- et le peuple arabe palestinien.
Dire que le Sionisme était et est une entreprise de colonisation et qu’Israël est un Etat colonisateur, un Etat colonial, n’est pas un jugement de valeur mais un simple état de fait.
Je n’utilise pas ces mots comme des injures. En fait, le mouvement sioniste, dans son discours interne, utilisait le terme de « colonisation », et plus tard ses équivalents en Hébreu.
On peut avancer l’argument, -et certains le font, - que la colonisation et l’installation d’un Etat colonial sont acceptables sur le plan moral en général ou dans ce cas spécifique.
Ceci est vraiment un jugement de valeur qui dépend des critères moraux de chacun.
Mais, intellectuellement, on ne peut pas nier le fait que le Sionisme soit une entreprise de colonisation et que l’Etat d’Israël est un Etat colonial.
Bien sûr, il y a beaucoup d’Etats coloniaux, établis par des colons venus d’Europe qui se sont installés dans différentes parties du monde. En ce sens, Israël n’est pas du tout une exception. Mais sur plusieurs aspects importants, Israël et le Sionisme sont des exceptions et je vais attirer votre attention sur trois de ces aspects.
1.2 Un démarrage tardif…et toujours en marche.
La première caractéristique qui rend exceptionnelle la colonisation sioniste est qu’historiquement, ce fut le dernier projet de colonisation qui vit le jour. C’est le dernier et actuellement le seul en activité, en activité au sens d’un volcan actif, en opposition à un volcan en sommeil.
D’autres Etats coloniaux ont accompli leur « destinée évidente » (pour utiliser une expression américaine populaire à l’époque de l’expansionnisme états-unien)
Là-bas, la colonisation est finie, terminée. Mais pas dans le cas qui nous intéresse.
L’Israël d’aujourd’hui n’est pas seulement un produit de l’entreprise de colonisation sioniste, mais également un instrument qui favorise son extension et son expansion.
La colonisation se poursuit. Elle s’est poursuivie de 1948 à 1967 dans le territoire à l’époque sous la domination d’Israël, dans les limites de la ligne verte.
Des terres appartenant aux Arabes palestiniens, -y compris en deçà de la ligne verte-, furent expropriées et remises à la colonisation sioniste. Et peu après la guerre de 1967 la colonisation continua à l’intérieur des nouveaux territoires occupés. Cela eut lieu sous tous les gouvernements, qu’ils fussent conduits par les travaillistes, le Likoud ou les grandes coalitions.
Une forte controverse règne à propos de ce que le gouvernement israélien d’Yitzhak Rabin voulait vraiment faire lors de la signature désaccords d’Oslo en 1993 et de ce que le Premier ministre Ehud Barak voulait dire avec sa prétendue « offre généreuse » lors du sommet de Camp David en 2000.
Je vous donne un conseil : ne prêtez aucune oreille aux hommes politiques parce que les responsables politiques en général, - pas seulement notre Tony Blair, - sont des menteurs. Ils mentent quand ça les arrange.
Regardez les faits, eux ne mentent pas.
Observons par exemple [le diagramme qui nous montre] l’évolution du nombre des colons israéliens en Cisjordanie entre 1976 et 2004.
[Sur l’axe du temps l’an 1 est 1976 et l’an29 est 2004.]
On peut facilement voir que la colonisation, - planifiée, conduite et financée par le gouvernement israélien et bénéficiant de la protection militaire de son armée, - a été continuelle.
J’ai signalé sur ce diagramme les périodes des gouvernements travaillistes de Y. Rabin et de E. Barak, respectivement de 1992 à 1995 et de 1999 à 2000/2001.
Voyez-vous un quelconque ralentissement ? Regardez la carte des colonies. Quelles intentions nourrissaient tous les gouvernements israéliens à l’égard de ces territoires palestiniens occupés par Israël ?
Veuillez tirer vous-mêmes vos propres conclusions.
1.3 La doctrine de Ben Gourion.
Le 17 février 1973 le général Moshé Dayan tînt un discours exposant son programme à une réunion de l’Association des Juristes israéliens. Le quotidien Ha’aretz (18/02/1973) rapporte que Dayan « surprit ses auditeurs » Les juristes qui l’avaient invité pensaient, qu’en tant que ministre de la défense, il parlerait de sujets militaires.
Au lieu de ça, il lut un discours idéologique rédigé à l’avance dans lequel il exposa la doctrine de son mentor David Ben Gourion, fondateur de l’Etat d’Israël.
Ce dernier était encore en vie à l’époque, il allait mourir fin 1973, et on peut tout à fait présumer que Dayan était certain d’avoir son accord (en fait, il n’est pas fantaisiste de penser que Ben Gourion délivrait un message à la nation par l’intermédiaire du préféré de ses protégés)
Dayan cita les mots de Ben Gourion, prononcés bien des années auparavant lors de débats internes à propos du rapport de la Commission Peel, mais il insista sur le fait que ces mots prononcés en 1937 « avaient gardé aujourd’hui toute leur pertinence » Voici l’essentiel de la doctrine de Ben Gourion, cité par Dayan :
« En notre sein (les sionistes) il ne peut y avoir débat sur l’intégrité de la terre d’Israël (c’est à dire la Palestine), ni sur nos liens et droits à l’égard de cette terre dans sa totalité…
Quand un sioniste parle de l’intégrité de la terre, cela ne peut que signifier la colonisation par les juifs (hityashvut) de la terre dans sa totalité…
Ce qui signifie : du point de vue du Sionisme, la véritable pierre de touche ne se réduit pas à la question de savoir à qui ce morceau ci ou ce morceau là appartient du point de vue politique, ni même à la croyance abstraite de l’intégrité de la terre.
Le but et la pierre de touche du Sionisme, c’est plutôt la véritable mise en œuvre de la colonisation menée par les Juifs dans toutes les régions de la terre d’Israël »
Ceci est la contrepartie sioniste de la doctrine de « destinée évidente »
Permettez-moi d’énoncer clairement ce que cela veut dire : toute partition de la Palestine, toute « ligne verte », tout accord ou traité qui exclut quelque partie que ce soit de la « terre d’Israël » de la colonisation juive est, du point de vue du Sionisme, au mieux un compromis éphémère, - accepté pour un temps pour des raisons tactiques ou pragmatiques, - mais qui ne sera jamais considéré comme définitif.
Bien sûr, cela ne signifie pas que l’expansion de la colonisation sioniste ne peut pas être stoppée.
Cela signifie qu’elle continuera - et ce en profitant de la plus grande priorité- aussi longtemps que le permettra l’équilibre des forces.
1.4 Ecrire sur le mur.
La colonisation sioniste de la Palestine est la source originelle du conflit. La colonisation actuelle est la force d’impulsion incessante qui perpétue le conflit.
C’est pourquoi je me contente, dans cette analyse, de discuter de l’entreprise politique sioniste qui est l’aspect déclencheur du conflit.
Par manque de temps je parlerai peu du combat palestinien qui était une réaction prévisible.
D’emblée, il était évident que la mise en œuvre du projet politique sioniste allait inévitablement provoquer la résistance des autochtones palestiniens et mener inexorablement à un conflit violent. Les plus clairvoyants le reconnaissaient et les sionistes les moins réservés et les plus francs l’admettaient ouvertement.
Personne n’était moins réservé que Vladimir Jabotinsky (1880-1940), ancêtre politique et spirituel des 5 Premiers ministres Menahem Begin, Ytzhak Shamir, Binyamin Netanyahu, Ariel Sharon et Ehud Olmert.
Les longues citations suivantes sont extraites de son article à juste titre nommé « le mur de fer » (O Zheleznoi Stene) publié en 1923 dans le journal en langue russe Rassvyet « L’Aurore ».
« Un compromis entre les Arabes palestiniens et nous-mêmes est hors de question pour l’instant et dans un avenir prévisible.
Cette intime conviction, je l’exprime de façon aussi catégorique, non pas par désir de désespérer des gens bien sympathiques [c’est-à-dire des sionistes modérés], mais au contraire parce que je désire leur éviter le désespoir. A part les aveugles de naissance, tous ces gens sympathiques ont compris depuis longtemps qu’il n’y a pas le moindre espoir d’obtenir l’accord des Arabes palestiniens pour que la "Palestine", pays arabe, devienne un pays avec une majorité juive.
Tous les lecteurs sont plus ou moins informés de l’histoire de la colonisation des autres pays. Je suggère qu’ils se souviennent de tous les cas connus. S’ils tentent de trouver un seul cas de pays colonisé avec le consentement des indigènes, ils n’y parviendront pas.
Tous les autochtones - qu’ils soient civilisés ou sauvages - considèrent leur pays comme leur foyer national, dont ils seront toujours les maîtres absolus. Non seulement ils n’accepteront jamais volontairement de nouveaux maîtres, mais ils refuseront même des co-propriétaires ou un nouveau partenaire. Cela vaut également pour les Arabes.
Les partisans du compromis parmi nous tentent de nous convaincre que les Arabes sont des imbéciles qui peuvent être trompés par une formulation atténuée de nos objectifs ou constituent une espèce vénale qui abandonnera ses droits inaliénables sur la Palestine contre des gains culturels et économiques. Je rejette catégoriquement cette opinion que l’on a sur les Arabes palestiniens.
Culturellement, ils ont 500 ans de retard sur nous, spirituellement ils n’ont ni notre endurance ni notre volonté, mais à part ça il n’y a pas foncièrement de différences entre nous.
Ils sont d’aussi fins psychologues que nous et, tout comme nous, ils ont des siècles d’expérience en ce qui concerne les ruses de la casuistique (en hébreu : pilpul)
Quoi que nous leur disions ils voient à travers nous comme nous voyons à travers eux.
Ils ont pour la Palestine le même amour instinctif et la même ferveur intrinsèque que ne l’avaient les Aztèques pour leur Mexique ou que les Sioux pour leurs prairies.
Tout peuple combattra les colonisateurs aussi longtemps qu’il y aura une étincelle d’espoir de se débarrasser de la menace de la colonisation.
C’est également ce que font les Arabes palestiniens et ils persisteront à le faire tant que restera une seule étincelle d’espoir.
La colonisation n’a qu’un seul but. Ce but est inacceptable pour les Arabes palestiniens.
C’est la nature des choses et changer cette nature est impossible.
S’il était possible (et j’en doute) d’obtenir le consentement des Arabes de Bagdad ou de La Mecque, comme si la Palestine n’était pour eux qu’un petit pays limitrophe sans importance, la Palestine resterait toujours pour les Palestiniens, non pas une zone frontière mais leur pays natal, le centre et la base de leur propre existence nationale. C’est pourquoi il serait nécessaire de poursuivre la colonisation contre la volonté des Arabes palestiniens comme c’est le cas aujourd’hui.
Mais un accord avec des Arabes non palestiniens est aussi une chimère. Pour que les nationalistes arabes de Bagdad, de La Mecque ou de Damas acceptent une contribution aussi coûteuse (accepter de renoncer à la préservation du caractère arabe de la Palestine, pays situé au centre de leur future "fédération") nous devrions leur offrir quelque chose d’une égale valeur.
Pour être clair, cela ne pourrait signifier que deux choses : soit de l’argent, soit un soutien politique ou les deux. Mais nous ne pouvons offrir ni l’un ni l’autre.
Concernant l’argent, il est ridicule de penser que nous pourrions financer la Mésopotamie [l’Irak] ou Hijaz, quand nous n’en avons pas assez pour la Palestine [Israël].
Apporter un soutien politique au nationalisme arabe serait profondément malhonnête.
Le nationalisme arabe a les mêmes buts que le nationalisme italien avant 1870 : l’unification et l’indépendance politique.
En langage simple cela signifierait l’expulsion de l’Angleterre de la Mésopotamie et d’Egypte, l’expulsion de la France de Syrie et peut-être ensuite de Tunisie, d’Algérie et du Maroc. Pour nous, soutenir un tel mouvement serait un suicide et une trahison.
Nous opérons sous le mandat britannique. A San Remo la France a souscrit à la déclaration Balfour. Nous ne pouvons pas être partie prenante d’une intrigue visant à expulser l ‘Angleterre du canal de Suez et du Golfe persique et à réduire à néant la France en tant que puissance coloniale.
Nous ne pouvons pas jouer ce double jeu. Nous ne pouvons même pas l’envisager.
Ils nous écraseraient, nous apportant un déshonneur bien mérité avant que nous ne bougions le petit doigt.
Pour conclure : nous ne pouvons rien donner aux Palestiniens ou aux autres Arabes en échange de la Palestine (Israël).C’est pourquoi leur accord volontaire est hors de question.
Donc ceux qui maintiennent qu’un accord (avec les autochtones) est une condition essentielle pour instaurer le Sionisme peuvent tout de suite dire "non" et renoncer au Sionisme.
Il faut soit mettre un terme à notre entreprise coloniale soit continuer sans tenir compte de la volonté des autochtones.
Cette colonisation ne peut, par conséquent, continuer à se développer que sous la protection d’une force indépendante de la population locale : un mur de fer que les autochtones ne pourront pas franchir. Voici la totalité de notre politique envers les Arabes.
Que signifient pour nous la Déclaration Balfour et le Mandat britannique ? Cela signifie qu’une puissance extérieure s’est engagée à créer des conditions sécuritaires telles qu’il sera impossible à la population locale, quel qu’en fût son désir, de gêner, administrativement ou physiquement, notre colonisation. »
1.5 Rempart contre l’Asie.
Une deuxième caractéristique plutôt exceptionnelle de la colonisation sioniste est le fait que les colons n’étaient pas des nationaux d’une grande puissance qui les avait envoyés en mission colonisatrice et les protégeait.
Dès le début il était donc clair pour les fondateurs du sionisme politique qu’il était vital pour leur projet d’obtenir le soutien d’une grande puissance, - quelle que fût la grande puissance dominante au Moyen-Orient, - qui leur procurerait un « mur de fer » à l’abri duquel la colonisation sioniste pourrait se développer.
Sans un tel soutien, - que la colonisation sioniste à ses débuts appelait « charte », - la colonisation de la Palestine serait un projet mort-né.
Bien sûr, les grandes puissances ne sont pas des philanthropes. Elles ne donnent pas leur protection pour rien, mais bien en échange de services.
Et, depuis toujours, la nature de ces services était évidente. Le fondateur su Sionisme politique, Théodore Herzl (1860-1904) l’exprima de la façon suivante dans son livre programmatique « der Judenstaat » (l’Etat juif) publié en 1896 : « Nous formerons pour l’Europe l’élément d’un mur contre l’Asie, nous serons l’avant garde de la culture contre la barbarie. En tant qu’Etat neutre nous resterions en contact avec l’Europe entière, qui devrait garantir notre existence »…
Pas tant un « choc des civilisations » que le choc de la seule et unique civilisation avec la barbarie !
Donc c’est une transaction, une question de donnant - donnant. En échange de la protection vitale du « mur de fer » contre les Arabes palestiniens dont l’impérialisme occidental faciliterait la construction, les colonisateurs sionistes et finalement l’Etat colonial allaient procurer à leur protecteur un « rempart » contre les « barbares » du Moyen Orient (la pratique du Sionisme est remplie de murs et de remparts. Mais ils font encore plus tôt leur apparition dans le discours sioniste : Au commencement était le verbe !).
Une conséquence inévitable de cette transaction a été l’extension régionale du conflit. Le choc de l’entreprise sioniste (et finalement d’Israël) avec les autochtones palestiniens s’est transformé en un affrontement avec les peuples de toute la région. Cela est dû non seulement à la solidarité nationale des arabes de la région avec leurs congénères arabes en Palestine mais également au rôle actif du Sionisme (et d’Israël) en tant que partenaire des puissances occidentales dans l’exploitation et la domination du Moyen Orient.
Dans les années 1880 l’Allemagne de Guillaume II avait remplacé la France et la Grande Bretagne comme ami et conseiller militaire de l’Empire ottoman décadent.
La Palestine faisait alors partie de cet empire et Herzl tenta de vendre son idée à l’Empereur allemand. Mais il essuya un refus. Le Kaiser passa outre la tractation proposée.
1.6 « Un petit Ulster juif loyaliste »
Chaim Weizmann eut beaucoup plus de chance avec le gouvernement de Lloyd George vers la fin de la 1ère Guerre mondiale. La Charte des aspirations sionistes fut accordée sous la forme de la Déclaration Balfour (2 novembre 1917).
Dans ses mémoires, Sir Ronald Storrs, - le cerveau de Laurence d’Arabie et le premier gouverneur britannique de Jérusalem, - fit le commentaire suivant à propos de la logique qui sous tendait la Déclaration Balfour : « Même si maintenant cette terre ne pourrait pas encore absorber 16 millions de personnes, ni même 8 millions, un nombre suffisant pourrait revenir, sinon pour former l’Etat juif (ce que quelques extrémistes réclament publiquement), au moins pour prouver que cette entreprise est une bénédiction pour celui qui a donné [ la Grande-Bretagne] et pour celui qui a pris [le Sionisme] en formant pour l’Angleterre « un petit Ulster juif loyaliste » dans un océan d’arabisme potentiellement hostile »
La Déclaration Balfour faisait partie d’un contrat global. Une autre partie du contrat était de transformer la Palestine en une entité séparée.
Au cours de presque treize siècles de domination musulmane que seules les croisades interrompirent, la Palestine n’a jamais été une entité administrative distincte, encore moins séparée, mais faisait partie intégrante de la Grande Syrie (constituée en gros de la « petite » Syrie d’aujourd’hui, du Liban, de la Jordanie, d’Israël, de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza).
Dans l’Empire ottoman, la moitié sud de la Palestine constituait une circonscription particulière, le Sandjak de Jérusalem, dépendant directement de la Sublime Porte d’Istanbul.
La moitié nord était composée de deux districts qui faisaient partie de la Province de Beyrouth.
Lorsque les puissances impérialistes voraces ont dépecé la carcasse de l’Empire ottoman, la Palestine fut l’un des membres sur lequel la Grande-Bretagne se jeta.
En 1922 la Grande-Bretagne réussit à persuader la Ligue des Nations de lui accorder un mandat sur la Palestine et la Déclaration Balfour fut incluse dans le texte du mandat, ainsi que plusieurs dispositions détaillées dont le but était de faciliter la colonisation sioniste.
Il serait à peine exagéré de dire que la Palestine, découpée dans l’Orient arabe, était du sur-mesure pour la colonisation sioniste, indépendamment des désirs de ses véritables habitants.
En réalité, comme le révéla la commission américaine King Crane en 1919, ces habitants ne souhaitaient pas spécialement une Palestine séparée et se satisfaisaient tout à fait de faire partie de la Grande Syrie.
De plus ce découpage nécessitait un certain calibrage.
A l’origine le Mandat pour la Palestine embrassait également un territoire majoritairement aride à l’Est du Jourdain, mais la Grande Bretagne eut la permission de « remettre à plus tard ou de ne pas mettre en application » les propositions favorisant la colonisation sioniste de ce territoire oriental.
Sur ce, la Grande-Bretagne en fit un Emirat de Transjordanie séparé, mettant à sa tête son protégé Hachémite Abdallâh. Il devint le Royaume de Jordanie.
A partir de 1923 « Palestine » signifiait le territoire à l’ouest du Jourdain, auquel la Déclaration Balfour s’appliquait pleinement en vertu du Mandat de la Ligue des Nations.
Ce territoire exista 25 ans en tant qu’entité politique distincte et séparée.
1.7 « Une sorte de chien de garde »
Peu après 1930 les relations entre le mouvement sioniste et le protecteur anglais de jadis se refroidirent. Les objectifs et les intérêts commencèrent à diverger. Une sérieuse mésentente naquit entre eux, mésentente qui se transforma en un violent conflit après la deuxième guerre mondiale. Je ne peux pas ici entrer dans les détails concernant les causes exactes de ce conflit. Qu’il suffise de dire, entre autres, que la Grande Révolte des Arabes palestiniens montra clairement à la Grande Bretagne que le prix à payer pour imposer les modalités du mandat serait trop élevé pour un pouvoir et une influence limités. Entre temps, le projet sioniste avait dépassé le rôle d’un « petit Ulster juif loyaliste » et avait mûri au point d’assumer celui d’un Etat souverain. En tout état de cause la Grande Bretagne perdait sa position dominante au Moyen Orient. Le Sionisme avait besoin d’un nouveau protecteur impérialiste.
Michael Assaf, un orientaliste travailliste sioniste l’exprima ainsi. « Pendant ces années de combat (entre le Sionisme et l’impérialisme britannique) apparurent les prémisses d’un nouvel engagement : au lieu d’Angleterre-Sion, Amérique-Sion, processus résultant du fait que les USA étaient en train de prendre pied au Moyen Orient en tant que puissance mondiale au rôle déterminant ».
Dès le moment de sa création en 1948, Israël continua dans la voie de ce nouvel attachement. Il cherchait une nouvelle alliance - protection en échange de services- avec les USA. Mais la réorientation vers un nouveau protecteur impérialiste se fit peu à peu, en plusieurs étapes. Au début la Grande Bretagne garda une certaine influence au Moyen Orient. L’affirmation suivante, relative au rôle d’Israël dans la région, met ce fait en évidence.
« Les régimes féodaux de ces Etats du Moyen Orient sont tellement soucieux des mouvements nationalistes (laïques et religieux) qui jouissent parfois d’une coloration sans aucun doute socialiste de gauche, que parfois ils ne sont plus prêts à mettre leurs ressources naturelles à la disposition de la Grande Bretagne et de l’Amérique ni à leur permettre d’utiliser leurs pays comme bases militaires en cas de guerre. C’est vrai, les milieux au pouvoir dans les pays du Moyen Orient savent qu’en cas de révolution sociale ou de conquête soviétique ils seront sans aucun doute liquidés, mais la peur immédiate d’être victime d’un assassinat politique dépasse pour l’instant cette crainte impalpable d’une annexion communiste.
Tous ces Etats sont faibles sur le plan militaire. Israël a fait preuve de puissance militaire lors de la guerre de libération contre les Etats arabes et pour cette raison, un certain renforcement d’Israël est pour les puissances occidentales une façon assez pratique de maintenir un équilibre des forces au Moyen Orient. Si l’on s’en tient à cette supposition, on a donné à Israël le rôle d’une espèce de chien de garde. Il ne faut pas craindre qu’il appliquerait une politique agressive à l’encontre des Etats arabes si c’était clairement contre les souhaits de l’Amérique et de la Grande Bretagne. Mais si, un jour, pour une raison ou pour une autre, les puissances occidentales préféraient fermer les yeux, on peut faire confiance à Israël pour qu’il punisse en bonne et due forme un ou plusieurs Etats voisins dont le manque de bonnes manières à l’égard de l’Occident aurait dépassé les limites autorisées. »
La période 1948-1967 fut une phase délicate pour Israël dans sa recherche de rattachement à un nouveau pouvoir impérialiste dominant : les USA se montraient intéressés, sympas, mais pas trop enthousiastes. Ils soutenaient Israël financièrement et politiquement de façon significative, mais leur adhésion à Israël était loin d’être totale.
L’utilité d’Israël en tant qu’exécutant régional n’était pas du tout évidente aux yeux des responsables politiques américains. A la recherche d’une alliance politique plus étroite et d’équipement militaire, Israël se tourna vers la France dans les années cinquante, alors que celle-ci menait une guerre coloniale en Algérie. Le nationalisme arabe, mené par le charismatique président égyptien Gamal Abdel Nasser, était l’ennemi commun.
Lors de la guerre de Suez en 1956, Israël fit preuve de ses talents militaires, prouva son utilité en tant que Rottweiler local, mais au mauvais patron impérialiste. La France et la Grande Bretagne étaient usées en tant que puissances coloniales. Les USA ne trouvèrent pas drôle leur tentative de come back maladroite et non autorisée et les mirent hors combat avec arrogance. Sans ambiguïté, on dit à Israël de se retirer de ses terrains conquis, que le Premier Ministre Ben Gourion avait trop rapidement déclarés « appartenant au 3ème royaume d’Israël »
Cet épisode fut néanmoins bénéfique à Israël. Lors de la rencontre secrète de Sèvres où fut ourdi le complot de Suez, Ben Gourion, Dayan et Pères arrachèrent à la France une récompense pour remercier Israël de son rôle crucial dans le commencement de la guerre : Une promesse française de construire un réacteur nucléaire en Israël et de fournir des matériaux fissiles. En conséquence Israël devînt la cinquième puissance nucléaire mondiale.
En 1967 Israël s’assura de l’accord préalable des Etats Unis avant d’attaquer l’Egypte et la Syrie. Il se servit aussi de cette occasion pour occuper le reste de la Palestine dont Abdallâh s’était emparé en 1948 par un accord secret passé avec le gouvernement de Ben Gourion.
Israël a rendu beaucoup de grands services à l’Occident, particulièrement aux Etats Unis. Mais le plus précieux, ce fut l’aide offerte pour vaincre le nationalisme arabe laïque que l’Occident considérait, avec raison, comme dommageable à ses intérêts et qui ne se remit jamais de la débâcle militaire de 1967. Israël était devenu l’allié le plus dévoué et le plus digne de confiance des Etats Unis et faisait force de loi dans la région.
1.8 Est-ce l’apartheid ?
On compare souvent Israël à l’Afrique du sud sous l’apartheid. On emploie beaucoup le mot « apartheid » pour caractériser l’Etat colonial israélien et spécialement le régime israélien dans les territoires occupés depuis 1967.Je pense que l’usage réitéré de ce mot s’explique par le fait que l’Afrique du sud du temps de l’apartheid est le seul Etat colonial qui continua son entreprise de colonisation jusqu’à une période très récente dans la mémoire vivante de la plupart des gens. C’est le seul autre Etat colonial « actif » dont les gens se souviennent. Et donc, ils utilisent ce mot « apartheid » comme une insulte ou comme un générique pour un système tyrannique de discrimination raciale.
Mais du point de vue analytique, cette étiquette ne s’applique pas strictement à la colonisation sioniste. Et cela peut porter à confusion : utiliser le mot « apartheid » comme une insulte peut être une façon satisfaisante de donner libre cours à ses sentiments ou un raccourci vers une propagande efficace. Mais c’est dangereux, parce que les gens commencent à croire qu’Israël c’est une autre Afrique du sud, donc que le conflit israélo-palestinien est similaire et qu’on peut le résoudre de la même façon.
Bien sûr il y a des tas de similitudes. L’Afrique du sud sous l’apartheid et Israël appartiennent à un même genre d’Etat colonial. Colonisation signifie automatiquement dépossession des peuples indigènes, discrimination raciale violente à leur égard, mesures brutales pour venir à bout de leurs résistances. La vérité est que, si les Arabes palestiniens à l’intérieur de la ligne verte (qui sont des citoyens d’Israël) sont victimes de violentes discriminations institutionnalisées, ils ne sont pas tout à fait aussi maltraités que les non-blancs sous l’apartheid. De l’autre côté, les Palestiniens vivant à l’intérieur des territoires de 1967 sont souvent traités plus brutalement par les militaires israéliens et les colons que ne l’étaient les non-blancs sous l’apartheid.
Mais mon intention n’est pas de comparer le degré d’oppression.
Il y a une importante différence qualitative, structurelle entre les deux Etats coloniaux. Ils appartiennent au même genre mais à deux espèces différentes.
Une caractérisation exacte doit non seulement définir le genre approximatif mais également mettre en évidence la différence spécifique.
Ici j’invoquerai la grande perspicacité de Karl Marx : la clé de la compréhension d’une société, -d’un ordre social, - est son économie politique, son mode de production.
Et ceci signifie d’abord l’origine du surproduit et l’organisation de son extraction.
Dans toutes les colonisations, les ressources des indigènes ont été pillées.
Mais que faire d’eux ?
Assez schématiquement nous pouvons distinguer deux espèces, deux modèles principaux de colonisations et de sociétés colonisatrices. La différence cruciale, c’est de savoir si la population indigène est utilisée comme force de travail qu’on exploitera ou si elle est exclue de l’économie coloniale, marginalisée, exterminée ou expulsée, victime de la purification ethnique.
L’Afrique du sud appartenait à la première espèce. Pas au début, mais avec le développement de l’industrie capitaliste et l’exploitation des ressources minières, cela devint un système dans lequel les Africains étaient la source essentielle de la plus-value. L’apartheid était un système destiné à avoir à portée de main les non-blancs, ressource essentielle de l’économie mais dépourvus de droits civiques.
Le Sionisme, de façon délibérée, consciente et explicite choisit l’autre modèle : il fallait éviter d’utiliser la main d’œuvre indigène. On ne considère pas les Arabes palestiniens comme une source exploitable de main d’œuvre supplémentaire, mais eux-mêmes sont de trop. Il n’est pas nécessaire de les avoir à proximité ni même à distance, il faut complètement les écarter. Il fallait faire un nettoyage ethnique, en langage sioniste les « transférer ». Dès les débuts du Sionisme politique on envisagea de les expulser. Le 12 juin 1895, Théodore Herzl confia dans son journal intime : « nous déplacerons la partie la plus pauvre de la population indigène de l’autre côté de la frontière, sans faire de bruit, en leur donnant du travail dans des pays de transit, mais dans notre propre pays nous leur refuserons toute forme de travail ».
Il serait fastidieux de citer ici les innombrables preuves confirmant la planification du transfert et de rendre compte de sa mise en œuvre qui utilisait les pressions, l’intimidation ou l’expulsion forcée à chaque fois que l’occasion se présentait.
Je vous renvoie à la littérature (par exemple « le nettoyage ethnique de la Palestine » de Ilan Pappé)
A cet égard, quand il s’agit d’exclure les indigènes palestiniens de l’économie coloniale avant 1948, de planifier et de mettre en œuvre leur déplacement, les sionistes « de gauche » ou « Travaillistes » furent les plus assidus.
Ils pensaient en termes de classe et savaient donc parfaitement que, comme dans toute autre économie politique, les producteurs directs formeraient la majorité. Le Sionisme ne pouvait pas parvenir à établir un Etat juif, avec une majorité juive prédominante, s’ils n’excluaient pas les Arabes. Il fallait que le travail soit fait par des Juifs : par des pionniers juifs européens idéalistes et, puisqu’il n’y avait pas assez de volontaires, par des juifs indigents, la plupart du temps basanés, des Juifs qu’on allait chercher aux quatre coins du monde.
Dans l’ensemble, le Sionisme et Israël adhèrent à ce modèle, minimisant le recours à l’utilisation du travail des Palestiniens, avec juste un écart bref et ciblé dans les années 70-80.
Et à présent les entreprises israéliennes de haute technologie établies sur les territoires palestiniens occupés en 1967 préfèrent employer des juifs israéliens surexploités plutôt que des Arabes palestiniens.
La stratégie sioniste/israélienne a toujours eu un double but : maximiser la colonisation juive de la terre et minimiser sa population arabe.
Il y a un certain degré de tension entre ces deux objectifs. Yosef Weitz, un sioniste « travailliste », un architecte particulièrement ardent des projets de transfert avant la guerre de 1948 et l’un des principaux acteurs de leur mise en œuvre pendant la guerre et au lendemain de celle-ci, se montra inquiet après la guerre.
"Quand l’ONU décida le partage de la Palestine en deux Etats, la guerre d’indépendance de 1948 éclata et ce fut notre grande chance et un double miracle eut lieu : Une victoire sur le terrain et la déroute des Arabes. Lors de la guerre des six jours (1967) il y eut un grand miracle, une gigantesque victoire sur le terrain, mais la majorité des habitants des territoires libérés restèrent attachés à leurs lieux, chose capable de saper les fondations de notre Etat. Le problème démographique est le plus aiguë, particulièrement si au poids du nombre on ajoute le poids des réfugiés."
Le fantasme de la colonisation croissante est gâché par le cauchemar du danger démographique.
Les différents courants sionistes hésitent entre deux buts. Certains privilégient une impérative expansion territoriale sur la pureté ethnique absolue.
D’autres sont pétrifiés par le péril démographique : il y a trop d’Arabes en Palestine et ils ont un fort taux de natalité !
Idéalement, ils sont tous d’accord, si d’une façon ou d’une autre les Palestiniens disparaissaient, le problème disparaîtrait avec eux.
Mais un nettoyage ethnique conséquent ne peut être perpétré, selon l’expression sioniste, qu’à un moment propice (she’ at kosher).
En attendant qu’une telle occasion se présente, la stratégie principale est de confiner les Palestiniens dans des poches facilement maîtrisées, assurant de préférence leur propre sécurité. Elles sont différentes des camps de concentration dans la mesure où les individus ont tout à fait le droit de partir du moment qu’ils émigrent.
Ce ne sont pas non plus des bantoustans, parce que la finalité des bantoustans était de servir de dortoirs théoriquement indépendants qui servaient de réserves de main d’œuvre dont dépendait l’économie des colonisateurs.
Ce à quoi ces poches ressemblent le plus, ce sont aux réserves indiennes des USA. Et les différents plans de paix israéliens et accords conclus avec des leaders palestiniens consentants ont une certaine ressemblance avec les célèbres traités indiens.
Le fait que la colonisation sioniste suive ce modèle, basé non sur l’exploitation de la main d’œuvre des peuples indigènes, mais sur le désir de les exclure et de les expulser, a des conséquences très importantes.
Premièrement le danger d’une nouvelle expulsion massive n’est jamais très loin.
"Un moment propice » peut se présenter, par exemple lors d’une extrême urgence ou d’une guerre : une perspective sans cesse présente dans cette région instable. Il se peut même qu’Israël aide à provoquer une telle occasion. Entre temps, un déplacement au ralenti s’effectue, selon la méthode du salami, utilisant le harcèlement économique, administratif et physique.
De plus, il est beaucoup plus difficile de faire marche arrière avec le nettoyage ethnique et l’expulsion qu’avec les relations d’exploitation et de discrimination raciale.
C’est pourquoi, ceux parmi nous qui sont contre cette injustice doivent agir avec la plus grande urgence pour avertir l’opinion publique et mobiliser la société civile, pour qu’Israël ait le maximum de difficultés à étendre la colonisation et à poursuivre l’expulsion.
1.9 La dimension nationale.
Une autre conséquence extrêmement importante qui découle de la nature spécifique de la colonisation sioniste est la cristallisation du conflit en un conflit national.
le d’exploitation colonialiste le conflit entre les colonisateurs et le peuple indigène prend la forme d’une quasi lutte de classes, dans l’autre modèle, celui suivi par le Sionisme, les colonisateurs forment une nouvelle nation coloniale.
Et la colonisation sioniste a aussi pour résultat la création d’une nouvelle nation : les Juifs israéliens ou les Hébreux modernes.
Ils ont les attributs essentiels d’une nation dans le sens moderne du terme : une contiguïté territoriale, une structure de classe complète (similaire à celle d’autres nations capitalistes modernes), une langue commune dans le discours de tous les jours (qui leur est unique) et une culture à la fois "raffinée" et populaire.
Notez que les Juifs, ailleurs, ceux qui constituent la diaspora d’aujourd’hui, n’ont aucun de ces attributs. Ils ne constituent pas une nation dans le sens courant et moderne du terme.
L’adoption d’une nouvelle identité nationale est aussi rapide que dans le cas d’autres nations coloniales de peuplement (par immigration)
Les enfants nés en Israël d’immigrants juifs de Russie ou d’un pays arabe sont des membres de la nation hébreu. Ils ne sont pas plus Russes ou Arabes qu’un Américain d’origine italienne ou polonaise n’est Italien ou Polonais.
L’origine de leurs parents n’est pas effacée, mais n’apparaît plus qu’en arrière-plan.
Ironiquement, le Sionisme, comme un père qui nie l’existence de l’enfant qu’il n’a pas désiré, dénie l’existence de cette nation hébreu récemment crée par la colonisation sioniste. Car selon l’idéologie sioniste, tous les Juifs du monde entier constituent une seule et même nation. La vraie patrie de tous les Juifs n’est pas le pays où il où elle peut être née et dans lequel sa famille a vécu pendant des générations. La patrie de cette prétendue nation est la terre biblique d’Israël, sur laquelle elle a un antique droit inaliénable, en fait octroyé par Dieu. Les non juifs vivant dans la patrie juive ne sont que des intrus étrangers.
La colonisation sioniste est justifiée en tant que "retour dans la patrie", droit reconnu aux Juifs mais dénié à ces intrus étrangers, les réfugiés palestiniens qui, en toute légitimité, ont été expulsés de la patrie juive.
Il n’y a donc pas de nation hébreu mais simplement des membres de la nation juive à travers le monde, qui sont déjà retournés dans leur patrie, avant-garde de leurs frères de la diaspora qui ont un droit, en fait un devoir sacré de suivre et d’être rassemblés sur la terre d’Israël.
Ici je voudrais mettre en exergue un autre trait exceptionnel de la colonisation sioniste.
Dans le modèle d’exploitation coloniale, les colonisateurs ont fini par être une relativement petite minorité, une couche supérieure ou quasiment une classe exploitant de la main d’œuvre indigène.
Ces derniers forment le gros des producteurs directs et constituent donc la grande majorité de la population.
De l’autre côté, dans la plupart des colonisations qui ont suivi l’autre modèle, dans lesquelles les colonisateurs formaient une nouvelle nation coloniale, les peuples indigènes, s’ils n’étaient pas complètement réduits à néant, étaient écrasés et pour le moins marginalisés.
L’identité nationale de la nation colonisatrice s’est superposée à leurs identités nationales distinctes et séparées. Leurs langues et leurs traditions culturelles, si elles n’ont pas complètement disparu, persistent sous la forme des "vestiges folkloriques », confinés au secret ou dans des régions rurales éloignées, alors que la langue et la culture de la nation colonisatrice prédominent partout ailleurs.
Il n’en est pas de même dans le cas de la colonisation sioniste : ici, le conflit entre l’oppresseur et l’opprimé, les colonisateurs et le peuple indigène, a pris la forme d’un conflit national entre deux groupes nationaux bien définis, de dimension à peu près égale.
Malgré ses efforts, l’Etat israélien n’a remporté, jusqu’à aujourd’hui, qu’un succès partiel en « transférant » les Arabes palestiniens de leur patrie. La guerre de 1967 fut trop brève pour répéter un nettoyage ethnique comparable en ampleur à celui de 1947/1949.
De plus, les Palestiniens avaient retenu la leçon amère de la Nakba et, comme le note lugubrement Yosef Weitz, étaient restés fermement « accrochés » à leur terre. Au même moment, le taux de natalité plus élevé des Arabes avait, dans une certaine mesure, contrebalancé l’afflux de l’immigration juive en Israël.
L’identité nationale des Palestiniens, loin de se dissoudre sous l’impact de la colonisation, se cristallisa et se trouva même renforcée par le conflit.
Ils ont conservé leur langue et développé une production culturelle nationale très vivante.
Le contexte régional est largement responsable de cette remarquable vigueur. La plus grande partie des Palestiniens vivent à proximité ou sont réfugiés à l’intérieur d’un monde arabe vaste et peuplé. Ils partagent une langue littéraire commune (et également la version moins formelle utilisée par les médias) et un glorieux héritage culturel. Leur langage parlé est très proche de ceux utilisés dans d’autres parties de ce que fut la Grande Syrie et pas très éloigné de ceux des pays voisins dans l’Orient arabe. Les échanges culturels sont faciles. Même les Arabes palestiniens qui échappèrent au nettoyage ethnique de 48 et restèrent en Israël en tant que minorité opprimée étaient capables de suivre les émissions radio du monde arabe. Réciproquement, un poème ou un roman écrit par un Palestinien de Haïfa peut être lu et apprécié par des millions de lecteurs de l’Océan atlantique au Golfe arabique.
De plus, du fait de "l’heure tardive" de la colonisation sioniste, au moment où elle eut lieu, elle se confronta à l’identité nationale arabe et à un nationalisme arabe naissant qui émergea à peu près au même moment.
Exceptionnellement, une entreprise de colonisation fut confrontée dès le début à un mouvement national émergent.
Remarquez la référence inquiète au nationalisme arabe et à son aspiration à une fédération régionale dans "le Mur de fer" de Jabotinsky. L’analogie que Jabotinsky fait entre le nationalisme arabe et le nationalisme italien d’avant 1870 est également tout à fait pertinente. En Italie, en plus de l’identité nationale pan italienne et du nationalisme qui n’avaient pas encore réussi l’unification politique, existaient des identités nationales distinctes et des patriotismes locaux : vénitien, toscan, romain, napolitain, sicilien etc. En fait, ils survivent encore aujourd’hui. De la même façon, dans le monde arabe, il y a deux niveaux d’identité nationale et de nationalisme.
En plus de l’identité arabe globale et de l’aspiration à une unification ou une fédération, il y a des identités et des patriotismes locaux : égyptien, irakien, syrien etc. et bien sûr palestinien, forgés par une expérience commune désastreuse et par le combat pour la survie et la victoire.
Il y a une certaine tension entre ces deux niveaux d’identité nationale, mais ils ne sont pas nécessairement antithétiques. Ils peuvent être compatibles ou même complémentaires. Alors que pour les gouvernements arabes et les élites au pouvoir l’unité arabe n’est qu’un vœu pieux, un véritable sentiment d’adhésion est très répandu parmi les masses. Et une composante cruciale de ce sentiment d’adhésion est la solidarité profondément ancrée envers les Palestiniens.
Toute conception valable d’une solution doit commencer par la compréhension de la nature du conflit.
C’est une violente confrontation colonialiste entre deux nations qui ont pris forme à travers le conflit lui-même : d’une part une nation hébreu colonisatrice et un Etat colonialiste israélien et d’autre part une nation indigène arabe palestinienne et colonisée.
La première est alliée aux puissances impérialistes qui dominent l’ensemble de la région.
La seconde est une composante de la plus grande nation arabe de la région.
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