Al-Ahram Hebdo : En lançant le mot « Shoah », quelle était, à votre avis, l’intention du vice-ministre israélien de la Défense ? S’agit-il d’une maladresse verbale comme il le prétend ? Ou bien vise-t-il autre chose ?
Aly El Ghatit : En fait, c’est la première fois dans l’histoire de l’occupation de la Palestine qu’Israël reconnaît qu’il commet un crime majeur contre l’humanité en comptant sur l’impunité dont il a bénéficié au précédent et dont il jouira à l’avenir. A chaque fois, l’Etat Hébreu cherchait des prétextes, tout en essayant de donner à ses crimes contre le peuple palestinien une apparence de légitimité internationale. En prétendant qu’il s’agit seulement d’actes de légitime défense. Mais qu’est-ce qui l’avait poussé à utiliser un tel terme ? Aujourd’hui, Israël se sent tellement soutenu par la communauté internationale qu’il ne craint pas de voir quelqu’un le condamner.
Il adopte le même principe de massacre nazi, c’est le génocide à l’encontre des Palestiniens : si je te tue, c’est un acte légitime mais quand tu essayes de te défendre, c’est tout à fait interdit.
— Cela équivaut-il à un véritable holocauste ?
— Ce qui se passe en Palestine de la part de la force illégitime d’occupation israélienne est la plus longue shoah dans toute l’Histoire de l’humanité. Les Israéliens commettent tous les genres de crimes cités dans le règlement principal du Tribunal pénal international créé en juillet 1998 et connu sous le titre du Traité de Rome, et où sont citées les définitions de tout ce qu’on peut imaginer comme crimes. Israël et les Etats-Unis se sont abstenus de ratifier ce document.
— Du point de vue juridique, comment peut-on profiter de la législation internationale pour condamner Israël ?
— En fait, avant de poser cette question, on doit d’abord nous demander ce qu’on a fait déjà avec ces dizaines de résolutions constituant la légitimité internationale, dont les dispositions tranchent en ce qui concerne les droits palestiniens et qui restent toujours lettre morte. Comme par exemple les résolutions de l’Assemblée générale de l’Onu 181 et 194. Il y a notamment aussi le jugement le plus récent concernant le mur de séparation adopté par la Cour internationale de justice, en 2004. Ce tribunal formé de 13 juges, représentant tous les systèmes juridiques dans le monde, a jugé à l’unanimité, à l’exception de la juge américaine, que les actes commis par Israël envers le peuple palestinien sont des actes racistes en plus de l’illégitimité du mur de séparation. (L’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé sont contraires au droit international).
Alors, il faut d’abord chercher les moyens pour activer ces résolutions. Et ceci ne va jamais avoir lieu sans une volonté arabe puissante et déterminée. En cas d’absence de cette volonté, le discours n’a aucune utilité.
Je crois au proverbe exprimé en anglais qui dit « When where is a will, there is a way » (Vouloir c’est pouvoir).
— Alors comment voyez-vous la position arabe ?
— Les régimes arabes observent le mutisme. A mon avis, il n’était pas de pure coïncidence que la visite de Condoleezza Rice dans la région intervienne au moment de l’holocauste contre les Palestiniens commis par les Israéliens. Le but de cette visite était bien clair, inciter les régimes arabes à exercer des pressions sur les Palestiniens. Et je vois que les Arabes ont réagi favorablement à cette demande. Et les voici demandant aux Palestiniens, dans leur dernière réunion dans le cadre de la Ligue arabe, la nécessité de « calmer la situation ». C’est-à-dire de renoncer l’un de leurs droits cités dans les documents internationaux, à savoir leur droit à la résistance contre l’occupant.
Il faut que les Arabes sachent que l’existence de la Palestine est une affaire indissociable de l’existence même de leurs nations. Et la perte de la Palestine et puis de celle des pays du Levant vont en engendrer d’autres. Les Arabes doivent alors s’interroger à qui viendra le tour. Et on peut dire de cette façon que l’Egypte, qui est le cœur du monde arabe, a échoué dans son rôle stratégique et essentiel de la région.
— Alors s’il en est ainsi, comment les pays arabes peuvent-ils activer les résolutions contre Israël ?
— Je ne trouve moi non plus de réponse à cette question : comment et pourquoi les pays arabes et islamiques observent-ils le mutisme et n’essayent-ils pas d’activer ce qu’ils ont sous la main en guise de résolutions et de verdicts ?
— Comment jugez-vous cette politique de deux poids, deux mesures de la communauté internationale ?
— La réunion immédiate du Conseil de sécurité à la suite de l’attentat de Jérusalem faisant la mort de 8 Israéliens, alors qu’on ne s’est pas du tout soucié des milliers abattus dans la bande de Gaza, est l’expression de bien plus que de la politique de deux poids, deux mesures. La communauté internationale ne jauge que d’une seule mesure, qui est toujours en faveur des Israéliens et contre tous les Arabes. Alors, à quoi peut-on s’attendre, si ceux qui sont chargés de veiller sur la souveraineté et la moralité de la loi et aussi sur la paix internationale agissent de la sorte ? En tous les cas, ceux-ci n’appliquent le droit international ni à l’égard des Palestiniens ni des Israéliens. Ils ne protègent pas les premiers et ne sanctionnent pas les deuxièmes pour leurs crimes contre l’humanité.
Propos recueillis par Aliaa Al-Korachi