Selon David Rose, un journaliste d’investigation britannique qui est déjà l’auteur d’un livre très fouillé sur la prison de Guantanamo, Condoleezza Rice, la Secrétaire d’Etat, et Eliott Abrams, le Conseiller adjoint à la Sécurité de la Maison Blanche, sont les deux maîtres d’oeuvre de cette opération clandestine approuvée par George Bush. Le plan visait à permettre à Mohamed Dahlan, l’homme fort de la sécurité palestinienne à l’époque de Yasser Arafat, équipé par des armes fournies par les Etats-Unis, d’écarter du pouvoir le Hamas, vainqueur des élections législatives de janvier 2006. Selon David Rose,
"Le plan secret a eu un effet contraire, provoquant un nouvel échec pour la politique extérieure de George Bush. Au lieu d’écarter leurs ennemis du pouvoir, les hommes du Fatah soutenus par les Etats-Unis ont amené le Hamas a prendre le contrôle total de la bande de Gaza."
Selon l’article de Vanity Fair, cette stratégie a fait l’objet d’un vif débat au sein de l’administration, amenant l’un de ses détracteurs, David Wurmser, décrit comme un "néo-conservateur", à démissionner de son poste de Conseiller Moyen Orient du Vice-Président Dick Cheney en juillet 2007, un mois après le fiasco de Gaza. Wurmser, indique David Rose, accuse l’administration Bush "d’avoir mené une sale guerre pour permettre la victoire d’une dictature corrompue" [le pouvoir de Mahmoud Abbas, ndlr]. Il considère que le Hamas n’avait aucune intention de prendre le pouvoir par la force jusqu’à ce que le Fatah vienne le provoquer :
"A mes yeux, ce qui s’est passé ressemble moins à un coup du Hamas qu’à une action préventive contre un coup préparé par le Fatah."
Vanity Fair produit notamment un mémorandum rédigé par un émissaire du Département d’Etat avant un entretien avec Mahmoud Abbas, qui ne laisse aucun doute sur ce que veut Washington : que le président palestinien mette le Hamas au pied du mur, soit accepter de participer à un gouvernement "qui respecte les conditions du Quartet (Etats-Unis, Union européenne, Nations Unies et Russie, ndlr), soit le Président dissout le gouvernement Hamas, déclare l’état d’urgence et convoque de nouvelles élections". Le mémorandum ajoute :
"Si vous agissez dans ce sens, nous serons là pour vous aider matériellement et politiquement."
Selon l’article, Condoleezza Rice a personnellement téléphoné aux drigeants de quatre pays arabes -Egypte, Jordanie, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis- pour leur demander de participer au programme d’armement du Fatah, et notamment de fournir le financement nécessaire à verser directement sur des comptes liés au président palestinien. Un mécanisme qui s’inspire en partie de l’"Irangate" des années 80, lorsque l’administration Reagan avait tenté de mener un schéma triangulaire avec l’Iran et les "Contras" du Nicaragua. Le plan avait échoué, mais l’un de ses acteurs n’était autre que... Eliott Abrams, l’un des personnages-clé de ce "Gazagate" dénoncé par Vanity Fair.
L’enquête de Vanity Fair est sortie cette semaine alors que Condoleezza Rice se trouvait au Proche Orient, tentant de sauver le processus de négociation décidé l’an dernier à la Conférence d’Annapolis, menacé de s’écrouler à la suite de l’incursion israélienne à Gaza la semaine dernière. Elle s’est contentée de dire qu’elle ne l’avait pas lue, et ses services l’ont qualifié de "pas exact"...
Un démenti faible pour une enquête fournie et étayée, qui, sans être réellement surprenante, apporte quelques élements instructifs sur la politique américaine dans cette partie du monde. Et finit d’achever tout espoir de voir les négociations dont Condoleezza Rice vient d’annoncer le redémarrage déboucher sur quoi que ce soit de stable et durable.