Il y a ces deux vers d’un chant, très beau, entonné au soir d’un 4 novembre 1997, sur la Kikar Malchei Yisrael par une foule en liesse. Ils disent : « Celui dont la bougie est éteinte est enterré dans la poussière / une larme amère ne le réveillera pas ni ne le ramènera. » Écrites sur un bout de papier, taché de sang, les paroles de ce Chant de la paix devaient être retrouvées dans la poche de Yitzhak Rabin. Il y a l’apostrophe, célèbre : « Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés. » Il y a aussi, surtout, ce grand corps agonisant, la paix, dont tous les jours on se demande s’il va reprendre vie et à quel prix.
Les hasards du calendrier hébraïque font que la commémoration de l’assassinat du Premier ministre israélien de l’époque tombe cette année le 24 octobre, réveillant de vieilles rancœurs et ranimant une polémique qui n’honore en rien ceux qui la relancent, les responsables d’un organisme baptisé d’un nom qui lui va bien mal : « Comité pour la démocratie », et qu’ils réclament aujourd’hui « au nom des droits de l’homme et de la réconciliation nationale ». La libération de celui qui, précisément, les a assassinés. Dalia Rabin, la fille de la victime, a eu hier ce mot, tranchant comme un couperet pour l’État hébreu : « Si mon pays veut se suicider, il n’a qu’à laisser se développer cette campagne (pour la réhabilitation de Yigal Amir). » Mais c’est le ministre de la Défense, Ehud Barak, qui a prononcé la sentence la plus terrible quand il a accusé certains officiels encore en place d’être incriminés dans l’affaire parce qu’ils avaient pris part à la campagne d’incitation au meurtre.
Premier sabra à accéder au poste de président du Conseil, combattant de la guerre de 1948 puis de celle de juin 1967, celui à qui Bill Clinton avait adressé, le jour de ses obsèques, le poignant « Shalom, chaver » (adieu l’ami) avait été aussi l’un des artisans des accords d’armistice de Rhodes, ce qui, peut-être, expliquerait sa conversion en soldat de la paix des années plus tard. Même si, lors de la cérémonie de signature des accords d’OIslo - tenue, curieusement, à Washington le 13 septembre 1993 -, il n’avait pu surmonter que difficilement sa répugnance à serrer la main de son vieil ennemi, Yasser Arafat. À l’époque, il avait tiré la conclusion logique de son long combat contre les Palestiniens, déclarant : « On ne peut contrôler indéfiniment un autre peuple. »
De ce constat lourd de sens, que reste-t-il ? Il y a deux ans déjà, Shimon Pérès, son compagnon de route, s’adressait aux jeunes en ces termes : « La paix est entre vos mains. » Comme en une manière de placer le fardeau sur les épaules autrement plus robustes de la nouvelle génération. À la même époque, un sondage du quotidien Maariv indiquait que les Israéliens jugeaient que les trois balles tirées dans le dos du vieux général par un fou de Jéhovah avaient marqué leur existence autant que les campagnes militaires de 1967 et d’octobre 1973. Dans la capitale norvégienne, les négociateurs avaient adopté le principe de l’échange terre-paix, étaient convenus d’une reconnaissance mutuelle débouchant sur la création de l’Autorité palestinienne et d’arrangements intérimaires d’autonomie pour une période de cinq ans, enfin d’un retrait progressif de l’armée d’occupation. Depuis, tout cela s’est trouvé dépassé, par la fameuse « feuille de route » du quartette et par le retrait de Gaza, décidé par Ariel Sharon.
Près de trois lustres après ce qui, on le constate avec le recul, n’aura constitué qu’un épisode - une péripétie, serait-on tenté de dire -, Condoleezza Rice vient de noter, à l’issue de son périple dans la région, devant des interlocuteurs ébahis : « C’est le début du processus et non pas la fin. Il y a encore beaucoup à faire. » Et aussi ceci : « Franchement, nous avons mieux à faire qu’inviter des gens à une photo souvenir. » Ah ! qu’en termes élégants...
Rendez-vous donc le mois prochain, à Annapolis, l’ancienne capitale de George Washington et de Thomas Jefferson, maintenant que l’Administration de leur lointain successeur, soudainement réveillée d’un sommeil de sept longues années, semble découvrir la question de Palestine. Ce sera là l’occasion inespérée de faire oublier les déboires en terres irakienne et afghane, et éventuellement de rallier les pays arabes à une conférence qui aboutirait à la reconnaissance de l’État hébreu. Encore faudrait-il, avant d’en arriver là, aider le pauvre Mahmoud Abbas et le glauque Ehud Olmert, le premier à se défaire du boulet Hamas, le second à se désengluer des multiples affaires qui entachent sa piteuse gestion de la chose publique.
À propos, qui donc aidera, pour commencer, le preux George W. ?
Christian MERVILLE