Gaza assiégée, « enfermée », « affamée »... : c’est, en réalité, d’un
lent et inexorable étranglement
qu’il s’agit, et il n’est pas nouveau. Il a
débuté en 2005, après le « désengagement » unilatéral d’Israël. Un second
tour d’écrou a été donné après les élections
législatives de janvier 2006 remportées
par le Hamas, avec le boycott
international et la rétention des taxes à
l’exportation dues à l’Autorité palestinienne
par Israël. Un troisième a accompagné
les destructions opérées par l’armée
israélienne, après la mort de deux soldats
israéliens et la capture du tankiste
Gilad Shalit et au moment de la guerre
du Liban l’été 2006. Le dernier en date
a commencé dès l’annonce de la prise
de pouvoir armée du Hamas sur la bande
de Gaza en juin dernier.
En septembre 2006, Patrick Coburn [1] écrivait déjà : « Gaza se meurt. [ ...]
Ici, sur les rives de la Méditerranée, se
déroule une grande tragédie que le
monde ignore, parce que son attention
a été détournée par les guerres au Liban
et en Irak. » Et de rappeler qu’outre la
fermeture des points d’accès depuis
l’élection du Hamas et le boycott international,
l’armée israélienne avait
consciencieusement saccagé Gaza, tuant,
démolissant, bombardant et pilonnant,
sans discrimination. Les trois quarts des
orangeraies, notamment, étaient détruites
pour créer des « zones de sécurité » ;
des oliveraies, les vergers de citronniers
et d’amandiers étaient rasés par les bulldozers.
Les oeillets et les fraises, deux
des principales exportations de Gaza,
avaient pourri sur pied et une frappe
aérienne israélienne avait détruit la centrale
électrique, privant les habitants de
55% de l’énergie ainsi perdue.
Ces destructions venaient aggraver une
situation économique dont un rapport
de la Banque mondiale [2] de septembre
2006 faisait le bilan, parlant d’« une
année de récession économique sans
précédent. Les revenus réels pourraient
se contracter d’au moins un tiers en
2006 et la pauvreté affecter les deuxtiers
de la population. » Dans ce cas,
pauvreté signifie un revenu par habitant
de moins de 2 dollars (1,57 €) par jour.
Le maire de Gaza, Maged Abou-Ramadan,
disait alors : « Pour nous, c’est la
pire année depuis 1948 [...] Gaza est une prison. Ni les gens, ni les marchandises
ne sont autorisés à sortir. Les
gens sont déjà affamés. Ils essayent de
survivre avec du pain et des falafels et
quelques tomates et concombres qu’ils
cultivent eux-mêmes »
- Au passage d’Erez, entre la bande de Gaza et Israël, qu’on ne franchit quasiment plus depuis la prise de pouvoir par les armes du Hamas à Gaza.
Gideon Levy, dans Ha’aretz [3], décrivait
lui aussi, il y a tout juste un an, une
situation qui ne cesse de se répéter :
« Le passage d’Erez est vide, le passage
de Karni n’a été ouvert que quelques
jours ces derniers mois et la même chose
est vraie pour le passage de Rafah.
Quelque 15 000 personnes ont attendu
pendant deux mois pour entrer en Egypte,
certains attendent toujours, y compris un
grand nombre de personnes malades et
blessées. 5000 autres personnes attendaient
de l’autre côté pour retourner
dans leurs foyers. Certains sont morts
pendant l’attente. Il faut voir les scènes
à Rafah pour comprendre à quel point
cette tragédie humaine qui se déroule est
profonde. [...]Les Etats-Unis et l’Europe,
qui font la police au passage de Rafah,
sont aussi responsables de cette situation.
Gaza est aussi plus pauvre et plus
affamée qu’elle ne l’a jamais été. Il n’y
a pratiquement aucune marchandise qui
entre ou qui sort. Pêcher est interdit.
Les dizaines de milliers de fonctionnaires
de l’Autorité palestinienne ne
reçoivent plus aucun salaire et la possibilité
de travailler en Israël est hors
de question ».
Une crise économique et
humanitaire imposée
Depuis juin 2007, Israël a bloqué de
nouveau tout passage de marchandises
et de personnes entre Israël et Gaza aux
cinq passages qu’il contrôle (Erez, Karni,
Nahal Oz, Sufa, et Kerem Shalom).
Karni, en particulier, par où transite
habituellement la grande majorité des
marchandises qui entrent ou sortent de
Gaza. La conséquence immédiate ne
s’est pas fait attendre : plusieurs entreprises
ont dû fermer et la crise économique
à Gaza s’est encore aggravée.
Des rapports de l’ Office des Nations
unies pour la coordination des affaires
humanitaires (OCHA) [4] et de l’organisation
palestinienne pour le commerce
(Paltrade) notamment, montrent que les
exportations ont été totalement stoppées
et qu’à l’exception de quelques produits
de base (farine, sucre, huile, riz et sel),
toute importation de marchandise a également
cessé.
Ces mesures ont eu un effet désastreux.
Ainsi que le décrit un autre rapport de
Paltrade, l’activité industrielle de Gaza
est le fait d’entreprises qui dépendent
à 90% de l’importation de matières premières,
de machines et de pièces également
importées pour fonctionner.
Depuis le siège, 80% des entreprises
ont dû stopper toute activité. Les autres
fonctionnent à 60% de leur capacité.
Plus de 1300 containers de produits
importés sont bloqués en Israël, obligeant
en outre les importateurs à payer
les coûts de stockage. Le boycott a
obligé les Nations unies à suspendre
pour 93 millions de dollars de projets
de constructions pour des maisons,
écoles et traitement des eaux d’égouts
à Gaza car le ciment et les autres matériaux
de construction ont été épuisés.
Ces projets employaient 121 000 personnes.
D’une manière générale, le secteur
du bâtiment est particulièrement
touché : tous les chantiers en cours ont
été arrêtés.
Les familles qui ne peuvent ni acheter de
la nourriture ni travailler ne vivent pratiquement qu’avec du thé et du pain. Les
produits alimentaires de base comme
le lait en poudre, le lait pour bébés,
l’huile végétale et l’approvisionnement
en médicaments commencent à manquer.
Plus de 150 types de médicaments
sont épuisés dans les hôpitaux,
les cliniques et les pharmacies, des traitements
arrêtés. Une grande partie des
équipements médicaux, notamment les
machines à rayons X, ne fonctionnent
plus, faute de la maintenance nécessaire.
De nombreuses opérations ont
été retardées parce que l’équipement et
les anesthésiants nécessaires ne sont
plus disponibles.
La perte financière se chiffre à 20,6
millions de dollars simplement entre
juin et juillet. 3190 entreprises ont
fermé temporairement et entre 65 000
et 68 000 salariés -selon les différentes
sources - faisant vivre environ 450 000
personnes ont perdu leur travail. Le
taux de chômage est porté à 70% de la
population active et plus d’un million
d’habitants sur un million et demi
dépendent désormais de l’aide humanitaire
pour survivre.
La liste des organisations internationales,
humanitaires et de défense des
droits qui, depuis plus d’un an, multiplient
en vain les rapports alarmants
sur l’asphyxie économique de Gaza
et le désastre humanitaire qu’elle produit
est imposante : la Banque Mondiale,
Oxfam, l’UNRWA, CARE International,
le Programme alimentaire
mondial (PAM), B’Tselem, World
Vision, OCHA, Amnesty International,
le Conseil économique et social des
Nations unies (ECOSOC)... Comment
les Etats-Unis comme l’Europe pourraient
prétendre ne pas savoir ce qui se
joue ainsi dans la bande de Gaza ?
La fermeture du passage de Rafah
Gaza n’a ni aéroport ni port et Rafah, seul point de passage qui officiellement
n’est pas sous le contrôle direct d’Israël, est la seule porte
de sortie vers l’étranger. Le passage est géré par l’Autorité palestinienne
en coopération avec l’Egypte, sous supervision israélienne
qui en contrôle les mouvements par caméra vidéo et qui, également,
vérifie les listes de candidats au passage. Des observateurs de l’Union
européenne y sont postés, sans la présence desquels le passage ne
peut être ouvert. Depuis le 9 juin, personne n’est autorisé à traverser,
l’Egypte n’ouvrant pas le passage sans le consentement d’Israël
et en l’absence d’observateurs. Six mille Palestiniens sont restés
bloqués en Egypte. Un grand nombre d’entre eux n’avaient pas les
moyens de financer un plus long séjour en Egypte. Un certain nombre
de Gazaouis sont également bloqués à l’étranger.
Divers rapports faisaient état d’une vingtaine de morts à la frontière
égyptienne, où s’amassaient dans des campements de fortune des
centaines de Palestiniens empêchés de retourner à Gaza. Dans le
sens inverse, tous ceux qui ont besoin de passer la frontière égyptienne
pour travailler, recevoir un traitement médical ou poursuivre
des études à l’étranger en ont été empêchés. Le 30 juillet, des organisations
de défense des droits humains palestiniennes, israéliennes
et européennes ont demandé, dans un appel conjoint, la réouverture
du passage de Rafah.
Le contrôle israélien sur la bande de Gaza
Le “plan de désengagement”, accompli
en septembre 2005, est suivi de
l’annonce de la fin du gouvernement
militaire dans la bande de Gaza alors
que, dans les faits, Israël continue
depuis lors à opérer un contrôle
quasiment absolu sur tous les
aspects de la vie économique et
sociale à Gaza :
■ L’espace aérien et les eaux territoriales
sont totalement sous
contrôle. Le contrôle de l’espace
aérien permet notamment celui des
programmes de radio et de télévision.
La mainmise sur les eaux territoriales
fournit l’occasion de restreindre
les activités de pêche (voir
Monique Etienne, « La pêche à Gaza :
une industrie en danger »). L’absence d’aéroport
et de port rend impossible la circulation
des personnes et des biens
sans l’autorisation et/ou le bon vouloir
israéliens.
■ Les services de l’état-civil ont été
officiellement transférés à l’Autorité
palestinienne selon le second
accord d’Oslo en 1995, mais en pratique
ils sont toujours supervisés
par Israël qui ne reconnaît aucune
modification n’ayant pas obtenu son
accord. Le « désengagement » n’a
rien changé à cette situation, Israël
continue à déterminer qui est « résident
palestinien » et qui est « étranger », qui peut résider à Gaza et en Cisjordanie.
■ L’entrée des « étrangers » : l’Autorité
palestinienne ne peut autoriser
l’entrée à Gaza via le terminal de
Rafah qu’aux « résidents palestiniens » mais même à ceux-ci, elle
doit interdire l’entrée à Gaza si Israël
en décide pour « raison de sécurité ». Les résidents « étrangers » ne
peuvent entrer dans la bande de
Gaza que par les passages de Kerem
Shalom et d’Erez -sous contrôle
israélien. Ce qui permet notamment
de « maîtriser » (entraver) le regroupement
familial entre des Gazaouis
et leurs conjoint(e)s « résidents étrangers », mais aussi de limiter la présence
de membres d’ONG, d’experts
économiques, d’organisations de
défense des droits, de délégations
diverses... venus de l’étranger.
■ La circulation des Palestiniens
entre la bande de Gaza et la Cisjordanie
dépend entièrement d’Israël.
Les résidents de Gaza sans permis
qui sont contrôlés en Cisjordanie,
même s’ils y vivent depuis des
années, même s’ils y ont fondé une
famille, sont considérés comme « illégaux » et expulsés vers Gaza. Quant
aux résidents de Cisjordanie déclarés
« interdits de séjour à l’étranger », ils ne peuvent se rendre dans
la bande de Gaza.
■ Importations et exportations :
Karni, Sufa et Kerem Shalom, les
trois points de passage de marchandises,
sont sous contrôle israélien
(le terminal de Rafah sous « administration » de l’Autorité palestinienne
peut laisser passer des marchandises,
mais seulement à l’exportation ; or, la plupart des produits
exportés sont à destination d’Israël
et passent par Karni). Ce qui permet
de priver à volonté les Gazaouis
de produits de base et de médicaments.
■ Les taxes : Israël récolte la TVA et
les droits de douane sur les produits
à destination de Gaza et doit
les reverser tous les mois à l’Autorité
palestinienne. Ainsi peut-il stopper
les transferts d’argent - ce qui
a été fait après l’élection du Hamas
l’an dernier - par mesure de rétorsion.
Tel-Aviv gère également
l’exemption de droits de douane
pour les dons de vivres, de matériel
et de médicaments et n’hésite
pas à faire payer à des organisations
humanitaires les mêmes taxes
qu’à un importateur commercial.
Source : B’Tselem , “The scope of
Israeli Control in the Gaza Strip”.
http://www.btselem.org