- Vue aérienne de Etz Ephraim, dans le district de Tulkarem. © Eyal Weizman.
Le moment ressemble à une coïncidence
et l’annonce à une provocation
: le 26 décembre 2006, soit à
peine quelques jours après la première rencontre,
depuis longtemps, entre le président
palestinien Mahmoud Abbas et le Premier
ministre israélien Ehud Olmert, son
collègue à la Défense, Amir Peretz, annonçait
qu’il venait d’autoriser la construction
de trente logements pour une nouvelle colonie
en Cisjordanie occupée. C’est sur un
terrain abandonné par l’armée, au lieu-dit
« Maskiot » selon la toponymie israélienne
et non loin d’une autre colonie du nord de
la vallée du Jourdain, que ce nouveau projet
était alors censé démarrer, première
phase de construction d’une colonie qui
devait ensuite compter 100 logements. Mais
la provocation ne s’arrête pas là : ces logements
sont censés être tous destinés à des
colons... évacués de la bande de Gaza.
Selon l’actuel ministre israélien de la
Défense, il s’agit d’honorer une promesse
faite aux colons par son prédécesseur,
Shaoul Mofaz. Le droit au logement, en
quelque sorte. Mais en toute illégalité, dans
les territoires palestiniens. Pourtant, le 19
janvier 2007, le ministère israélien de la
Défense annonçait le « gel » du projet en
question. Comment le lire ?
En fait, ce projet Maskiot n’est pas passé
inaperçu. Pour la première fois depuis 1992,
en effet, les autorités israéliennes annonçaient
ainsi non pas seulement l’agrandissement
de colonies existantes, mais la construction
d’une nouvelle colonie. Pour une fois,
les réactions internationales n’ont pas tardé.
Dès le 27 décembre, la présidence, alors
finlandaise, de l’Union européenne manifestait
sa « profonde préoccupation », soulignant
que « de telles actions sont non seulement
unilatérales mais illégales au regard
du droit international ». Au même moment,
le gouvernement américain lui-même se
disait contrarié, tandis que le porte-parole
du Département d’Etat rappelait que « la création d’une nouvelle colonie ou l’extension
d’une colonie existante contreviendrait
aux obligations assumées par
Israël dans le cadre de la Feuille de
Route ». Ces vives réactions internationales
n’ont au demeurant pas empêché
le gouvernement israélien d’annoncer le
15 janvier 2007, alors que Condoleezza
Rice rendait visite à Ehud Olmert, un
appel d’offre pour la construction de
quarante-quatre logements dans la colonie
de Maale Adumim, la plus grosse
des colonies israéliennes qui, de par sa
situation à l’Est de Jérusalem, est au
coeur de l’opération de morcellement
total de la Cisjordanie.
Aussi, ces pas en avant suivis d’un pas
en arrière, tous très annoncés, ressemblent
fort à une opération de communication
consistant à exhiber quelques arbres pour
mieux cacher la forêt.
La forêt, c’est la colonisation de la Cisjordanie
qui, comme on pouvait s’y
attendre, n’a rien perdu de sa vigueur
après le retrait israélien unilatéral de la
bande de Gaza en août 2005, bien au
contraire. L’été dernier, tandis que les
médias étaient tournés vers le Liban
et le déluge de feu qu’il était en train
de subir, les habitants des colonies
dites « sauvages » -c’est-à-dire non
encore autorisées par les autorités
d’occupation elles-mêmes - n’ont
pas chômé, comme l’a relevé La Paix
Maintenant et notamment Dror Etkes,
fondateur voici quinze ans et directeur
de l’Observatoire de la Colonisation
de ce mouvement pacifiste
israélien, qui observe activement l’avancée
de la colonisation en Cisjordanie.
- La colonie de Ma’ale Adumim. Sur un total de 12.694 dunams, 86,4% sont des terres privées palestiniennes, selon la Paix Maintenant.
- © la Paix Maintenant
468 000 colons israéliens
Du dernier rapport de l’Observatoire de
la colonisation, il ressort qu’aujourd’hui
468 000 colons israéliens vivent au milieu
de 2,5 millions de Palestiniens, 200 000
autour de Jérusalem-Est, ou du moins
des frontières qu’elle avait en juin 1967,
et 268 000 dans le reste de la Cisjordanie.
Ce sont 20 grosses colonies qui
entourent Jérusalem, tandis que 121
autres sont réparties à peu près partout
en Cisjordanie, trois d’entre elles dépassant
30 000 habitants : Maale Adumim,
à l’est de Jérusalem, Modi’in Illit au
nord-ouest, dans le gouvernorat de Ramallah,
et Betar Illit à l’ouest de Bethléhem.
Si le bâti de ces colonies grandes et petites
occupe quelque 6% de l’espace cisjordanien,
avec tout le réseau routier qui
leur est réservé et le Mur qui entoure
maintenant une grande partie d’entre
elles, c’est près de 30% de leur espace
qui est confisqué aux Palestiniens. Colonies,
routes de contournement et Mur se
traduisent en outre par une terrible fragmentation
du territoire de la Cisjordanie
et par l’isolement des zones peuplées
les unes par rapport aux autres. A cela
s’ajoute le fait que le gouvernement israélien
est en train de vider en silence la
vallée du Jourdain de ses habitants palestiniens,
en expropriant les « absents » et
en interdisant à 2000 Palestiniens (figurant
sur la « liste des 100 » que dénonce
Akiva Eldar, dans un article publié par
le quotidien Ha’aretz, le 14 mars 2006)
de rendre visite à leurs proches demeurés
sur place.
Colonies en « croissance
naturelle » et trafics douteux
Il est difficile de qualifier de « naturelle »
la croissance de Betar Illit et de Modi’in
Illit dont la population a plus que doublé
entre 1999 et 2004, en sorte qu’elles
ont maintenant autant d’habitants que
Maale Adumim qui fut longtemps la
plus grosse colonie de Cisjordanie. Mais,
contrairement à la population de cette dernière
colonie et de la plupart des autres
qui sont constituées de colons idéologiques
ou, de plus en plus fréquemment,
de cadres moyens appréciant les maisons
avec piscine et le beau cadre
qu’offrent les collines de Cisjordanie,
ce sont uniquement des familles religieuses
aux revenus modestes qui vivent
à Betar Illit et à Modi’in Illit. La frénésie
de construction dont ces deux colonies
sont depuis dix ans le théâtre, n’est pas autant qu’ailleurs le fait de
colons messianiques soutenus par leurs
représentants politiques et une administration
militaire complaisante - qui, pour
mettre à leur disposition des terrains, a
abondamment utilisé, et détourné à leur
profit, le procédé de la réquisition pour
raisons « de sécurité ». Elle est ici le fruit
d’une alliance hétéroclite entre promoteurs
immobiliers intéressés par les terrains,
entreprises de construction à l’affût de
profits et politiciens adeptes du Grand
Israël. Tout ce monde a évidemment le
soutien de l’Etat qui ferme notamment les
yeux sur les procédés douteux utilisés
par les promoteurs immobiliers pour se
procurer les terrains et sur le fait que des
quartiers entiers sortent de terre sans permis
de construire. Dans un article publié
par Le Monde diplomatique d’août 2006,
Gadi Algazi parle de nouveau Far Est du
capitalisme israélien pour qualifier les
mécanismes du développement exponentiel
de la construction, dans les colonies
de la Ligne verte, sitôt achevé un pan
du Mur qui leur apporte l’espace nécessaire,
un espace de surcroît protégé - de
quoi attirer promoteurs et entreprises de
construction en mal de profits.
Tout cela se fait de moins en moins sur
des terres « réquisitionnées » par l’armée,
mais de plus en plus sur des terres privées
très souvent acquises irrégulièrement.
Dans deux articles parus dans
Ha’aretz en décembre 2005 et janvier
2006, Akiva Eldar avait notamment levé
le voile sur le fait que des promoteurs
israéliens ne tenaient pas de leur véritable
propriétaire des terrains de Bi’lin
destinés à l’extension de Matityahou,
un faubourg de Modi’in Illit. Ses articles
devaient beaucoup aux investigations
menées par deux ONG israéliennes,
B’tselem et Binkom (« Urbanistes pour
les droits humains ») et par l’Observatoire
de la colonisation de La Paix Maintenant.
Il s’est de surcroît avéré que les
immeubles qui poussaient tels des champignons,
sur des terrains aussi douteusement
acquis, n’avaient pas obtenu les
permis de construire correspondants.
Aussi La Paix Maintenant s’est-elle associée
aux propriétaires spoliés de Bi’lin,
pour demander à la Cour suprême d’Israël
d’ordonner la suspension des travaux ;
ils ont obtenu satisfaction au terme d’une
décision rendue le 13 février 2006 qui
interdit en outre au promoteur de faire
habiter les logements déjà achevés. Mais
l’histoire ne s’arrête pas là et ils n’en
ont pas fini avec la mafia qui sévit autour
de cette fameuse colonie de Mod’in Illit.
Le comité du plan de « Judée/Samarie »
(ainsi que les autorités israéliennes nomment
la Cisjordanie) a délivré le mois
dernier un permis de construire à quarantedeux
immeubles en projet ou déjà
construits entre Modi’in Illit et Matityahou,
notamment sur des terres de
Bil’in. Ce permis de construire légalise
a posteriori les immeubles qui avaient
fait l’objet de la décision rendue il y a un
an par la Cour suprême. Elle a donc à nouveau
été saisie par les habitants de Bil’in
et la Paix Maintenant, qui dénoncent la
collusion manifeste entre les militaires
composant le Comité du Plan et les promoteurs
et entrepreneurs s’affairant sur
ces terres palestiniennes.
Pour résister à la confiscation coloniale
de leur terre, et en dépit des soldats israéliens
qui les répriment et les provoquent,
les habitants de Bil’in mènent une résistance
non-violente exemplaire. Si le village
est devenu un symbole, la résistance
s’organise de même sur d’autres terres également
menacées ou confisquées. De plus
en plus d’anti-colonialistes israéliens et
d’étrangers solidaires participent à la
manifestation hebdomadaire de Bil’in
contre le Mur et contre les colons qui
leur volent leurs terres. Cette résistance
se popularise et reçoit le soutien de nombreuses
associations et d’organismes de
solidarité de par le monde, laïques mais
aussi religieux, parmi lesquels le Conseil
oecuménique des églises qui regroupe à
l’échelon mondial la majorité des protestants
et l’ensemble des orthodoxes.
Des volontaires de toutes nationalités
viennent par dizaines en son nom, sur
place, et y demeurent au moins trois mois
au côté de la population palestinienne.
Cette année, alors que près de 60% des
terres du village ont été annexées, c’est
en solidarité avec leurs habitants et leur
résistance qu’aura lieu du 18 au 20 avril,
la deuxième conférence annuelle à Bil’in.
Une solidarité citoyenne, qui appelle
aussi la communauté internationale à
réagir, à protéger la population palestinienne,
à mettre en oeuvre l’avis de la
Cour internationale de Justice contre le
Mur et à se conformer à la Quatrième
Convention de Genève : sauvages ou
non, les colonies israéliennes sont bel et
bien illégales.