La femme d’Abu Shukri essaie de protéger comme elle peut l’une des ses deux filles, dont on apprend vite qu’elle a été violée. C’est pour échapper au devoir de la tuer, comme le veut la tradition, selon laquelle être violée ou être complaisante revient au même, et pour se cacher du déshonneur, que le père avait donc décidé dix ans auparavant d’enterrer sa famille dans ce coin isolé où le drame va enfin se dérouler, comme dans une tragédie antique.
Atash est une œuvre très forte, radicale, qui aborde le conflit israélo-palestinien et l’occupation par le biais d’une tragédie familiale, certes, mais en y faisant régulièrement référence. La nécessité de canaliser la source voisine jusqu’à leur enclave (cette soif d’eau qui donne le titre au film), la nécessité de la protéger ensuite des incursions israéliennes (réelles ou imaginaires, car les images deviennent floues et presque oniriques), le long chemin que le fils doit faire pour se rendre à l’école, l’obstination à rester dans sa propre terre colonisée, coûte que coûte...
Et la tyrannie du père, sorte de padre padrone meurtri par l’injustice, croulant sous le poids d’une tradition qu’il essaie de préserver en empêchant toute intrusion de la « modernité », symbolisée ici par une pièce fermée qui abrite une radio, un sofa, un instrument de musique et que la mère décide d’ouvrir pour ses enfants pendant une absence du père. La mère, forte et faible en même temps, devient lumineuse lorsqu’elle apprend à écrire son nom, aidée par Gamila, la fille « maudite ». Elle qui, analphabète, aide son fils à partir à l’école en détournant l’attention du père...
Atash a été réalisé en un mois, avec des acteurs non professionnels, prodigieux, sobres, dans la région de Um El-Fahem, ville natale de Tawfik Abu Wael. Et non sans difficultés. Trouver l’argent pour le financer a été difficile, a expliqué le cinéaste, comme ce l’est toujours pour un Arabe israélien. Finalement, grâce au fonds Yhoshua Rabinovitch, au fonds Hubert Bals et à une chaîne de télévision, Tawfik Abu Wael, qui avait déjà réalisé des courts métrages et un documentaire remarqué, a pu terminer son film. Son producteur, Avi Kleinberger, avait déjà travaillé avec les cinéastes Costa-Gavras et Elia Suleiman.
Les images, d’une beauté froide qui ne laisse pas de place à l’émotion, évoquent le style du cinéma syrien. On pense au magnifique film de Oussama Mohammed, Sacrifices, et à la violence explosive de la famille paysanne dont il nous avait donné les images. Ici aussi, la cruauté familiale puise ses racines dans la société, même si le cinéaste se défend d’avoir voulu faire un film « politique ». « Il n’y a pas de film qui ne soit pas politique, mais ce sont les relations entre les êtres humains qui m’intéressent. Je n’ai pas voulu utiliser le conflit pour faire un film, j’ai fait un film sur des êtres humains. Les relations entre les êtres humains sont politiques. C’est là que je situe mon enjeu politique. Le conflit est présent entre les personnages, dans leur âme, dans la complexité de leurs relations, dans leur conscience. J’ai situé mon film dans une vallée près du village où j’habite, Um El-Fahem. Un village où l’Israélien est un étranger. Pour nous, l’Israélien, c’est l’Etat, c’est le patron pour qui on travaille, l’université dans laquelle on étudie. Dans Atash, j’ai représenté le monde d’où je viens [1]. »
Pas de happy end, pas de héros dans cette œuvre qui ne fait aucune concession. La vie est souffrance, l’avenir est sombre. Mais reste la soif de vie...