« Compte tenu des pouvoirs et responsabilités de l’ONU à l’égard des questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, la Cour est d’avis que la construction du mur doit être regardée comme intéressant directement l’ONU en général (...). La responsabilité de l’ONU à cet égard trouve également son origine dans le mandat et dans la résolution relative au plan de partage de la Palestine. Cette responsabilité a été décrite par l’Assemblée générale comme "une responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de Palestine jusqu’à ce qu’elle soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale". »
Espoir teinté d’anxiété, tel était l’état d’esprit de bon nombre d’hommes et de femmes à travers le monde ce 9 juillet dans l’attente de l’avis que devait rendre la Cour internationale de justice sur la question posée le 8 décembre 2003 par l’Assemblée générale des Nations unies (résolution A/ES-10/14) quant aux « conséquences », au regard du droit international, « de l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé [1]. » Espoir parce que la CIJ est la plus haute juridiction du monde, qu’elle « dit » le droit international, que ses juges comptent parmi les plus éminents et que, en l’espèce, les références juridiques sont impressionnantes en nombre ; il était donc permis de penser que « le droit est le droit » et que les juges allaient le dire. Anxiété parce que toutes les règles juridiques comportent des exceptions ou des réserves qui permettent des contorsions quelquefois inattendues, que la Cour pouvait décider de ne pas répondre à la question posée comme l’avaient conseillé en particulier les pays de l’Union européenne et que tous les textes juridiques mentionnés ont gaillardement été violés par Israël au su et au vu de la communauté internationale tout entière depuis des décennies.
Retour au droit
L’avis rendu public le 9 juillet a donné des raisons d’espérer. Les juges ont interrogé sans complaisance le droit sous tous ses aspects, en étudiant au préalable de façon approfondie s’ils devaient ou non accepter de répondre à la question posée par l’Assemblée générale. Après avoir tranché positivement cette question préalable, l’avis a conclu à l’illégalité du mur édifié en territoire palestinien.
Et c’est ensuite à une large majorité (150 voix pour, 6 voix contre et 10 abstentions) que l’Assemblée générale de l’ONU a adopté le 20 juillet une résolution (A/ES-10/15) « exigeant qu’Israël s’acquitte de ses obligations en vertu de l’avis... » et « priant le Secrétaire général d’établir un registre des dommages causés en vue de leur réparation. »
L’observateur de la Palestine, Nasser Al-Kidwa, a estimé que cette résolution pourrait être considérée comme « la plus importante de l’Assemblée générale depuis l’adoption de sa résolution 181 de 1947 [2] . » Avant même son adoption, il avait, devant l’Assemblée générale de L’ONU, caractérisé l’avis de la CIJ d’« évolution déterminante » pour ramener le droit international au centre du dialogue dans la question de la Palestine et dans le conflit israélo-palestinien.
- Le mur à Abu Dis, mars 2004 (© Joss Dray)
Au contraire, le représentant de l’Etat d’Israël a déclaré que « L’Assemblée méconnaît par ce vote le droit à l’exercice de la sécurité nationale des citoyens israéliens » et a demandé que « les pays du Quatuor s’élèvent contre la manière avec laquelle les Palestiniens abusent des organes des Nations unies. » (sic)
C’est bien à un tournant dans le sens de la primauté du droit que nous assistons maintenant, et à une sorte de sursaut d’une certaine démocratie internationale, qui pourraient marquer un nouveau pas vers le règlement pacifique des conflits mondiaux (entre Etats, entre nations, entre peuples, entre Etat et mouvement de libération nationale, etc.) C’est pourquoi il est intéressant de revenir sur l’articulation de l’avis.
« Aucune raison de ne pas donner son avis »
La communauté internationale, dans son ensemble ou dans plusieurs de ses composantes prises séparément, a souvent condamné le Mur et la bataille purement juridique avait toutes les chances d’être perdue par les supporters de la politique israélienne. Aussi les contributions, écrites ou orales, de ceux qui avaient voté contre la résolution A/ES-10/14 (essentiellement Israël et les Etats-Unis) ou qui s’étaient abstenus (notamment les pays de l’Union européenne) ont surtout soulevé des questions de compétence et d’opportunité. La Cour a donc consacré une large partie (17 pages) de son avis de 64 pages à répondre à ces questions.
Avant de conclure à sa compétence pour donner l’avis consultatif demandé, l’avis précise, en vingt-neuf paragraphes (dix pages), des notions très importantes, notamment quant aux compétences et responsabilités respectives de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité de l’ONU, à savoir :
1.- Notant dans sa jurisprudence « une tendance croissante à voir l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité examiner parallèlement une même question relative au maintien de la paix et de la sécurité internationale », la Cour conclut qu’« en présentant la demande d’avis consultatif, l’Assemblée générale n’a pas outrepassé sa compétence. »
2.- En application de la résolution 377 A (V) qui précise : « Dans tout cas où paraît exister une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression et où, du fait que l’unanimité n’a pas pu se réaliser parmi ses membres permanents, le Conseil de sécurité manque à s’acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’Assemblée générale examinera immédiatement la question afin de faire aux membres les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre... », et compte tenu du déroulement des événements à l’ONU, la Cour conclut à la régularité de la nouvelle convocation de la session d’urgence de l’Assemblée générale et de l’adoption de la résolution qui a saisi la Cour.
3.- Concernant la nature politique et non juridique de la question posée, la Cour est d’avis que la question posée « a bien un caractère juridique » et elle « estime que le fait qu’une question juridique présente également des aspects politique ne suffit pas à la priver de son caractère de question juridique et à enlever à la Cour une compétence qui lui est expressément conférée par son Statut. »
Mais une fois les problèmes de compétence tranchés, la Cour pouvait-elle user de son pouvoir discrétionnaire de ne pas répondre à la question posée pour des motifs d’opportunité [3] ? L’avis développe en vingt-deux paragraphes les questions soulevées, essentiellement par Israël et par les pays de l’Union européenne, en particulier la France. Les réponses sont extrêmement claires :
1. - « Compte tenu de ses responsabilités en tant qu’organe judiciaire principal des Nations Unies [...] la Cour ne devrait pas en principe refuser de donner un avis consultatif, et seules des raisons décisives devraient l’amener à opposer un tel refus. »
2.- Le fait qu’Israël ne reconnaisse pas la juridiction de la Cour pour trancher un différend dont il serait partie est sans effet sur la compétence de la Cour pour donner un avis consultatif le concernant, sauf si le fait de donner cet avis avait pour effet de contourner l’absence de consentement d’Israël pour, en fait, régler un litige entre deux parties. Contrairement à ce que prétend Israël, La cour démontre qu’il ne s’agit pas là d’un différent bilatéral. « [...] Compte tenu des pouvoirs et responsabilités de l’Organisation des Nations Unies à l’égard des questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, la Cour est d’avis que la construction du mur doit être regardée comme intéressant directement l’Organisation des Nations Unies en général et l’Assemblée générale en particulier. La responsabilité de l’Organisation à cet égard trouve également son origine dans le mandat et dans la résolution relative au plan de partage de la Palestine. Cette responsabilité a été décrite par l’Assemblée générale comme ’une responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de Palestine jusqu’à ce qu’elle soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale’. »
3.- Le fait pour la Cour de se saisir de la question pourrait-il être un obstacle au règlement politique de la question, en particulier au bon déroulement de la feuille de route ? Cet argument n’apparaît pas de façon évidente à la Cour « qui ne saurait considérer ce facteur comme une raison décisive de refuser d’exercer sa compétence. »
4.- « La Cour estime [...] qu’elle dispose de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale [4]. »
5.- A l’argument d’Israël que cet avis est inutile, la Cour répond qu’elle « ne peut substituer sa propre appréciation de l’utilité de l’avis demandé à celle de l’organe qui le sollicite, en l’occurrence l’Assemblée générale. En outre, et en tout état de cause, la Cour estime que l’Assemblée générale n’a pas encore procédé à la détermination de toutes les conséquences possibles de sa propre résolution. La tâche de la Cour consisterait à déterminer l’ensemble des conséquences juridiques de l’édification du mur, alors que l’Assemblée générale - et le Conseil de sécurité - pourraient ensuite tirer des conclusions de ces déterminations de la Cour. »
6.- Enfin, Israël ayant avancé que « la Palestine, compte tenu de la responsabilité qui est la sienne dans les actes de violence auxquels le mur vise à parer, commis contre Israël et sa population, ne saurait demander à la Cour de remédier à une situation résultant de ses propres actes illicites », « la Cour souligne[...] que c’est l’Assemblée générale qui a sollicité un avis consultatif, et qu’un tel avis serait donné à l’Assemblée générale et non à un Etat ou une entité déterminés. »
En conséquence, la Cour estime qu’il n’existe aucune raison décisive pour qu’elle use de son pouvoir discrétionnaire de ne pas donner l’avis demandé par l’Assemblée générale.
Le reste de l’avis cherche à répondre à la question posée. La démarche est expliquée au paragraphe 69 : « La Cour effectuera tout d’abord une brève analyse du statut du territoire en cause, puis décrira les ouvrages construits ou en cours de construction sur ce territoire. Elle indiquera ensuite quel est le droit applicable, avant de rechercher si celui-ci a été méconnu. »
Population occupée,
droit aux droits
Pour analyser le statut du territoire concerné par le Mur, la CIJ fait un bref historique qui commence par le mandat britannique, considérant que le « mandat a été créé dans l’intérêt des habitants du territoire et de l’humanité en général ». Puis elle cite la résolution de l’ONU décidant du plan de partage (refusé par la population arabe de Palestine) et la guerre de 1948-49 dont la convention d’armistice signée entre l’Etat d’Israël nouvellement proclamé et le royaume de Jordanie fixait la ligne d’armistice à ce que l’on a appelé par la suite la « Ligne verte ». Elle rappelle ensuite que c’est au cours de la guerre de 1967 que « les forces armées israéliennes occupèrent l’ensemble des territoires qui avaient constitué la Palestine sous mandat britannique (y compris les territoires désignés sous le nom de Cisjordanie situés à l’est de la Ligne verte). » La relation des événements survenus jusqu’à aujourd’hui aboutit à la conclusion de la Cour selon laquelle « Les territoires situés entre la Ligne verte et l’ancienne frontière orientale de la Palestine sous mandat (y compris Jérusalem-Est) demeurent des territoires occupés et Israël y a conservé la qualité de puissance occupante. »
Il n’est nul besoin de revenir ici sur la description du mur - l’avis lui consacre trois pages - que le lecteur connaît. En revanche, il est intéressant d’examiner la longue analyse qui suit (paragraphes 86 à 112) des textes de droit international pertinents ; la Cour a pris soin de développer cette partie car Israël conteste l’applicabilité de certains de ces textes à la situation dont il est question.
Tout d’abord la Cour rappelle plusieurs principes fondateurs de l’ONU :
1.- Au § 87, le caractère illicite de toute acquisition de territoire résultant de la menace ou de l’emploi de la force,
2.- Au § 88, le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, citant de surcroît la résolution 2625 de l’Assemblée générale qui dispose que « tout Etat a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l’autodétermination ... les peuples mentionnés [dans ladite résolution] » et l’article premier commun aux Pactes de 1966 qui « réaffirme le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes et fait obligation aux Etats parties de faciliter la réalisation de ce droit et de le respecter, conformément aux dispositions de la Charte des Nations unies. » Puis la Cour se réfère à son avis consultatif rendu en 1971 sur « les conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)... » soulignant que « l’évolution actuelle du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il est consacré par la Charte des Nations unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires » et que « du fait de cette évolution, il n’y a guère de doute que la ’mission sacrée’ visée au paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte de la Société des Nations "avait pour objectif ultime l’autodétermination ... des peuples en cause" » pour conclure : « Aujourd’hui le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un droit opposable erga omnes [à l’égard de tous] » c’est-à-dire un droit valable pour tous et dont l’application est de la responsabilité de tous.
La Quatrième Convention de Genève doit s’appliquer en Palestine occupée
La prétention d’Israël de la non applicabilité de jure de la Quatrième convention de Genève de 1949 relative à la protection des populations civiles en temps de guerre est battue en brèche par la CIJ qui, après un développement très juridique dont nous ferons l’économie ici, conclut à l’applicabilité de la Quatrième convention de Genève aux territoires palestiniens occupés par Israël, non sans avoir relevé un arrêt du 30 mai 2004 de la Cour suprême israélienne allant dans le même sens.
- Abu Dis , mars 2004. (© Joss Dray)
Quant aux textes relatifs aux droits humains, Israël fait la distinction entre le droit humanitaire qui s’appliquerait en temps de guerre et les instruments relatifs aux droits de l’homme qui auraient pour objet « d’assurer la protection des citoyens vis-à-vis de leur propre gouvernement en temps de paix ». Donc ils ne seraient pas applicables par Israël aux Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza [5]. En réponse, en premier lieu la Cour « estime que la protection offerte par les conventions régissant les droits le l’homme ne cesse pas en cas de conflit armé ». D’autre part, après avoir examiné les travaux préparatoires des Pactes et de la Convention des droits de l’enfant (ainsi que les rapports d’Israël au Comité des droits de l’Homme et au Comité des droits économiques, sociaux et culturels), la Cour conclut que ces instruments sont applicables à Israël « agissant dans l’exercice de sa compétence en dehors de son propre territoire » et que, de surcroît, s’agissant du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, « Israël est aussi dans l’obligation de ne pas faire obstacle à l’exercice de ces droits dans les domaines où compétence à été transférée à des autorités palestiniennes. »
Un ensemble de violations
La Cour, au vu des textes applicables et compte tenu de la situation créée sur le terrain par le Mur, va alors rechercher si l’érection du Mur en territoire palestinien constitue une violation de ces textes. Elle commence par le premier droit du peuple palestinien, son droit à l’autodétermination, pour aborder ensuite les protections que garantissent le droit international humanitaire et les textes relatifs aux droits humains.
Concernant le droit à l’autodétermination, en sept paragraphes (115 à 122), la Cour démontre que « les colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est) l’ont été en méconnaissance du droit international » ; que « le tracé choisi pour le Mur consacre sur le terrain les mesures illégales prises par Israël et déplorées par le Conseil de sécurité en ce qui concerne Jérusalem et les colonies de peuplement », pour conclure : « Cette construction, s’ajoutant aux mesures prises antérieurement, dresse ainsi un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et viole de ce fait l’obligation incombant à Israël de respecter ce droit. »
Quant à la protection conférée par les textes relatifs au droit international humanitaire et aux textes relatifs aux droits humains et aux droits de l’enfant, et prenant en compte les dérogations possibles invoquées par Israël pour la protection de ses propres ressortissants contre les attaques palestiniennes, la Cour, après avoir examiné un par un les articles pertinents de chacun des textes applicables, observe que cette construction, combinée à l’établissement des colonies de peuplement, tend à modifier la composition démographique du territoire palestinien occupé et elle conclut dans son paragraphe 137 : « Le mur tel que tracé et le régime qui lui est associé portent atteinte de manière grave à de nombreux droits des Palestiniens habitant dans le territoire occupé par Israël sans que les atteintes résultant de ce tracé puissent être justifiées par des impératifs militaires ou des nécessités de sécurité nationale ou d’ordre public. La construction d’un tel mur constitue dès lors une violation par Israël de diverses obligations qui lui incombent en vertu des instruments applicables de droit international humanitaire et des droits de l’Homme. »
Cependant, Israël avait invoqué, pour justifier le mur, son droit naturel de légitime défense tel qu’énoncé dans l’article 51 de la Charte de l’ONU : « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. » Cette disposition ne s’applique pas au cas particulier mais la Cour, ayant recherché si un état de nécessité permettrait d’exclure le caractère illicite du mur, « estime qu’Israël ne saurait se prévaloir du droit de légitime défense ou de l’état de nécessité, comme excluant l’illicéité de la construction du mur qui résulte des considérations mentionnées aux paragraphes 122 et 137 ci-dessus. En conséquence, la Cour juge que la construction du mur et le régime qui lui est associé sont contraires au droit international. »
La communauté internationale doit obliger Israël à démanteler le Mur
A la page 57 de l’avis il est temps d’en arriver à l’examen des conséquences juridiques des violations que constitue l’érection par Israël du mur en territoire palestinien occupé. La Cour énonce alors, de façon particulièrement claire, les conséquences pour l’Etat d’Israël, les conséquences pour les autres Etats, et les conséquences pour l’ONU.
La Cour affirme d’abord l’obligation pour Israël de respecter, et pour les autres Etats de faire respecter, les droits reconnus comme erga omnes (qui s’imposent à tous), c’est-à-dire les obligations découlant du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains et, avec une insistance particulière, le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.
Très concrètement, concernant le mur, Israël doit cesser sa construction, démanteler les parties déjà construites en territoire palestinien occupé, abroger les actes législatifs et réglementaires pris pour cette action (par exemple les ordres de réquisition), et réparer tous les dommages causés par la construction du mur, de préférence par la restitution en l’état d’origine, à défaut par une compensation financière, à toute personne physique ou morale touchée avec, le cas échéant, des indemnités pour le préjudice subi. Tous les Etats doivent tout faire pour que cesse la situation illicite, en commençant par refuser de reconnaître la situation créée par la construction du mur. Quant à l’ONU, elle est invitée à examiner quelles mesures doivent être prises pour faire cesser cette situation.
Une fenêtre d’espoir
Pourquoi cet avis est-il si important ? Contrairement à ce qui a été dit, il devrait à plus ou moins long terme, avoir une portée concrète. Parmi les points positifs, quatre peuvent être mis en évidence :
Tout d’abord, l’avis a été adopté à la quasi unanimité des quinze juges composant la Cour, ce qui est exceptionnel dans l’histoire de la CIJ. Seul le juge américain a voté contre les différentes conclusions. Encore faut-il noter que c’est au motif que, selon lui, la Cour aurait dû « exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser de rendre l’avis qui lui était demandé car elle ne disposait pas d’informations et d’éléments de preuves suffisants pour le faire ». Compte tenu de l’importance de cette juridiction mondiale et de la qualité de ses juges, c’est bien d’une légitimité juridique internationale que bénéficie cet avis à destination de la communauté internationale elle-même.
En second lieu, la Cour met Israël devant sa responsabilité juridique internationale et tous les Etats sont invités à s’acquitter de leur obligation de faire respecter le droit international humanitaire. Cette conclusion peut permettre aux Etats de rendre leur droit interne conforme au droit humanitaire international. En effet, l’article 146 de la quatrième Convention de Genève de 1949 va jusqu’à prévoir des sanctions pénales (voir encadré). De surcroît, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les violations graves aux conventions de Genève sont des crimes de guerre imprescriptibles de la compétence de la Cour pénale internationale.
Le troisième point positif concerne l’accent mis sur le droit à l’autodétermination des Palestiniens, l’insistance avec laquelle la Cour exhorte la communauté internationale à permettre l’exercice de ce droit par les Palestiniens, l’attention qu’elle a portée à « la Palestine » dans la procédure suivie pour rendre son avis, sont comme un écho à la proclamation de l’Etat palestinien par le Conseil national palestinien d’Alger en 1988 (Etat reconnu par plus de cent pays). Et c’est un signe encourageant de la marche de la Palestine vers sa souveraineté. Encore faudrait-il que cette marche ne soit pas systématiquement empêchée par l’Etat d’Israël. Le sort du peuple d’Israël est indissociablement lié à celui du peuple de Palestine. Comme le rappelle souvent Monique Chemillier Gendreau et comme elle l’a rappelé devant la Cour [6] : la recommandation 181 de l’Assemblée générale qui, le 29 novembre 1947 décidait du plan de partage de la Palestine mandataire, « constitue la base de légitimité à l’existence de l’Etat d’Israël, mais elle n’en constitue pas un titre juridique achevé. L’effectivité incontestable de l’Etat israélien ainsi que les reconnaissances dont il a bénéficié viennent certes conforter des origines chaotiques. Mais il manque encore une pièce essentielle : l’accord du peuple palestinien. Celui-ci doit acter son renoncement à une part importante du territoire du mandat sur lequel la communauté internationale s’était engagée à le mener à l’indépendance. » Ce renoncement ne sera total que lorsqu’un Etat de Palestine souverain verra le jour, concrétisation de l’accomplissement du droit des Palestiniens à l’autodétermination.
Enfin, en Israël, cet avis, tant décrié par le gouvernement et même par des intellectuels, ne peut pas ne pas donner à réfléchir aux grands juristes que compte ce pays et à la population qui ne pourra pas éternellement fermer les yeux sur ce qui se passe de l’autre côté. Il a déjà permis de poser la question de l’objectif de sécurité du Mur. C’est la première fois que ce tabou est levé car en Israël l’argument sécuritaire est intouchable. De même qu’il a suscité une prise de conscience des dangers de tout légitimer au nom du « combat contre le terrorisme » [7] . L’arrêt rendu le 30 juin par la Cour suprême israélienne à la suite de la requête de Palestiniens victimes du mur, même si elle ne remet pas en cause la légalité du mur, contient des éléments positifs et se réfère à plusieurs reprises au droit international . L’avis rendu par la CIJ ne pourra pas manquer d’être utilisé par les avocats de tous les autres Palestiniens qui ont introduit des instances devant la Cour suprême, et les juges seront bien obligés d’y répondre.
Cette fenêtre d’espoir s’ouvrira complètement quand les Israéliens comprendront qu’« Israël n’a pas besoin d’un mur pour vivre en paix. Israël a besoin de conclure au plus vite un accord avec la Palestine [8]. »