Qualifié de modéré par Washington, le pays du roi Abdallah Ben Abdelaziz reprend l’initiative, laissant derrière l’Egypte de Hosni Moubarek et la Jordanie de Abdallah II.
Le retour sur scène de l’Arabie Saoudite a été matérialisé, avec éclat, par les accords de La Mecque qui ont scellé l’entente interpalestienne après les affrontements de rue entre les hommes armés de Fatah et de Hamas. Riyad, Amman, Le Caire et, accessoirement, Abu Dhabi constituent le premier « axe positif » des Etats-Unis dans le Proche et Moyen-Orient.
Axe à opposer, au besoin, aux prétendus durs de l’ensemble de la région et à étendre dans la perspective d’un affrontement avec l’Iran, accusé sans preuves tangibles de développer du nucléaire militaire. Traditionnellement, Riyad et Téhéran se tolèrent à peine.
Une brèche que les concepteurs de la politique extérieure américaine dans le Moyen-Orient entendent élargir par l’extension de la supposée rivalité entre chiites et sunnites. Rivalité transformée, grâce à des actions psychologiques, en déchirements sanglants en Irak. Ce n’est pas par hasard que l’armée US procède actuellement à de grosses manœuvres maritimes dans le Golfe. « On veut assurer la sécurité de nos amis et de nos alliés dans la région », a déclaré hier, à Al Jazeera, le capitaine Frank Pasqual. Ce militaire n’a pas précisé la provenance de la menace.
La secrétaire d’Etat américaine, Condoleeza Rice, qui adore le footing et qui ne compte pas encore dans ses tablettes des succès diplomatiques reconnus, était en tournée dans la région. Informée par la remise sur les rails de l’initiative arabe de paix de Beyrouth, elle appelé les pays arabes « à tendre la main à Israël et lui assurer son existence dans un monde plus sûr ». Elle n’a donné aucune teneur au sens de « tendre la main ».
Action militaire, action diplomatique. Washington suit de près le rendez-vous, pourtant ordinaire, de Riyad, à défaut d’y exercer des pressions directes. Hier, un internaute, dans un forum organisé par le quotidien Al Qods Al Arabi, qui paraît à Londres, a écrit ceci : « En tant que citoyen arabe, lassé par le mensonge et l’hypocrisie, j’invite Mme Rice à assister au sommet arabe et le présider pour qu’elle prenne des décisions directement. »
Le sommet, selon le roi Abdallah Ben Abdelaziz, cité par l’agence SPA, est l’expression d’une volonté arabe « indépendante ». Réellement ? « La nation veut du cœur, pas la langue, le droit pas la promesse », a écrit Samir Attatallah, éditorialiste d’Acharq Al Awsat, journal saoudien basé également à Londres. Le journaliste est convaincu que le sommet « sortira » avec des résultats.
Relancer le plan de paix de 2002, alors que le gouvernement palestinien d’union n’est pas reconnu par les grandes puissances, est un casse-tête. Sauf qu’on ferme presque le jeu, puisque cette initiative est considérée, selon les termes de la Déclaration de Riyad, reprise par l’AFP, comme « un cadre essentiel et unique » pour une solution « globale et équitable au conflit du Proche-Orient ». « Si cette initiative est anéantie, je ne crois pas que se présentera une meilleure chance de paix dans le proche avenir », a déclaré le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, repris par les agences de presse. [1]
Un analyste du journal on line israélien Arouts 7 ne voit pas les choses de la même manière. « Retrait israélien sur les lignes de 1967, démantèlement des localités juives (...) du Golan, création d’un Etat palestinien avec la partie orientale de Jérusalem pour capitale, et droit au retour des réfugiés palestiniens non seulement dans le nouvel Etat, mais aussi dans l’Etat d’Israël, le tout en contrepartie d’une normalisation des pays arabes avec Israël. En résumé, une amputation majeure du pays contre des promesses, avec à la clé, une majorité arabe à terme en Israël ! », écrit-il.
Ziyad Amr, ministre palestinien des Affaires étrangères, lui, a lancé un cri d’alarme pour une aide financière d’urgence. « Nous avons besoin d’aide à cause de l’embargo imposé par Israël », a-t-il déclaré. S’il n’y a aucun risque de voir « une quête » s’organiser dans les palais de Riyad pour les enfants palestiniens, il est peu probable de voir les dirigeants arabes s’entendre sur la forme que prendra « l’aide d’urgence ».
Le prince Saoud Al Fayçal, ministre saoudien des Affaires étrangères, a, selon le quotidien Er-Ryadh, annoncé que « la sécurité globale du monde arabe » sera abordée lors du sommet. Cette question ne doit pas, d’après lui, se limiter aux aspects militaires ou à la sauvegarde de l’unité territoriale et de la souveraineté. Sept pays, dont l’Algérie, ont adopté le document portant création d’un Conseil arabe pour la sécurité et la paix. Ce conseil interviendra, selon Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, pour régler les conflits interarabes éventuels et aura à gérer les crises. Tout dépendra de la manière avec laquelle travaillera ce conseil, d’autant plus qu’il n’existe aucune force arabe de maintien de la paix, ni aucune coordination efficace entre les armées des pays arabes [2].
Saoud Al Fayçal, qui n’est pas un homme romantique, pense que les Arabes « doivent régler leurs divergences entre eux ». Il n’a pas dit comment faire revenir le leader libyen Mouâamar Khadafi à de meilleurs sentiments. Le chef de la révolution verte a décidé de boycotter le sommet de Riyad. « Les Saoudiens ont dépassé les lignes rouges », a-t-il déclaré hier à Al Jazeera, regrettant l’abandon « des grands principes arabes ». Sans dire pourquoi, le roi Mohammed VI du Maroc, Zine Al Abidine Ben Ali de Tunisie et le roi Qabous d’Oman ne feront pas le voyage en Arabie Saoudite. Malgré lui, le président algérien Abdelaziz Bouteflika sera « l’ambassadeur » du Maghreb en péninsule arabique. Bouteflika est allé sans son ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, resté, curieusement, à Alger, pour se consacrer à une activité mi-officielle, mi-mondaine.
Le Liban - c’est presque amusant - sera représenté par le président Emile Lahoud et par le chef du gouvernement Fouad Siniora. Situation traduisant la grande crise interne qui a mis à nu l’incapacité de la Ligue arabe à unifier les rangs d’un pays qui ne semble pas apprendre les leçons de l’histoire. Les protagonistes au Liban sont invités, par la Déclaration de Riyad, à faire passer... « l’intérêt suprême du pays avant tout autre intérêt ».
Si le sommet arabe insistera sur « l’indépendance » de l’Irak, il y a peu de chances que des solutions radicales soient proposées aux fins de mettre fin à la guerre civile. Hier, 55 personnes ont été tuées dans un double attentat à la voiture piégée à Tal Afar (à 400 km au nord de Baghdad). La plaie du Darfour soudanais ne trouvera, elle aussi, pas de traitement de choc à Riyad. Même si le prince Saoud Al Fayçal a laissé entendre qu’une rencontre se tiendra bientôt à Riyad, en présence du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, et de Amr Moussa, et étudiera la situation au Darfour.
Interrogé par le quotidien saoudien Okadh, Omar El Bachir, le président soudanais, a réitéré le refus de la présence militaire étrangère au Darfour, les forces africaines faisant exception. « Nous n’avons pas peur des sanctions. Elles nous sont, de toute façon, imposées depuis 1989 », a dit Omar El Bachir qui craint des attaques par les pays voisins.
Il reste le dossier du nucléaire qui sera, théoriquement, abordé lors du sommet arabe. « Notre point de vue est que le Moyen-Orient soit débarrassé des armes de destruction massive, cela concerne également Israël », a répondu le chef de la diplomatie saoudienne à une question sur l’affaire « atomique » iranienne. Il a estimé que posséder l’expérience en matière nucléaire doit être un droit reconnu à tout le monde, y compris aux pays arabes.
Côté jardin enfin, le quotidien Er-Riyadh a rapporté que la capitale saoudienne a été décorée avec 4000 drapeaux, 3000 lampes, 500 tableaux et un million de fleurs pour accueillir les invités arabes.