Prétexte fictionnel du film, la mission
confiée à Ahmad, réalisateur
sur le point de quitter la Palestine,
par le directeur du futur théâtre national
palestinien : organiser des auditions dans
les camps de réfugiés palestiniens pour
trouver les acteurs qui constitueront la
troupe nationale. Accompagné de la journaliste
Bissan, Palestinienne exilée et
revenue après les accords d’Oslo (interprétée
avec talent par Areen Omary, la
compagne de Masharawi), et de son caméraman
qui porte le nom de Lumière,
Ahmad part à la recherche des futurs
talents et, au fur et à mesure des auditions,
demande à ses aspirants acteurs de
reconstituer ce qui incarne le mieux leur
essence de Palestiniens : l’attente...
« J’étais en Europe au moment où j’ai
commencé à écrire le scénario de ce film
car, durant cette période, l’occupation
israélienne m’empêchait de me rendre
dans ma maison à Ramallah » raconte le
cinéaste palestinien. « En effet, en tant
que Palestinien possédant un passeport
obtenu après les accords d’Oslo, je ne pouvais
me rendre en Palestine, en Syrie, au
Liban, pays où je devais tourner. Je me
trouvais donc dans une situation absurde,
drôle et triste à la fois, puisque le sujet
de mon film c’était aussi l’attente. Une
fois arrivé chez ces réfugiés, en Palestine,
en Syrie et au Liban où les gens attendaient
depuis plus de cinquante ans, je leur ai
demandé qu’ils jouent cette attente, ce
qui en a amplifié le côté absurde et
comique. J’ai constaté que leurs vies ressemblaient
à la mienne. Celle d’un être
interdit de voyager, le fils d’un réfugié
attendant quelque chose, comme si nous
étions tous en train de tisser nos rêves nulle
part. »
Le rêve est omniprésent tout au long de
cette fiction qui renvoie au documentaire
(mais pas assez et c’est bien dommage).
Le rêve du pays perdu, à jamais rêvé.
« Viens mon fils, le pain est encore chaud
depuis 1948 », lance à Ahmad une vieille
femme palestinienne dans le camp de
Chatila. Sortir du camp grâce aux tournées
théâtrales fantasmées et revoir son mari,
policier dans les territoires occupés, interdit
de sortie, c’est le rêve d’une autre
femme, d’un autre camp. Elle n’est pas
comédienne, peu importe, elle passera
l’audition, histoire d’envoyer une vidéo
à son policier de mari. Mais les acteurs,
exceptés les trois rôles principaux, ne sont
de toutes façons pas des professionnels et
tous réfugiés. La manifestation pour le
droit au retour a été tournée pendant une
vraie manifestation dans un camp.
« La plupart des réfugiés vivant à l’extérieur
se souviennent de la Palestine
comme d’un paradis de soleil et d’oliviers.
Ceux qui ont été contraints de partir
il y a cinquante ans ne peuvent imaginer
les constructions d’aujourd’hui,
les checkpoints et le couvre-feu... Mais
pour les jeunes générations, c’est fondamentalement
différent. Nous n’avons
pas connu la Palestine idéalisée. Tout
ce que nous avons connu ce sont les
camps de réfugiés, où l’on ne choisit rien.
On porte les vêtements et on mange les
repas que les Nations unies nous donnent.
Les camps produisent une culture
qui n’est pas notre culture naturelle. Par
conséquent, l’image que les médias donnent
de nous ne nous correspond pas,
c’est l’image d’une culture que la politique
a fabriquée pour nous », explique
le cinéaste. « Nous, les Palestiniens,
avons le sentiment de ne pas contrôler
notre destinée. L’espoir d’une éventuelle
solution surgit régulièrement puis s’évanouit
et nous recommençons à attendre.
L’attente fait partie intégrante de nos
vies. Elle est à la racine de tout notre
être. »
Et si les nombreuses attentes fragmentent
et cadencent ce voyage filmique, qui est
une métaphore de la condition des Palestiniens
mais aussi, quelque part, un récit
autobiographique, des micro-histoires
surgissent, qui font aussi la force du film
car elles le remettent dans le sillon du
réel. Ainsi, en regardant Ahmed on pense
bien sûr au cinéaste. Né dans le camp de
réfugiés de Shati à Gaza, Masharawi a été
le premier cinéaste palestinien de « l’intérieur
», qui travaillait et habitait en Palestine
alors que le cinéma palestinien était
un cinéma d’exil, de diaspora. Après ses
premiers longs métrages, Haïfa et Couvre-feu,
Rashid Masharawi avait créé en 1996
une salle de cinéma mobile pour projeter des films dans les camps de réfugiés
tout en travaillant pour sa maison de production,
le Cinéma Production & Distribution
Center à Ramallah, mais aussi
pour le théâtre où il animait des ateliers
pour enfants. Depuis, il voyage pour
trouver des aides destinées à produire
ses films, en Europe surtout, et il ne sait
jamais s’il pourra rentrer vivre dans son
pays où s’il sera bloqué à n’importe quel
checkpoint ou frontière. Il lui est plus
facile d’aller à Tokyo qu’à Ramallah,
aime dire le cinéaste avec un humour
teinté d’amertume...
Dans le film, aux contrôles de sécurité
de l’aéroport, Ahmed est stoppé par les
soldats car il transporte une pierre dans
son sac. La pierre, symbole de la terre mais
aussi de la résistance des deux Intifada,
est confisquée, mais en sortant, Ahmed
en ramasse une autre, plus petite, signe,
comme le souligne Masharawi, qu’Ahmad
ne pourra jamais vraiment quitter la Palestine,
malgré sa lassitude constamment
rappelée tout au long du film.
A la fin du film, le théâtre construit avec
des financements européens est détruit
par l’armée israélienne. Scène de guerre
que l’on ne voit pas à l’écran, mais si
réelle. Triste métaphore (et scène du réel)
qui rappelle les incessantes reconstructions
en Palestine et les perpétuelles destructions.
« Cette partie du film est emblématique
de l’attitude de l’Union
européenne : chaque fois qu’il y a une
construction, une réalisation financée
par l’UE, les Israéliens la détruisent,
mais les bailleurs de fonds européens
ne disent rien, ne protestent pas ; ça a
été la même chose avec le port ou l’aéroport
de Gaza et beaucoup d’autres réalisations.
C’est une sorte de jeu cynique,
les bailleurs de fonds font beaucoup de
bruit autour de leur soutien mais à la
fin les Israéliens bombardent et il ne
reste jamais rien... »
Scène du réel d’un pays coupé en deux,
car on estime à quatre millions les Palestiniens
réfugiés et à quatre millions ceux
de l’intérieur, de Gaza en Cisjordanie,
rappelle encore le cinéaste. « C’est à nous
de construire notre propre scène. Et l’art
peut s’approprier des territoires », suggère
Rashid Masharawi.
Il doit transporter, lui aussi, une petite
pierre de Palestine dans sa valise.
Antonia Naim
ATTENTE, un film de Rashid Masharawi,
durée 87 min. Silkroad production
(producteurs : Setareh Farsi et Rashid
Masharawi). Scénario Rashid Masharawi &
Oscar Kronop. Image Jacques Besse.
Distribution Eurozoom.
Contact : sf@silkroadproduction.com
Film présenté notamment au Festival
international du film de Venise 2005 et au
Festival international du film de Toronto 2005.
Filmographie sélective :
2005, Arafat, my brother (documentaire)
2003, Ticket to Jerusalem
2001, Live from Palestine (documentaire)
1995, Haïfa (75 min). Sélection Festival de
Cannes 1996. Meilleur film étranger au Festival
international du film de Jérusalem 1996.
1993, Curfew (Couvre-feu). Pyramide
d’or au Festival international du Caire (Egypte)
1993. Prix Unesco. Festival international du film
de Cannes 1994. Meilleur film, prix du public et
prix de la critique auFestival du film méditerranéen
de Montpellier 1994.
1991, Long days in Gaza (documentaire).