Mohammad Chbib Koteich a la casquette bien vissée sur la tête. Des gouttes de sueur perlent sur son front. Nous sommes à Houla. D’un geste de la main il montre l’étendue en contrebas. « C’est la Palestine », dit-il. Au loin, on voit les toits de tuiles des maisons caractéristiques des colonies d’implantation israéliennes. Et immédiatement, d’un regard, il désigne les gravats qui gisent devant lui. « Voilà ce qui reste de ma maison. Un commando israélien est venu trois jours avant la fin de la guerre. Les soldats sont entrés, ont placé des pains de plastic et ont tout fait exploser. On n’a rien pu retirer des décombres. »
Mohammad s’exprime avec une colère sourde. Ce maçon de profession a tout perdu en quelques instants : son logement, le peu de bétail qu’il possédait et son précieux tracteur qui lui permettait de tirer quelques subsides de ses champs. Aujourd’hui, il alterne les travaux sur les chantiers pour gagner sa croûte, nourrir sa famille et la reconstruction de sa propre maison. En attendant, il a loué un appartement dans le village. « On est complètement abandonnés », explique-t-il résigné. « Cela fait deux mois que c’est comme ça. » Il affirme n’avoir encore reçu aucune aide de l’État ni même du Hezbollah. « Ils dialoguent entre eux et nous oublient. »
Tout est plus cher
Deux mois après la fin de la guerre, la reconstruction du Liban Sud démarre à peine. Environ 10 % de la population libanaise, soit 400 000 à 500 000 personnes, sont en situation de « grande précarité » selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR).
L’agence des Nations unies évalue également de 150 000 à 200 000 le nombre de personnes « très fragilisées », dont les maisons ont été entièrement détruites par les bombardements israéliens. Traditionnellement, les familles du Sud regagnaient en nombre la banlieue sud de Beyrouth en hiver, pendant le creux de la saison agricole. Or, du fait des très nombreuses destructions dans ces quartiers de la capitale, « les loyers ont fortement augmenté et d’une manière générale tout coûte plus cher », explique Stéphane Jacquemet, représentant du HCR au Liban. « Tout contribue, depuis la guerre, à marginaliser encore davantage ces populations. »
Le conflit a également entraîné une perte du revenu agricole, la majorité de la population du sud du Liban s’étant déplacée pour fuir les hostilités. Depuis, les familles qui sont revenues ne peuvent pas toujours reprendre les travaux des champs en raison notamment des nombreux engins non-explosés, estimés à plusieurs centaines de milliers au moins. Des gamins ont perdu la vie en manipulant ces objets de mort qui avaient attiré leur curiosité.
C’est ce que confirme Najib Kassouan, le maire de Aïtaroun. « Nous avons eu énormément de dégâts, 45 morts et autant de blessés. La plupart étaient des enfants », souligne-t-il. « La reconstruction n’a pas encore commencé. L’économie du village est basée sur l’agriculture. Il y a des bombes à fragmentation non explosées partout dans les champs. Aucun responsable gouvernemental n’est venu et les gens s’inquiètent. »
Brahim Sayed Ahmad se tient à l’orée de son oliveraie. Il avance avec précaution jusqu’au pied d’un arbre et montre une bombe qui n’attend qu’une vibration pour péter. Elle n’est pas plus grosse qu’une balle de tennis et contient une bille d’acier capable de transpercer 15 cm de béton armé. Le ruban blanc qui lui est attaché indique le danger. Brahim a marqué l’endroit avec des cailloux. « Les experts qui sont venus nous ont dit de ne pas secouer les arbres car il y a peut-être d’autres bombes accrochées aux branches. Une chose est sûre, la récolte d’olives est perdue. »
À quelques kilomètres de là, c’est son frère Ali qui contemple le désastre. Devant ses champs de tabac. « D’habitude on commence à récolter au mois d’août. Là, c’est foutu. Regardez toutes ces bombes qui traînent. Je ne sais pas comment nous allons vivre. » Dans une déclaration qui se veut optimiste, le représentant du HCR estime que « la grande majorité des engins non-explosés aura été nettoyée d’ici à fin 2007 », grâce à la présence de 47 équipes internationales et libanaises de déminage et de dépollution !
Aides insuffisantes
Alors qu’il parle, notre regard est attiré par une traînée blanche dans le ciel. Une fois de plus l’aviation israélienne a violé l’espace aérien libanais, comme elle le fait sans cesse, depuis des années. Le pilote dessine des cercles concentriques, comme pour narguer les soldats libanais, fusils à la main, qui n’en peuvent mais. Ils se sentent impuissants. « Si nous possédions des avions nous aussi, croyez-moi, les Israéliens ne feraient pas les malins », lâche un sergent.
Plus grave, mais il ne le dit pas, c’est l’autorité de l’armée libanaise nouvellement installée dans le Liban Sud qui est ainsi bafouée, alors que la Force internationale des nations unies au Liban (FINUL) montre les limites de son action (lire page 16).
À Bint Jbeil, que nous avions vu pratiquement rasé pendant la guerre, les stigmates de l’acharnement israélien sont encore présents : enchevêtrement de béton et de ferrailles, murs écroulés... Le souk, particulièrement ancien et qui faisait partie du patrimoine a été très endommagé. « Nous travaillons 18 heures par jour. Les gens viennent nous demander des réservoirs d’eau, des tentes... Nous restons impuissants face à ce malheur parce que les aides qui nous parviennent sont insuffisantes pour couvrir les besoins », explique Mohammad Esseily, le chef de la municipalité.
1 000 maisons ont été complètement pulvérisées, 3 500 ont été touchées dont un tiers doit être démoli. Des neuf écoles de la ville, sept ont été détruites. Comme beaucoup d’autres endroits, la rentrée des classes, qui s’est déroulée la semaine dernière, a été plutôt chaotique et les classes encore debout sont utilisées en alternance. « C’est le Qatar qui nous aide. L’État ne s’est jamais intéressé à nous », s’écrie le maire. « C’est comme si on punissait Bint Jbeil pour sa résistance. »