Alors que l’armée israélienne menait de
nouvelles opérations sanglantes à Gaza, le Hezbollah, principale
composante de la résistance libanaise, a engagé une contre-offensive
militaire en enlevant deux soldats israéliens.
De passage à Paris,
Walid Charara, responsable des pages Opinions du nouveau quotidien Al
Akhbar et auteur de « Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste »
paru en 2004 aux éditions Fayard, a répondu aux questions d’Olfa
Lamloum pour le site du Mouvement des indigènes de la république.
Dans quelles conditions le Hezbollah a-t-il décidé d’enlever les deux
soldats israéliens ? Cette opération était-elle programmée ? Quels en
sont les objectifs ?
Depuis plusieurs années, le Hezbollah exige la libération des otages
libanais détenus en Israël, comme Samir el Kantar, emprisonné depuis
1978, Nassim Nisr et Yahia Skaff qui est enfermé depuis 1982. Le
Hezbollah a toujours affirmé que si la voie de la diplomatie et de la
négociation ne permettait pas d’obtenir leur libération, il
n’hésiterait pas à utiliser tous les moyens, y compris la capture de
soldats israéliens, pour les échanger contre les otages libanais
d’Israël.
C’est ce qu’il a fait avec cette opération. Je pense que le
timing de l’opération était lié à des considérations de terrain mais
aussi à des considérations politiques.
On parle aujourd’hui d’une provocation de la part de Hezbollah
puisque Israël s’est retiré depuis 2000. Le fait d’enlever deux
soldats israéliens dans le territoire israélien est considéré comme
un acte de guerre contre Israël...
Il faut d’abord rectifier un point. Israël ne s’est pas retiré de
tout le territoire. Il y a toujours une zone libanaise occupée par
l’armée : les fermes de Shebaa. Le Hezbollah a toujours dit qu’il
continuerait la lutte jusqu’à la libération de ces fermes.
Ensuite,
depuis le retrait en mai 2000, l’aviation israélienne viole
quotidiennement l’espace aérien libanais. N’est-ce pas un acte de
guerre ? La marine israélienne viole quotidiennement l’espace
maritime libanais. N’est-ce pas un acte de guerre ? Des pêcheurs
libanais ont été kidnappés et emmenés en Israël. N’est-ce pas un acte
de guerre ? Des bergers libanais ont été tués à la frontière par
l’armée israélienne. N’est-ce pas un acte de guerre ?
Le problème,
c’est que l’Etat libanais et son armée n’ont pas les moyens de
s’opposer frontalement à l’armée israélienne qui a une supériorité
technologique et militaire connue. C’est pourquoi la résistance
libanaise, incarnée par le Hezbollah, prend en charge la riposte aux
agressions israéliennes lorsqu’elle pense que l’occasion se présente.
Lorsqu’on parle de provocations, c’est qu’on cherche à dédouaner
l’occupation israélienne et les provocations quotidiennes qu’Israël
effectue depuis mai 2000.
Cette opération a-t-elle un lien avec ce qui se passe à Gaza ?
Effectivement, l’opération du Hezbollah est aussi une manière de
manifester une solidarité concrète avec les Palestiniens qui sont
plus isolés que jamais alors qu’ils subissent une guerre ouverte
menée par les Israéliens avec la complicité directe des puissances
occidentales et une indifférence complice de la part de la plupart
des régimes arabes.
Le second front qui s’est ouvert au Liban va peut-être alléger un peu
la pression qui est exercée sur Gaza depuis maintenant plusieurs
semaines.
Comment expliques-tu l’ampleur de la riposte israélienne ?
L’armée israélienne est consciente qu’elle ne pourra pas libérer ses
deux soldats. Les objectifs qu’elle s’est fixée ne sont plus liés à
la seule libération des deux soldats. Le Ministre de la Défense a
d’ailleurs déclaré que les objectifs d’Israël était aussi le
déploiement d’une force internationale et l’éloignement des
combattants du Hezbollah le plus au nord possible de la frontière.
C’est un objectif qu’Israël cherche à atteindre depuis longtemps. A
ce jour, l’armée israélienne a évité de lancer une offensive
terrestre qui serait extrêmement coûteuse.
Ce qu’elle cherche à
faire, c’est intensifier la pression sur la population civile ainsi
que sur le gouvernement libanais pour provoquer une dissension
nationale interne au Liban. Il s’agit de créer un contexte politique
défavorable au Hezbollah qui forcerait le gouvernement et les
courants de l’opinion publique qui sont hostiles à ce mouvement à
exercer des pressions pour que le Hezbollah accepte de s’éloigner de
la frontière pour permettre à l’armée libanaise et à des forces
multinationales de se déployer le long de la frontière.
L’objectif N°
2 serait à terme un désarmement du Hezbollah. Israël s’en prend donc
délibérément aux civils pour retourner la population contre la
résistance libanaise et faire pression sur le gouvernement pour qu’il
agisse contre le Hezbollah. Il y a deux ministres du Hezbollah au
gouvernement mais celui-ci est aussi constitué de forces politiques
qui ont des points de vue différents sur la résistance.
Israël essaie
donc d’instrumentaliser les différends internes libanais pour exercer
une pression maximale sur le Hezbollah.
Ne penses-tu pas qu’Israël est en mesure d’emporter cette bataille ?
Les autorités saoudiennes ont dénoncé l’initiative du Hezbollah. Par
ailleurs, quand on lit les éditoriaux de la presse libanaise, cette
initiative ne semble pas non plus faire consensus ? Ennahar, par
exemple, critique le Hezbollah. C’est le cas également de dirigeants
comme Walid Joumblatt.
Quelles sont les chances de Hezbollah de
réunir un vrai consensus et de ne pas se retrouver isolé ?
Il faut d’abord savoir que, s’agissant des rapports de forces
internes au Liban, le Hezbollah est largement représentatif d’une des
composantes les plus importantes démographiquement de la population
libanaise. Le Hezbollah est un parti qui est principalement enraciné
dans la communauté chiite qui est la plus grande communauté du point
de vue numérique. C’est un premier point.
Deuxième point, le
Hezbollah dispose d’un réseau d’alliances très important avec des
forces politiques représentatives. Il est allié au courant politique
de Michel Aoun, avec des partis transcommunautaires comme le PC
libanais, le Parti national social syrien, le député Sleiman Frangié
qui représente une force importante au nord Liban, Omar Karamé
représentatif qui a une base importante à Tripoli, Oussama Saad qui
représente une force également importante dans la ville de Saïda.
Le
Hezbollah dispose donc d’un réseau d’alliances communautaires ou
transcommunautaires qui lui permet d’avoir une majorité relative à
ses côtés dans la bataille qu’il mène face à l’occupation
israélienne.
Evidemment d’autres points de vue peuvent se manifester
au Liban. De toutes manières, lorsque, dans le passé, le combat a été
mené pour la libération du sud Liban - libération qui s’est réalisée
avec le retrait israélien de la majeure partie du territoire libanais
en mai 2000 -, il y avait déjà un consensus mou autour de la
résistance.
Durant les agressions israéliennes de 1993 et 1996,
certains hommes politiques au Liban, en partie les mêmes qui
s’expriment aujourd’hui, commençaient à réclamer l’envoi de l’armée
au sud Liban pour se positionner entre la partie libérée du sud Liban
et la partie occupée. C’est-à-dire que, même avant la libération du
sud Liban, une partie de ces hommes politiques voulaient que l’armée
se déploie pour que la résistance s’arrête dans les zones encore
occupées.
Avant la libération, un homme politique comme Amin Gemayel,
avait publié une tribune dans Le Monde intitulée « halte à un Kosovo
libanais ! ». Il annonçait que le Hezbollah allait entrer dans la
zone occupée et massacrer les populations chrétiennes.
Rien de tout
cela n’a eu lieu et, quelques mois plus tard après la libération,
Amin Gemayel a été contraint de revenir sur ses positions et de
féliciter le Hezbollah pour son comportement exemplaire durant la
libération Les dissensions internes ne sont pas un fait nouveau ; il
n’en reste pas moins qu’une majorité relative au Liban est favorable
au Hezbollah.
Il est vrai, par ailleurs, que le contexte régional a
changé. Les Américains sont dans la région depuis maintenant trois
ans. Ils ont envahi l’Irak et sont devenus, avec 140 000 soldats basés
en Irak, une puissance moyen-orientale. Ils sont cependant dans une
situation extrêmement difficile en Irak où ils font face à une
résistance acharnée.
Il est vrai aussi que malheureusement une guerre
intercommunautaire a déjà commencé en Irak. Mais il faut signaler que
le Hezbollah dispose, en Irak, d’une réelle base de sympathie auprès
de la population qu’elle soit chiite ou sunnite. Ce capital de
sympathie pourrait à terme pousser certaines organisations chiites
irakiennes à s’en prendre aux forces américaines si les USA
continuent leur politique de soutien inconditionnel à l’agression
israélienne.
La déclaration de Georges Bush, hier, a été interprétée
par tous les observateurs comme un feu vert donné aux Israéliens pour
continuer leur action. Il est donc vrai que les Américains sont
présents dans la région mais, dans le contexte actuel, leur présence
n’est pas nécessairement un atout. C’est peut-être même un point de
faiblesse parce qu’ils sont plus vulnérables.
En ce qui concerne le
positionnement officiel des régimes arabes : ils ont été en principe
favorables aux droits du peuple libanais à résister à l’occupation
mais ce soutien verbal n’a jamais été accompagné d’une politique
concrète de soutien à la résistance. Qu’ils fassent porter
aujourd’hui la responsabilité de la dégradation de la situation à la
résistance libanaise ne change pas grand chose à la donne sur le
terrain. Dans les faits, ils n’ont jamais été des soutiens réels de
la résistance menée ni au sud Liban ni en Palestine.
Une grande partie de la presse occidentale accuse le Hezbollah d’être
manipulé par l’Iran et/ou la Syrie...
Face au comportement belliqueux d’Israël et à la politique américaine
d’hégémonie sur la région, l’alliance entre le Hezbollah, la Syrie et
l’Iran est de nature stratégique.
Mais le Hezbollah est aussi allié
du Hamas, aux différentes organisations palestiniennes comme avec
toutes les organisations politiques dans la région et dans le monde
qui s’opposent à l’hégémonie américaine. Dans un discours qu’il a
prononcé il y a quelques mois, le secrétaire général du Hezbollah,
Hassan Nasrallah a affirmé que l’axe anti-américain s’étendait de
Beyrouth jusqu’au Venezuela et que, par conséquent, le Hezbollah
était allié avec Chavez au Venezuela, aux FARC en Colombie, à Morales
en Bolivie.
Cela ne signifie pas évidemment que ces forces dictent la
politique que le Hezbollah met en œuvre. Le Hezbollah agit en partant
d’abord de considérations nationales libanaises. Dans le cas précis
de cette opération, il a estimé que le contexte actuel était
favorable et surtout que tout autre moyen pour faire libérer les
otages libanais détenus en Israël était devenu inefficace. Il est
donc passé à l’action.
Depuis l’assassinat de Hariri, on assiste au Liban à la montée des
contradictions inter-communautaires. En visant le sud et les
infrastructures civiles, l’intervention militaire israélienne ne
risque-t-elle pas d’isoler confessionnellement le Hezbollah,
d’alimenter, d’entretenir voire de provoquer la dégénérescence totale
du rapport de force ?
Encore une fois, quand on parle de dégénérescence de quoi parle-t-
on ? De guerre civile ? Il faut analyser les rapports de force
concrets sur le terrain. Quelles sont les lignes de clivage
actuelles ? Les lignes de clivages n’opposent pas musulmans et
chrétiens. Elles traversent les différentes communautés.
Une grande
partie des chrétiens se considère représentée par le général Aoun qui
est aujourd’hui l’allié du Hezbollah. D’autres chrétiens estiment
être représentés par des leaders locaux comme Suleiman Frangié, par
le Parti national social syrien, très implanté parmi les chrétiens
orthodoxes au Liban...
On ne peut pas dire que le Hezbollah fait face
à d’autres communautés qui lui sont hostiles. Il n’y a pas de
consensus parmi les chrétiens contre le Hezbollah, bien au contraire.
Aujourd’hui, une grande partie des formations politiques chrétiennes
est de fait alliée au Hezbollah et la même chose s’applique à la
communauté sunnite.
Il est vrai qu’un vrai différend existe entre le
Hezbollah et la principale force représentant la communauté sunnite
au Liban, c’est-à-dire le Courant du Futur, fondé par Rafik Hariri,
en ce qui concerne les relations avec la Syrie. Mais il faut savoir
par ailleurs que la rue sunnite libanaise est très sensible à ce qui
se passe en Palestine et en Irak. Historiquement, au Liban, les
sunnites ont porté le nationalisme arabe et ont toujours été très
sensibles à la question palestinienne.
Ce qui se passe à Gaza a des
répercussions et des implications très importantes sur l’opinion
publique sunnite. Or, aujourd’hui, le Hezbollah apparaît comme le
seul mouvement en mesure d’apporter un soutien concret aux
Palestiniens.
Un autre point important qu’il faut prendre en
considération, c’est le sens politique que le Hezbollah a voulu
donner à l’opération au cours de laquelle il a capturé deux soldats
israéliens.
Lors d’une conférence de presse, le secrétaire général du
Hezbollah, Hassan Nasrallah, a exigé l’échange des prisonniers
israéliens contre les otages libanais ; il a parlé également de la
situation en Palestine mais il a surtout conclu son intervention en
évoquant la situation en Irak. Il a appelé les Irakiens à s’unir
contre l’occupation et à ne pas suivre ceux qu’il a qualifié d’agents
du Mossad et de la CIA qui cherchent à diviser les Irakiens entre
sunnites et chiites.
Les sunnites et les chiites au Liban sont très
sensibles à ces arguments. Dans les deux communautés, il y a la très
forte conscience que les USA et Israël cherchent à instrumentaliser
les contradictions intercommunautaires pour affaiblir davantage les
peuples de la région et leur capacité de résistance.
S’il y a une
discorde au Liban, qui va-t-elle opposer ? A mon avis, si on essaie
d’apprécier les rapports de force, il y a une nette majorité qui est
favorable au Hezbollah. La déclaration de Walid Joumblatt hier [1] n’est pas une
déclaration hostile au Hezbollah. Tout en signifiant par ailleurs sa
différence avec le Hezbollah, il a clairement dit qu’il fallait
maintenir l’unité nationale contre Israël, que les différends
devaient être mis de côté et que du point de vue de la logique du
Hezbollah cette opération était parfaitement compréhensible.
La direction du Hezbollah est directement menacée par Israël qui a
déjà bombardé le siège de la télévision El Manar et la radio ainsi
que le QG du Hezbollah. Quelle est la marge de manœuvre d’Israël ?
Pour paraphraser un chef révolutionnaire très connu, « le Hezbollah
est dans la population libanaise, comme un poisson dans l’eau ». Le
Hezbollah a beau avoir son QG dans la banlieue sud, ce ne sont pas
ces bombardements qui vont l’affaiblir. D’un point de vue strictement
militaire, l’opération israélienne prend jusqu’à présent pour cible
des civils, des infrastructures civiles et quelques institutions.
Militairement le Hezbollah n’a aucune perte. Il y a eu un martyr
hier, c’est tout. Par ailleurs, jusque-là, le Hezbollah n’a pas
utilisé toutes ses capacités de riposte et les jours qui viennent
vont montrer que celles-ci sont loin d’être négligeables.
Par
ailleurs, Hassan Nasrallah est depuis très longtemps sur la liste
noire des Israéliens. Ils l’ont dit et répété et ont déjà tenté de
l’assassiner comme ils ont tué l’ancien Secrétaire général Abbas el
Moussaoui en 1992. Jusqu’à présent le Hezbollah a pris des mesures de
sécurité exceptionnelles ce qui lui a permis de protéger ses
dirigeants.
Ce parti, qui a une grande expérience politique, qui est
très bien structuré, a une telle popularité au Liban que même si
Israël réussissait à atteindre tel ou tel dirigeant, cela
n’affecterait pas réellement sa capacité d’action.
Regardez le Hamas.
Israël a assassiné une grande partie de ses dirigeants historiques :
cheikh Ahmad Yassin, el Rantissi, Smain Abou Charab et bien d’autres,
sans pouvoir l’affaiblir. L’assassinat de dirigeants de vrais partis
de masse ne change pas fondamentalement la donne.
Ils peuvent toucher la logistique...
Oui, mais cela suppose que le Hezbollah a une logistique qui vient de
l’extérieur.
Il est vrai que l’Iran a soutenu le Hezbollah et que la
Syrie a acheminé l’aide de l’Iran vers le Hezbollah mais le Hezbollah
a aujourd’hui suffisamment de moyens dispersés sur le territoire
libanais pour pouvoir tenir assez longtemps en cas de guerre. Tout le
discours politique du Hezbollah et toute sa stratégie après le
retrait d’Israël de la majeure partie du territoire libanais a
consisté à dire « nous sommes un mouvement de dissuasion des
velléités d’agression d’Israël ». Il a donc pris toutes ses
dispositions en fonction de l’éventualité de telles agressions. Et
parmi les dispositions, il y a la dispersion des moyens logistiques,
du potentiel militaire...
Selon toi, est-ce qu’on s’oriente vers un affrontement durable qui
pourrait entraîner l’ouverture d’autres fronts, tel que le front
syrien ?
En ce qui me concerne, je pensais que la riposte israélienne n’aurait
pas une telle ampleur, que la partie israélienne mesurait les dangers
d’une telle agression.
Mais là, oui je crains que le conflit ne se
prolonge sur le moyen voire le long terme. Il faut voir jusqu’à quand
la partie israélienne va supporter cette situation.
N’oublions pas
qu’en face de l’armée israélienne, il y a un mouvement de guérilla
qui pourrait s’accommoder de cette situation pendant des mois voire
des années. Il a fait ses preuves dans le passé.
Maintenant est-ce
que les Israéliens pourraient se lancer dans une aventure militaire
contre la Syrie ?
La Syrie a beaucoup de cartes à jouer. D’abord la
frontière syrienne avec le Golan occupé est l’une des frontières les
plus stables depuis 1973. La décision d’ouvrir la frontière en cas
d’agression pourrait être prise. Et là, les Israéliens se
retrouveront aux prises avec les organisations populaires
palestiniennes et syriennes. N’oublions pas qu’en Syrie, il y a 600
000 palestiniens environ qui sont organisés. Cette carte pourrait
être utilisée.
Les Syriens pourraient très bien être moins vigilants
sur la frontière avec l’Irak et permettre aux volontaires arabes et
syriens désireux de combattre l’occupation américaine en Irak, de s’y
rendre et aggraver ainsi la situation des troupes américaines qui se
trouvent déjà dans un bourbier.
Si les Israéliens et les Américains
se trouvent aux prises directement avec les populations et non pas
avec les régimes, leur situation est bien plus difficile que
lorsqu’ils sont confrontés aux régimes. C’est ce qu’a montré
l’expérience palestinienne, libanaise et irakienne.
La Syrie a donc
une « capacité de nuisance » qu’elle n’a pas encore utilisé. Si elle
est forcée à l’utiliser, les conséquences pour les Américains et les
Israéliens seront extrêmement négatives.
Chirac a fait une déclaration aujourd’hui, 14 juillet, où il a évoqué
la situation au Liban. Quels commentaires ces déclarations te
suggèrent-elles ?
Il s’agit d’un entretien que le président Chirac a accordé à deux
journalistes français. Après avoir condamné la réaction israélienne
qu’il a qualifiée de « disproportionnée », il a fait porter aux
mouvements de résistance libanais et palestiniens la responsabilité
de la dégradation de la situation au Liban et à Gaza en qualifiant
leurs politiques d’« irresponsables ».
Par ailleurs, les objectifs
politiques qu’il a fixés aux éventuelles médiations internationales
et européennes reprennent pour l’essentiel les revendications
israéliennes. Il a évoqué 3 objectifs à atteindre :
– la libération des soldats israéliens
– un cessez-le-feu à la frontière libanaise
– le déploiement d’une force de protection internationale à la
frontière libano-israélienne c’est-à-dire, évidemment, une force de
protection internationale d’Israël et un redéploiement vers le nord
de la résistance libanaise.
Ainsi, la déclaration de Chirac manifeste une fois de plus
l’alignement de la France et de l’UE sur la politique américaine.
Il
n’y a plus de « politique arabe de la France ». Plus généralement, il
n’y a plus de politique indépendante de la France au Moyen-Orient.
Dans d’autres régions, il y a encore des différends avec les USA mais
ce n’est plus le cas au Moyen-Orient. La France ne défend plus ses
positions traditionnelles concernant les conditions d’une paix réelle
au Moyen-Orient.
La France a purement et simplement lâché les
Palestiniens. Regardez la faiblesse des réactions françaises voire
l’absence totale de réactions face à l’agression et la guerre
israélienne contre les Palestiniens. La France est quasiment sur la
même longueur d’onde que les USA sur le dossier iranien.
Dans les
faits, elle reprend à son compte les exigences israéliennes et ignore
totalement les exigences libanaises qui sont tout simplement la
libération des otages détenus en Israël.
Je pense que tout le capital
de sympathie dont la France a joui dans le monde arabe est perdu,
dilapidé et je crois que cela aura des conséquences politiques et
idéologiques et même à l’avenir économiques.
La France n’est plus
perçue aujourd’hui comme un pays ami du monde arabe.
Quelles sont aujourd’hui les conditions de victoire dans cette guerre
inégale ?
Je pense que la victoire du Hezbollah serait la libération des
prisonniers libanais.
Evidemment, atteindre cet objectif va être
extrêmement coûteux en raison du déséquilibre des force militaires
sur le terrain et du déséquilibre du rapport de forces politique qui
est due principalement à la complicité ou à la lâcheté de la
communauté internationale et des régimes arabes.
Je pense que de
toutes façons la confrontation militairement sur le terrain ne pourra
pas être remportée par la partie israélienne car le Hezbollah a
montré dans le passé qu’il était capable de tenir tête à l’armée
israélienne malgré sa supériorité en terme de puissance de feu, de
technologie, etc...
Jusqu’à présent, l’armée israélienne mène une
campagne de bombardements. Je ne crois pas qu’elle ira jusqu’à une
invasion militaire à grande échelle. C’est une bataille qui sera
excessivement coûteuse pour le Liban mais elle le sera aussi pour
Israël.
C’est un conflit des volontés. Celui qui cède le premier a
perdu. Je ne crois pas que le Hezbollah cédera.
Ne crois-tu pas que le calcul du Hezbollah est un peu déséquilibré.
Pour libérer des prisonniers libanais, il prend le risque de voir des
dizaines ou des centaines de civils tués ?
L’enjeu des prisonniers est un enjeu d’une très grande importance du
point de vue politique et symbolique.
C’est un enjeu qui est lié au
conflit qui oppose le Liban et Israël depuis la création de l’Etat
d’Israël.
La principale victime de la création d’Israël a été le
peuple palestinien qui a été chassé de sa terre. Mais depuis
l’expulsion des Palestiniens, les Libanais vivent au rythme des
agressions israéliennes. Une partie du sud Liban a été envahie en
1978, une autre partie en 1982. Le sud Liban est resté pendant plus
de 18 ans sous occupation israélienne. Le fait de tenir bon sur la
question des prisonniers dans ce conflit de volontés a une très
grande importante stratégique et symbolique.
Cela participe de la
capacité du Liban à dissuader dans l’avenir de futures agressions
israéliennes et surtout de rester un Etat indépendant et souverain.