Geneviève Coudrais ! Ancienne avocate, militante de l’AFPS, intervenue à titre d’expert à la session du Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) relative à la commercialisation des produits des colonies (cas SodaStream) ; auteure de chroniques sur le site AFPS, et sur la résistance non-violente en Palestine sur le site des Anciens réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie ; a collaboré à l’édition du livre de Joseph Pyronnet, Résistances non-violentes, Paris, Éditions L’Harmattan, avril 2006.
Charles Boycott, régisseur irlandais ruiné par un blocus décidé à son encontre en rétorsion aux expulsions de fermiers qui ne pouvaient payer leurs loyers pendant la Grande Famine (1879), ne pouvait imaginer l’ampleur des mouvements qui suivraient et porteraient son nom : le boycott du Royaume-Uni en 1930 initié par Gandhi contre la colonisation, le boycott des bus de Montgomery par Martin Luther King contre la discrimination des Noirs aux Etats-Unis (1955), le boycott du raisin californien pour appuyer et la grève des ouvriers des vignobles et la grève de la faim de César Chavez (1965 à 1970), le boycott de l’Afrique du Sud dans les années 70 contre l’apartheid, ou, plus récemment, boycott des produits chinois par les soutiens de la cause tibétaine…, pour ne citer que ceux- là.
Quand la Knesset fabrique des lois…
Il ne pouvait davantage imaginer « qu’il jouerait un rôle dans un pays appelé Israël, 130 ans après que son nom soit devenu un symbole mondial » (Uri Avnery, « It Can Happen Here ! » http://www.france-palestine.org/article17973.html -16 juillet 2011) !
Car une loi votée par la Knesset, le 11 juillet 2011, permet à tout citoyen d’intenter une action en réparation des dommages qui lui auraient été causés, sans limitation de montant, mais sans avoir à en justifier, contre toute personne ou organisation ayant appelé au boycott économique, culturel ou scientifique contre Israël, des institutions ou « des régions israéliennes placées sous contrôle israélien” (soit les territoires palestiniens occupés). Ce qui signifie que chaque colon peut réclamer des millions à « chaque militant pour la paix associé à l’appel pour le boycott, détruisant par là-même le mouvement de paix » (Uri Avnery, déjà cité).
Cette loi a déjà provoqué de vives réactions en Israël : le mouvement Gush Shalom (le Bloc de la Paix) a enregistré une requête à la Cour Suprême au motif que la loi sur le boycott est anti-constitutionnelle et anti-démocratique. “Les protestations publiques contre la destruction de la démocratie ne se limiteront pas à des requêtes polies à la Cour Suprême” a dit « La Paix Maintenant ». Ce mouvement a ouvert, en effet, une page Facebook appelant à un boycott des produits des colonies, signée dans les heures qui ont suivi par environ 2.000 personnes et prévoit de lancer une campagne nationale pour convaincre des dizaines de milliers de personnes de soutenir le boycott. Le parti Meretz, pour sa part, a prévu de marquer tous les produits à la vente issus des colonies et encouragé le public à faire de même. Le député du Meretz, Nitzan Horowitz, a déclaré : "Nous sommes devant une législation qui est une honte pour la démocratie israélienne et qui fait que les gens de par le monde se demandent s’il y a vraiment une démocratie ici ! "
Cette loi constitue, en réalité une réponse à la campagne internationale « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » (BDS) lancée le 9 juillet 2005 par plus de 170 syndicats, partis politiques, mouvements de masse et organisations sociales palestiniennes et témoigne de son succès (Lire « BDS contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine » par Omar Barghouti, éd. la Fabrique, 2010)
Extraits de l’Appel
Constatant les violations persistantes des lois internationales par Israël, l’échec de toutes les résolutions de l’ONU, les interventions internationales et les initiatives de paix, les représentants de la société civile palestinienne ont invité les organisations des sociétés civiles internationales et les hommes et les femmes de conscience du monde entier à imposer de larges boycotts et de mettre en œuvre des initiatives de désinvestissement contre Israël (…), de faire pression sur leurs États respectifs afin qu’ils imposent un embargo et des sanctions contre Israël, jusqu’à ce qu’Israël reconnaisse le droit inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination et respecte complètement les dispositions des lois internationales en mettant fin à l’occupation et à la colonisation de toutes les terres arabes et en démantelant le mur, en reconnaissant le droit fondamental des citoyens arabo-palestiniens d’Israël à une égalité totale et en respectant, protégeant et soutenant le droit des réfugiés palestiniens à revenir dans leurs foyers.
Jusqu’en 2008 l’écho de cette campagne est resté assez limité mais, à cette date, après les événements de Gaza, le mouvement pour le BDS s’est répandu dans le monde à un rythme sans précédent.
Le 27 novembre 2008, le président de l’Assemblée générale des Nations unies, Miguel d’Escoto Brockmann, a lui-même appelé la communauté internationale à se lancer dans une campagne internationale de « boycott, désinvestissement, sanctions » contre Israël.
Ce mouvement largement suivi au niveau international l’a été aussi en Israël : depuis plus de 10 ans, déjà, les mouvements Gush Shalom et Coalition of Women for Peace appellent au boycott des produits des Territoires Occupés ; la campagne y a été relayée par le mouvement « Boycott from within » ; le 30 août 2010, des centaines de personnes se sont ainsi rassemblées à Tel-Aviv pour manifester leur soutien aux acteurs qui boycottent les manifestations culturelles qui auraient lieu à Ariel, colonie israélienne ; et en décembre 2010, plus de dix entreprises israéliennes, afin de signer un contrat relatif à la construction d’une nouvelle ville palestinienne, se sont engagées à ne pas utiliser de matériaux produits dans les implantations juives de Cisjordanie …s’insérant ainsi dans la campagne de boycott !
Car une loi palestinienne du 15 février 2010 interdit le commerce en territoire palestinien des produits fabriqués dans les colonies juives.
Et en France ?
En France, le boycott est resté longtemps ignoré de notre culture politique et économique français mais cette campagne a modifié la donne.
Elle s’articule, depuis 2009, essentiellement autour de deux collectifs, le Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens et le Collectif BDS France (www.bdsfrance.org) qui regroupent plusieurs dizaines d’organisations. Ces collectifs prônent le boycott de tous les produits d’Israël mais, pour des raisons d’efficacité, le boycott des produits des colonies est souvent privilégié.
Il en est ainsi notamment pour les produits Sodastream (machine à gazéifier l’eau) et Ahava (produits cosmétiques) dont l’origine est dûment établie même s’ils sont exportés comme « made in Israël », afin de bénéficier de l’exemption des taxes douanières qui résulte de l’accord d’association conclu entre Israël et l’U.E et de tromper les consommateurs. Ces produits font donc régulièrement l’objet de distributions de tracts informant la clientèle des magasins distributeurs de leur origine illégale afin de la dissuader de les acheter, outre toutes actions qui peuvent être menées pour fraude douanière (le 25 février 2010, la Cour de Justice de l’U.E. a dit que les marchandises originaires de Cisjordanie ne peuvent bénéficier du traitement préférentiel résultant de l’accord susvisé) et tromperie sur l’origine.
Une large coalition (www.coalitioncontreagrexco.com) contre la société Agrexco/Carmel qui commercialise sous le label « produit d’Israël » 70% des productions agricoles des colonies (dont celles de la vallée du Jourdain où 95% des terres et 98% de l’eau sont confisqués par les colons), s’est également constituée. Ce qui n’a pas empêché, récemment, l’inauguration d’un terminal fruitier dans le port de Sète construit au seul profit de cette société. Ce qui implique, évidemment, le boycott de ses produits.
Ces actions ont provoqué une forte réaction politique : le ministre de la Justice a ordonné aux Parquets de poursuivre toute personne engagée dans la campagne BDS pour « provocation publique à la discrimination d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une nation », (article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 prévoyant un an d’emprisonnement et 45000 euros d’amende). Par la suite de nombreux militants on été convoqués dans les commissariats de police et quelques procès ont été engagés. C’est sur ce fondement qu’une militante a été condamnée à une amende de 1.000 euros pour avoir apposé sur une bouteille de jus de fruit en provenance prétendue d’Israël un autocollant appelant au boycott (arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 22 octobre 2010 frappé de pourvoi).
Dans la foulée, il a même été envisagé des poursuites contre Stéphane Hessel, ambassadeur de France ! C’en était trop…
Un appel de solidarité, non seulement avec Stéphane Hessel mais aussi avec toutes les victimes de la répression (www.collectifpaixjustepalestine.org), a été lancé le 10 octobre 2010 qui a recueilli plus de 15.000 signatures dont beaucoup de personnalités, y compris des personnalités politiques éminentes.
Curieusement, dans les jours qui ont suivi, deux militants poursuivis, ont été relaxés… Un nouveau ministre de la Justice a reçu une délégation qu’il a écoutée en manifestant un certain trouble… Et, au mois de janvier suivant, les juges de Perpignan et de Mulhouse ont reçu une Question Prioritaire de Constitutionnalité concernant les poursuites engagées, bottant ainsi en touche…
De multiples procédures sont encore en cours. Mais il y a lieu de relever une décision du 8 juillet 2011 tout à fait intéressante rendue par la 17ème Chambre correctionnelle du TGI de Paris, qui, s’appuyant sur « la nécessaire défense de la liberté d’expression », a relaxé la directrice éditoriale d’un site, poursuivie pour avoir mis en ligne la vidéo d’une action BDS dans un hyper marché Carrefour en 2009. Déjà, lors de l’audience du 17 juin et résistant aux instructions du ministre de la Justice, la Procureure s’en était remis à « l’appréciation du tribunal » plutôt que de requérir une peine quelconque.
C’est, en effet, la liberté d’expression qui se trouve ainsi directement mise en cause par « l’instrumentalisation d’un texte qui visait à combattre le racisme, le nationalisme et le sexisme » qui « est inadmissible, surtout lorsqu’elle vise à faire taire l’engagement citoyen » (Benoist Hurel, Secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature - 19/11/2010).
Le boycott, ça marche
De l’ampleur de ces réactions politiques à la campagne de boycott, il est permis de déduire une certaine efficacité de celle-ci. Le boycott ne doit cependant pas être dissocié du désinvestissement et des sanctions recherchées.
Le boycott peut certes provoquer le désinvestissement : dans son rapport financier en 2010, la Société Sodastream évoque parmi les risques principaux qu’elle encourt cette campagne et envisage de se retirer de Mishor Adumim, où elle a son usine de fabrication.
Mais le désinvestissement est aussi dans les capacités d’action des militants : de grands groupes français, Veolia et Alstom transport, participent ainsi à la construction et à la gestion d’un tramway destiné à relier le centre de Jérusalem aux colonies illégales implantées en territoire palestinien, en violation des textes internationaux. L’association France Palestine solidarité (AFPS – www.france-palestine.org) les a donc assignées devant un tribunal français afin de voir annuler le contrat de concession ainsi conclu et qu’il leur soit interdit d’en poursuivre l’exécution. Si dans un premier temps, le tribunal s’est déclaré compétent, rien n’est encore judiciairement gagné. Mais ce procès a eu un retentissement international et provoqué effectivement des désinvestissements importants affectant ces sociétés qui ont alors elles-mêmes cherché à se désinvestir de ce projet…
Le Tribunal Russell sur la Palestine (TRP)
(www.russelltribunalonpalestine.com/en), statuant sur la « responsabilité des entreprises dans les violations des droits de l’homme et du Droit international humanitaires commises par Israël », en novembre 2010, à Londres, a d’ailleurs appelé, notamment, au développement de la campagne BDS.
Mais ces actions ne sont menées par les citoyens-consommateurs qu’à raison de l’inertie de la Communauté internationale et notamment des États de l’U.E., qui se refusent à prendre quelque sanction contre l’Etat d’Israël. Cette complicité des États de l’U.E. a d’ailleurs été clairement établie par le TRP (session de Barcelone – mars 2010). Et pourtant, le Parlement européen avait voté, le 10 avril 2002, une résolution demandant la « suspension de l’accord d’association » conclu avec Israël pour non respect de son article 2 exigeant le respect, par les parties, des droits de l’homme et des principes démocratiques en politique intérieure et internationale. Cette résolution est cependant restée lettre morte.
C’est pourquoi les hommes et les femmes de conscience du monde entier sont contraints de prendre le relais tout en maintenant la pression sur leurs dirigeants politiques. Le boycott doit devenir « un geste ordinaire pour des centaines de milliers de citoyens, un acte compris et admis comme un acte anti-impunité d’Israël, un acte utile à la paix » (Jean-Claude Lefort, intervention au Congrès AFPS, le 14 mai 2001).