Que direz-vous demain au président de la République française sur la proposition qu’il a faite dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies : un statut de membre observateur pour l’Etat de Palestine, et à la condition que celui-ci s’engage à ne pas saisir la Cour internationale de justice de La Haye et la Cour pénale internationale de Rome ?
Voilà des années que nous pouvons obtenir un statut de membre observateur à l’ONU. Nous disposons pour ce faire de la majorité – simple – nécessaire depuis un an, cinq ans, dix ans… Si nous avons choisi de ne pas y avoir recours, c’est que nous voulions donner toute da place à la négociation, grâce à laquelle nous espérions atteindre notre objectif : un Etat indépendant aux côtés d’Israël. C’est l’impasse du « processus de paix », du fait de l’intransigeance israélienne, qui nous a conduits à rechercher une issue nouvelle. Et nous avons choisi de poser notre candidature comme Etat membre auprès du Conseil de sécurité. Pour changer la règle du jeu.
Nous apprécions les efforts du président Sarkozy pour trouver une issue. Mais ce qu’il a suggéré devant l’Assemblée générale n’apporte rien de neuf. Aux Israéliens et aux Américains peut-être, mais pas à nous. Je le répète, nous aurons pu devenir membre observateur depuis longtemps. Ce que nous attendons aujourd’hui, c’est une véritable « valeur ajoutée » : après soixante ans de combat pour l’autodétermination, nous avons gagné le droit d’être reconnus comme un Etat à part entière. Pas un tiers d’Etat ni un demi-Etat.
Mais les Etats-Unis ont annoncé qu’ils opposeraient, le cas échéant, leur véto à votre candidature ?
Oui, ils l’ont annoncé, et sans doute prématurément. Car ce n’est pas un geste si facile : un tel veto porterait atteinte à leur crédibilité, surtout en plein « printemps arabe ». Pis : ce serait compromettre la solution bi-étatique du conflit et mettre en danger les espoirs de paix. D’où les efforts de Washington pour éviter d’avoir à utiliser leur droit de veto.
Nous, nous n’avons aucunement l’intention de laisser les uns et les autres régler leurs problèmes sur notre dos : nous sommes décidés à aller jusqu’au bout, pour obtenir au Conseil de sécurité les neuf voix favorables dont nous avons besoin et entraîner aussi les Etats-Unis. Loin de nous l’idée de les défier ! Nous ne voulons de conflit avec personne, nous ne cherchons qu’à amener tout le monde dans le bateau. Admettre l’Etat de Palestine, c’est l’intérêt de tous : notre Etat conditionne la stabilité au Proche-Orient, au-delà, dans le monde.
Voilà ce que nous dirons à Nicolas Sarkozy. S’abstenir n’est pas jouer. Or la France a un rôle dynamique à jouer. Si elle se liait les mains, elle se l’interdirait. La Palestine, les dirigeants français le savent, constituent une des clés du monde arabe. Nous ne sommes certes pas une superpuissance, mais un grain de sel ou de sucre – comme vous préférez – indispensable…
Et si vous n’obtenez pas les neuf voix, ou si Washington utilise finalement son droit de veto ?
Nous reviendrons à la charge – une fois, cinq fois, dix fois s’il le faut. En attendant, nous avons déjà réussi ce que nous voulions : refaire de la Palestine une question centrale, conforter sa légitimité, focaliser sur elle les travaux de cette session de l’Assemblée générale, faire entendre sa voix au plus profond des opinons. Un jour, celles-ci amèneront les dirigeants du monde entier à accéder à notre demande, car elle est juste. N’est-ce pas ainsi que fonctionne – ou devrait fonctionner – un Etat démocratique ?
Dans ce contexte, l’échange annoncé entre Gilad Shalit et 1027 prisonniers palestiniens vous semble-t-il de nature à faciliter votre bataille ?
Sans aucun doute. Hier, Ismaïl Haniyeh a téléphoné au président Mahmoud Abbas pour l’informer de l’accord intervenu. Cette nuit, Khaled Meshaal en a fait autant. Ce dernier et Moussa Abou Marzouk ont d’ailleurs rencontré au Caire Azzam Ahmed [1]. Voilà qui témoigne de notre volonté de mettre en œuvre l’accord conclu entre nous au Caire à la fin avril dernier.
Nous ne sommes bien sûr pas naïfs : cet échange n’intervient pas maintenant par hasard. Ceux qui l’ont négocié y ont sans doute intérêt. Les dirigeants israéliens espèrent sortir de leur isolement interne (face au mouvement social) et externe (face aux succès de notre offensive diplomatique). Le Hamas, de son côté, espère regagner une part de la popularité qu’il a perdue du fait de sa gestion de Gaza et, là aussi, de l’écho rencontré par le discours de Mahmoud Abbas. D’où le caractère un peu bâclé de l’accord : nous regrettons notamment que des dirigeants emprisonnés (du Fatah, amis aussi du Hamas et du FPLP) n’aient pas été libérés, et que certains prisonniers palestiniens se retrouvent exilés.
Nous n’en avons pas moins salué cet événement, car il alimente de la dynamique que nous souhaitons développer pour que l’Etat de Palestine soit, le plus vite possible, une réalité sur le terrain et sur la scène diplomatique.