Le 5 juillet 2011 le Tribunal de Tel-Aviv a mis Agrexco en observation pour une période de quinze jours (puis prolongée au 26 juillet), la protégeant de ses créanciers afin d’éviter la cessation de paiements. Pendant cette période un administrateur est nommé pour trouver une solution aux difficultés de l’entreprise, en clair pour trouver un repreneur sous peine de liquidation.
Pour permettre à la société de poursuivre son activité durant cette période les actionnaires doivent verser 850.000 euros, les banques 350.000 et les salariés … travailler gratuitement. Et ce après un gel des salaires en 2008 et leur réduction de 5% en 2009.
Créée en 1956 sous la forme d’une coopérative à capitaux mixtes – l’Etat d’Israël possédant alors 50% du capital, l’union d’agriculteurs 25% et la coopérative de distribution Tnuva 25% – Agrexco disposait du monopole de l’exportation de fruits (hors agrumes), légumes, primeurs et fleurs. L’Etat souhaitait garder le contrôle de cette entreprise du fait de l’importance de l’agriculture, à l’époque, dans l’économie israélienne.
Un outil de la colonisation
Agrexco n’est pas une entreprise quelconque. Elle a été et demeure un outil important dans la colonisation israélienne en Cisjordanie. Lors d’un procès en Grande-Bretagne en novembre 2006, Amos Orr, Directeur Général d’Agrexco dans ce pays, reconnaissait que sa compagnie commercialisait 60 à 70% des produits agricoles des colonies israéliennes. De nombreuses preuves existent de son implication dans ces colonies tout particulièrement dans la Vallée du Jourdain où elles ont essentiellement une activité agricole. On peut citer : Na’ama, Mitzpe Shalem, Ro’i, Argaman, Mehola, Vered Yericho, ..... Agrexco dispose d’ailleurs de nombreux entrepôts de tri et d’emballage ainsi que d’un bureau dans cette région annexée à 95% par Israël où la population palestinienne vit dans des conditions particulièrement terribles : démolition de leurs habitations pour les pousser à partir, confiscation de 98% des ressources en eau, eau qui est revendue chichement aux Palestiniens au prix fort. Agrexco commercialise aussi des produits de colonies situées ailleurs en Cisjordanie comme par exemple à Tekoah à côté de Bethleem.
C’est ce rôle d’Agrexco dans la colonisation israélienne qui en a fait une cible de la campagne de boycott. En France une manifestation nationale en 2003 avait réunie plus de 10.000 personnes contre la présence du terminal Agrexco à Marseille. Au Royaume-Uni les actions contre Agrexco s’y sont multipliées. En Belgique aussi où Agrexco livre des fleurs par avion. En 2009 l’annonce de l’arrivée d’Agrexco au port de Sète a conduit à la création de la Coalition contre Agrexco et de multiples manifestations, rassemblements, actions devant le Conseil Régional du Languedoc-Roussillon, la marche vers Sète etc. Aujourd’hui des actions sont menées dans la plupart des pays européens et à la suite du Forum contre Agrexco du 4-5 juin une journée d’action est programmée pour le 29 novembre.
Agrexco dans la tourmente financière
Que s’est-il passé pour que cette entreprise se retrouve dans cette situation financière ?
L’évolution générale de l’économie israélienne vers un libéralisme effréné a conduit le Ministre de l’Agriculture, dès 2001, à évoquer la privatisation d’Agrexco. En 2008-2009 l’Etat amorce concrètement le processus de transformation d’Agrexco en entreprise capitaliste classique : suppression de son statut coopératif et possibilité de distribuer des bénéfices, prise de contrôle de Tnuva par le fond d’investissement franco-américain Apax, réduction de la participation de l’Etat à 30% du capital et surtout suppression du monopole d’Agrexco.
Selon le journal israélien Haaretz, au début de la précédente décennie l’Etat d’Israël a accordé des permis d’exportation à 75 sociétés privées après des décennies de situation monopolistique pour Agrexco. Les agriculteurs n’étant plus obligés de passer par Agrexco pour l’exportation de certains produits ont répondu au plus offrant. La part de marché d’Agrexco a commencé à décliner au profit notamment de son principal concurrent Mehadrin [1]., exploitant et négociant, filiale des groupes financiers Dankner et Dekel.
Ainsi dernièrement Agrexco a perdu Granot, un regroupement de 39 kibboutz et 4 mochav, qui est passé chez Mehadrin. Et Granot envisage de traiter avec Mehadrin pour 7.500 tonnes d’agrumes représentant 22% des agrumes exportées par Agrexco. Globalement, il y a une dizaine d’années, Agrexco effectuait 60% des exportations agricoles israéliennes alors qu’en 2010 sa part avait fortement diminuée et n’en représentait plus que 40%.
Autres problèmes : des conditions climatiques défavorables qui ont pesé sur la production agricole et la revalorisation du shekel par rapport à l’euro alors qu’Agrexco ne s’est pas couvert sur le risque de change.
A quoi s’ajoute le boycott d’Agrexco dans de nombreux pays européens qui a contribué à dégrader l’image de cette entreprise et ses résultats.
L’information et l’interpellation par les nombreux collectifs Palestine des centrales d’achat, grossistes, coopératives bio … à travers la France et en Europe a certainement freiné les décisions d’achat des produits coloniaux israéliens.
Pour cacher les pertes enregistrées ces trois dernières années, Agrexco avait procédé à quelques « reclassements » comptables aujourd’hui dénoncés et considérés douteux. Au final Agrexco dégage une perte de 33 millions d’euros en 2010 avec un endettement de 106 millions d’euros. A noter qu’une banque française (non spécifiée) a participé d’une manière significative au financement d’Agrexco.
Reprise par un acquéreur ou liquidée ?
Plusieurs repreneurs sont sur les rangs, des israéliens et des étrangers notamment un groupe hollandais. Quel que soit le repreneur, si repreneur il y a, la restructuration sera sévère. L’administrateur judiciaire a d’ores et déjà annoncé sa volonté de licencier 200 salariés sur les 530 de l’entreprise (350 en Israël et 180 à l’étranger) s’ils refusent de partir en congé sans solde. Les analystes, d’autre part, ne se privent pas de noter que Mehadrin fonctionne avec quelques dizaines d’employés alors qu’Agrexco en a plusieurs centaines.
Un des plans de reprise déjà dévoilé évoque le regroupement de l’ensemble des structures européennes sur le Royaume Uni, principal marché d’Agrexco, et les Pays-Bas.
Rien n’est dit sur les deux navires réfrigérés, dont Agrexco était si fière, qui livraient les produits à Marseille, puis à Vado et enfin devaient le faire à Sète. Ils ont été achetés grâce au prêt d’une banque allemande. Se trouvant en difficulté pour les exploiter Agrexco les a cédés au groupe israélien Ofer Shipping en échange d’un contrat de location pendant quatorze ans, jusqu’en 2019. La rentabilité de ces bateaux est fortement remise en cause, l’opération provoquant des pertes importantes. « Quel que soit l’accord conclu entre la banque allemande et Agrexco, nous tenterons de soutenir la compagnie » déclarait Idan Ofer le 26 juin 2011.
Ce sont les « actifs » d’Agrexco qui intéressent particulièrement les repreneurs : le réseau commercial, les contrats à long terme enregistrés avec des clients européens, américains et asiatiques et les entrepôts d’emballage en Israël et en Cisjordanie, militairement occupée, et à l’étranger.
Mais il est douteux qu’un repreneur accepte d’acquérir la société en l’état. En général les repreneurs demandent que la société soit au préalable « assainie » selon les critères capitalistes : la dette restructurée, la société recapitalisée et les licenciements mis en oeuvre.
Pour l’heure rien de tout cela n’est fait même si l’administrateur judiciaire s’y emploie activement et se déclare optimiste. Les créanciers ne veulent pas avaler la pilule et demandent que l’Etat les indemnise, des créanciers essaient de bloquer les recettes des ventes en Europe pour se payer puisque la législation israélienne ne s’y applique pas. Les salariés refusent de partir sans indemnités de licenciement et occupent le siège de la société …
Bref si la reprise est toujours possible elle reste difficile. Et s’il n’y a pas de reprise agréée par le tribunal les « actifs » d’Agrexco seront vendus en liquidation.
Nombre d’agriculteurs quittent Agrexco
On a vu que Granot, un regroupement de kibboutz, a quitté Agrexco. Le pépiniériste israélien Hishtil décide d’exporter directement sans passer par Agrexco. Il est plus que probable, malgré certaines déclarations, que nombre d’agriculteurs se détournent d’Agrexco. Selon le site Redfox, le directeur de la succursale britannique d’Agrexco reconnaît une baisse de volume, les agriculteurs ne voulant pas travailler avec une société dans cette situation et il demande aux clients de patienter.
Il a démenti les rumeurs selon lesquelles des agriculteurs iraient sur les quais du port d’Ashdod pour récupérer leurs produits craignant de ne pas être payés.
Le Conseil Régional, complice d’Agrexco, minimise sa déconfiture
Il n’y a pas si longtemps, en mai 2011, le gérant d’Agrexco France accordait une interview au site Econostrum indiquant que les navires d’Agrexco, qui livraient déjà à Sète des containers depuis novembre 2010, y déchargeraient chaque semaine à partir du 15 juin les palettes de fruits et légumes.
Mais le hangar frigorifique de 20.000 m2, financé en partie par la Région Languedoc-Roussillon, reste vide et rien ne se profile à l’horizon. Mais il faut rester vigilant.
L’exportation des produits d’Agrexco vers le Port de Sète - où le Conseil Régional du Languedoc-Roussillon a investi 20 millions d’euros pour attirer sans honte et même de manière provocatrice l’entreprise coloniale Agrexco - n’est pas acquise. Sauf peut-être à faire toujours plus de cadeaux pour les attirer. Aujourd’hui le président du Conseil Régional minimise les conséquences de son choix politiquement et économiquement calamiteux et déclare « Agrexco ce n’est pas tout ». Alors qu’il y a quelques mois le discours était plutôt sur le registre « sans Agrexco pas de relance possible du port de Sète ».
Boycott de tous les produits des colonies
De toute façon quelle que soit la solution, reprise ou liquidation d’Agrexco, les colonies israéliennes sont encore là et l’exportation de leurs produits se poursuit. Pas uniquement par Agrexco ou son éventuel successeur mais par de multiples canaux, les agriculteurs délaissant Agrexco. Le monopole est tombé et de nombreux concurrents se développent. Pour les produits des colonies agricoles qu’ils soient exportés par Agrexco, Mehadrin, Hadiklaim [2] etc. ne change rien évidemment.
La mobilisation contre les produits, industriels et agricoles, des colonies doit encore s’accentuer. Ils sont tous à mettre dans le même sac, celui du boycott, tant qu’Israël violera le droit international et s’opposera aux droits nationaux du peuple palestinien !
Robert Kissous
Sources : le journal israélien Haaretz, le site financier israélien Globes, le site de la Chambre de Commerce France-Israël, site Mehadrin, site israélien WhoProfits de la Coalition des Femmes pour la Paix, Redfox, Econostrum