Nous sommes encore en train de tout ficher en l’air et de bavarder jusqu’à plus soif sur 1967 – est-ce que le Premier ministre Benjamin Netanyahou va oui ou non prononcer les mots "frontières de 1967," comme si ce qu’il dit fait la moindre différence. Nous continuons à dire que le danger venu du nord, qui peut en réalité être un bien, approche et soudain la discussion a changé de direction. Netanyhou, qui est bien conscient de la situation, fait l’innocent : avec ses prédécesseurs, c’est lui qui est responsable de l’état de la situation.
C’est comme ça quand on fait traîner les choses, qu’on en fait une farce et que l’on trompe les autres. Quand on pense que l’inaction est la solution, quand on continue à remettre la décision de mettre fin à l’occupation.
Après 44 années d’un pouvoir militaire dont la fin n’est toujours pas en vue, après avoir reçu une poignée de miettes d’Oslo qui n’ont pas amélioré la situation des Palestiniens, après des plans de paix au fond de tiroirs où s’accumule la poussière et d’innombrables discours creux, sans qu’un seul acte courageux ait été fait, sinon l’évacuation de Gaza, le génie est sorti de sa bouteille.
Tous ceux qui ne voulaient pas de 1967 vont maintenant avoir 1947. Tous ceux qui ne voulaient pas évacuer la colonie d’ Ariel devront maintenant discuter de Carmiel. Tous ceux qui refusaient un compromis historique trouvent aujourd’hui à leur porte le dossier de 1948. La droite se réjouit, on ne sait pas trop de quoi, la gauche est morte depuis longtemps et la caravane s’emballe, laissant Israël dans une situation qui se détériore chaque jour.
1948 a eu un enterrement en catimini en Israël ; il n’y a jamais eu de véritable discussion publique à ce sujet ici alors qu’en Palestine et dans la diaspora palestinienne son esprit n’est jamais mort, pas un seul instant. Ceux qui lui ont survécu, les réfugiés et leurs petits enfants, en portent la mémoire et la douleur jusqu’à ce jour, comme les juifs portent leurs propres souvenirs et leur douleur. Il y a bien longtemps qu’on aurait dû le reconnaître. En ce sens, on peut réellement apprécier l’attitude des manifestants venus de Syrie : ils ont rappelé aux Israéliens des événements oubliés.
On peut l’arrêter et l’interroger tant qu’on veut, mais l’image de ce jeune Palestinien de Syrie, venu à Jaffa pour voir sa maison ancestrale, était une image extrêmement impressionnante dans l’histoire de ce conflit. Peut-être allons nous maintenant commencer à comprendre que pour les Palestiniens les frontières de 1967 sont la mère de tous les compromis et concessions, un compromis qui est beaucoup plus douloureux pour eux que pour nous. Pas seulement parce qu’il signifie renoncer aux trois-quarts de leur pays, mais surtout parce qu’il signifie renoncer à leurs désirs et leurs aspirations.
Pendant des années, de nombreux Palestiniens et leurs dirigeants étaient prêts à faire des concessions. Quand ils ont commencé à désespérer après ces scandaleuses années de stagnation, leur exigence est remontée à la surface dans toute sa force.
Le Président palestinien Mahmoud Abbas, le spécialiste en compromis, n’aurait jamais publié son récent article dans le New York Times, où il parlait du récit palestinien historique , si nous avions mis en place un accord. Maintenant les Américains savent ce qui se passe quand ils ne font rien. Maintenant un discours creux émanant du bureau du premier ministre, affirmant qu’Israël est attaché à la solution à deux Etats, ne suffit plus. De quelle façon exactement y est-il « attaché » ? Et qu’a-t-il fait pour le mettre en pratique ? Des colonies encore et encore, c’est tout.
Il est difficile d’exagérer l’importance du changement qui se déroule sous nos yeux ébahis, qui étaient bien fermés toutes ces années. Les territoires sont encore bien loin d’être évacués, la troisième Intifada n’est semble-t-il, pas encore prête à se déclencher, et Netanyahou est tranquillement enfoncé dans son fauteuil, jouant la montre avec des mots creux et des formules vides.
Mais à partir de maintenant, chaque Israélien, y compris le premier ministre, devra comprendre que toute solution proposée devra prendre en compte les désirs de l’autre partie.
Le temps est venu de crever l’abcès et de mettre la plaie au grand jour. Nous ne sommes pas en train de parler d’un impossible retour en arrière historique de la roue de l’histoire, du retour de millions [de réfugiés] et de la fin de l’Etat d’Israël comme la droite veut nous le faire croire en nous effrayant. Nous parlons de comprendre l’autre côté et de répondre à certains de ses désirs -accepter la responsabilité morale de 1948, une solution au problème des réfugiés et bien sûr, c’est le minimum, les frontières de 1967. Ceux qui ne comprennent pas encore cela sont invités à perdre davantage de temps et à voir à quel point ça nous est bénéfique, à eux et à nous.