Mardi 7 septembre 2010, un jour à marquer d’une pierre noire dans
l’histoire. Pour la première fois l’hyperpuissance américaine, selon le
mot d’Hubert Védrine ancien ministre français des Affaires étrangères, met
un genou à terre non pas devant un adversaire qui lui est supérieur mais
devant un petit Etat, petit par le nombre, mais à l’évidence, assez puissant
pour faire plier les Etats-Unis, pour les faire reculer sur le dossier de la
colonisation des terres palestiniennes.
Crispian Balmer de l’agence Reuters écrit : « Comme ses prédécesseurs, le
président américain Barack Obama semble s’être, à son tour, cassé les
dents sur le conflit du Proche-Orient qui perdure depuis plus de 60 ans. Son
incapacité à obtenir une reprise sous égide américaine du dialogue direct
entre Israéliens et Palestiniens, met fin à l’illusion qu’il pourrait
être réglé d’un coup de baguette magique - qui plus est dans un délai
d’un an.
Ce dernier épisode voué à l’échec de la diplomatie
proche-orientale, remonte au mois de septembre, lorsque Barack Obama a jugé
possible d’obtenir un règlement global au terme d’un an de rencontres
directes entre les deux camps. Les Etats-Unis ont formulé une série d’offres
à Israël pour le convaincre de prolonger de trois mois ce moratoire, dont la
livraison de 20 chasseurs F-35 d’une valeur globale de trois milliards de
dollars. Le secret espoir de Washington était qu’en 90 jours les deux parties
feraient assez de progrès sur la question des frontières de la future
Palestine pour rendre la question des colonies superfétatoire.
Yasser Abd
Rabbo, un proche collaborateur du président palestinien, Mahmoud Abbas, en est
arrivé à se demander si les Etats-Unis, censés être le médiateur le mieux
placé entre les deux camps, pourront jamais arracher un règlement. Si
Washington est incapable d’obtenir de l’Etat juif un arrêt de la
colonisation « pour une période limitée », comment pourrait-il « faire
accepter par Israël une solution équilibrée fondée sur les résolutions
internationales et une solution à deux Etats ? », s’est-il interrogé ».(1)
« L’erreur d’obama »
Mieux encore, les Israéliens renvoient aux calendes grecques un règlement
éventuel : « On ne doit pas présumer ou supposer que nous sommes la
génération qui résoudra le problème ou parviendra à mener à bien les
négociations », souligne Daniel Reisner, membre de l’équipe de négociateurs
israéliens. (...) « Tant qu’il n’y a pas de conséquences en termes de
maintien du statu quo, pourquoi diable quiconque attendrait que quelque chose de
différent se produise ? », se demande Daniel Levy. »(1)
Pour leur part, les colons israéliens exultent. « L’administration Obama a
fini par comprendre que le soutien qu’elle avait apporté à la précondition
posée par les Palestiniens, n’était pas justifié... et que c’était une
erreur politique », explique Dany Dayan, président de Yesha, la principale
organisation de colons israéliens.. (...) La question centrale étant
aujourd’hui celle de l’alternative aux négociations : les Palestiniens
vont-ils se tourner vers les Etats-Unis et l’ONU pour demander une
reconnaissance internationale de leur Etat dans les frontières de 1967 ?
Conscients de leur faiblesse, les Etats-Unis affirment qu’ils
n’abandonnent pas la partie mais changent de tactique. « Ce n’est pas un
« changement de stratégie » mais « il pourrait s’agir d’un changement de
tactique », selon les mots du porte-parole du département d’Etat américain,
Philip Crowley. (...) Evoquant également l’attente d’une potentielle
« nouvelle voie pour avancer dans le processus de paix au Proche-Orient », le
quotidien de gauche israélien Haaretz est plus définitif quant aux raisons de
cette « impasse » sur un gel des nouvelles constructions.
Selon les informations
divulguées par un diplomate israélien, anonyme lui aussi, l’Etat hébreu
« est arrivé à la conclusion que ce n’était pas le moment de faire des
négociations directes en renouvelant le moratoire ». (...) Pour l’analyste
politique d’Al Jazeera Marouan Bishar, l’incapacité américaine est
« humiliante pour une administration déjà affaiblie ». « Même si les
diplomates parlent d’un retour aux discussions indirectes -appelées aussi
discussions de proximité -, c’est trop petit et ça arrive trop tard. (...)
Les Etats-Unis sont obligés de s’en remettre au Quartette (...). Israël est
peut-être une question américaine, mais la Palestine occupée est la
responsabilité de toute la communauté internationale qui l’a trop longtemps
abandonnée », poursuit-il.
Même constat pour le président de l’Autorité
palestinienne Mahmoud Abbas qui, en déplacement en Grèce, en appelle à
l’Union européenne pour régler cette énième « situation de crise ».(2)
On apprend qu’au total, ce sont quelque 150 pays qui maintiennent des
relations diplomatiques avec la Palestine sous une forme ou une autre. La
Palestine détient un statut d’observateur à l’ONU et le président
américain Barack Obama a indiqué en septembre dernier qu’il espérait
qu’elle devienne membre de plein droit en 2011. Le négociateur palestinien
Saëb Erakat a déclaré le mois dernier à Tanger (Maroc) que si les Etats-Unis
n’arrivaient pas à imposer à Israël l’arrêt de la colonisation, les
Palestiniens pourraient leur demander la « reconnaissance de l’Etat de
Palestine dans ses frontières de 1967 ».
Obama disait le 24 septembre 2010
espérer un Etat palestinien d’ici un an.(3) Cependant, il ne faut pas que les
Palestiniens proclament un Etat ! « Pour Yossi Shain, directeur de la faculté de
diplomatie de l’université de Tel-Aviv, Washington est mal placé pour ce
faire et risquerait s’il essayait et échouait de perdre encore un peu plus de
son crédit diplomatique. De même, il ne pense pas que les Palestiniens
mettront à exécution leur menace de tenter de forcer la main d’Israël en
essayant d’obtenir la reconnaissance de l’indépendance de la Palestine aux
Nations unies. Les Palestiniens ne proclameront jamais leur indépendance »
parce que non seulement Israël y est complètement hostile mais aussi que « les
Américains ne permettront pas car il ne veulent pas le chaos », prédit Yossi
Shain. Le plus probable, c’est que le statu quo ne va pas évoluer
sensiblement dans un avenir proche, du moins en surface.
Si les Américains se plient aux exigences de Netanyahu, c’est parce
qu’Israël est redevenu une carte essentielle dans leur politique
moyen-orientale. Hazem Sahgieh nous explique l’arrogance d’Israël par le
fait que c’est Washington qui a besoin d’Israël...« Il n’est pas
exagéré écrit-il, de penser que les modalités des futures négociations de
Washington seront conformes aux désirs du Premier ministre israélien, Benyamin
Netanyahu, même si le passé récent a pu faire penser que le président Barack
Obama aurait souhaité qu’il en aille autrement.
Ce triomphe des volontés
israéliennes s’explique par des facteurs qui relèvent de la vie politique
américaine : l’approche des élections de mi-mandat en novembre prochain, mais
aussi la conduite d’une guerre compliquée et coûteuse en Afghanistan, le
retrait des troupes d’Irak et l’aggravation de la crise économique. Le tout
dans le contexte d’une opposition acharnée des républicains contre les
réformes d’Obama. Cela n’explique pas tout. D’autres éléments, liés à
d’autres facteurs, sont à prendre en considération. Les Israéliens, dont
les dirigeants actuels oscillent entre la vantardise et une approche totalement
sécuritaire, ont réussi à constituer une citadelle unie et prête à toute
éventualité. Ils ont obtenu l’arrêt des tirs de roquettes du Hamas sur le
front sud et la résolution 1701 de la part du Conseil de sécurité, qui prend
en charge la surveillance du front nord [face au Hezbollah libanais], d’une
stabilité exemplaire (à peine perturbée par un accrochage frontalier, le 3
août 2010).
Et cela tranche avec le spectacle de déliquescence offert par les
Palestiniens, de plus en plus divisés entre la Cisjordanie et Ghaza.
Mais le
plus important réside ailleurs. S’il est vrai que le retrait d’Irak est un
préambule nécessaire pour préparer une intervention contre l’Iran, cela
veut dire que les Américains ont davantage besoin des Israéliens que les
Israéliens des Américains. »(4)
Contrairement à ce qui se passe quand il s’agit de mettre à genou un pays
faible, il y a un silence inquiétant de la communauté internationale
s’agissant de l’échec américain à faire entendre raison à Israël. Le
Conseil de sécurité est en vacances mentales au complet, Russie et Chine
comprises. Quant aux Nations unies, Ban Ki-moon est aux abonnés absents. Quant
aux pays arabes tétanisés par l’arrogance d’Israël, impuissants, ils
regardent ailleurs, surveillant leurs peuples. Tout au plus, l’Union
européenne s’est fendue d’un communiqué sans lendemain : « Nous constatons
avec regret que les Israéliens n’ont pas été en mesure d’accepter une
prolongation du moratoire comme le demandaient l’Union européenne, les
Etats-Unis et le Quartette » sur le Proche-Orient, a pour sa part souligné la
porte-parole de la chef de la diplomatie de l’UE, Catherine Ashton, dans une
déclaration envoyée à l’AFP.
C’est bien le lobby pro-israélien qui
dirige la politique américaine ; le droit est bafoué une fois de plus...Cet
aveu de faiblesse justifie et justifiera hélas ! tous les extrémismes...On dit
que depuis l’attaque du Liberty, en 1967, les États-Unis obéissent à
Israël.
Et maintenant ?
Avec les vetos systématiques des Etats-Unis qui autorisent tous les excès
pour Israël, l’indifférence de la communauté internationale, la lâcheté
des pays arabes, du fait de leur faiblesse militaire, les Palestiniens sont-ils
condamnés à mourir ? Le droit est clair pourtant...Rappelons pour les
amnésiques occidentaux la ´´Résolution 471 du 30/06/80 » : Le Conseil de
sécurité réaffirme la nécessité impérieuse de mettre fin à l’occupation
prolongée des territoires arabes occupés par Israël en 1967, y compris
Jérusalem ». Un éditorial du journal le Monde nous paraît indiqué, car
après une analyse lucide de la morgue israélienne, rapporte quelques
propositions faites par des ténors de la politique aux Etats-Unis. Nous lisons :
« (...) L’Amérique, dont Israël dépend largement pour sa sécurité, ne
veut pas être davantage humiliée. Pour obtenir ce geste de M.Netanyahu, les
Etats-Unis avaient offert à Jérusalem des contreparties substantielles.
M.Nétanyahu, qui dirige un gouvernement de droite, a dit non. Il préfère les
implantations. Il a profité de la victoire des républicains aux élections de
mi-mandat pour renforcer ses positions au Congrès des Etats-Unis. Il sait jouer
des aléas de la politique américaine. Sans l’arrêt de la colonisation, il
n’y a pas de Palestiniens à la table de négociations. (...) On ne discute
pas partage territorial - les frontières d’un Etat palestinien - si la
surface à découper continue à être modifiée au profit d’Israël pendant
les négociations. M.Obama doit changer d’approche. Comme le lui suggèrent
nombre d’anciens responsables américains - Warren Christopher, Zbigniew
Brzezinski, Henry Kissinger, rien de moins -, il doit brusquer les choses,
forcer le destin, placer chacun face à ses responsabilités. »(5)
L’analyse va plus loin : « Washington doit mettre un plan sur la table :
tracé des frontières, échange de territoires, s’il le faut ; arrangement sur
Jérusalem ; règlement politico-financier de la question des réfugiés
palestiniens ; dispositifs de sécurité pour empêcher que le futur Etat
palestinien ne se transforme en base de tir de missiles contre Israël.
Pareil
document aurait le mérite de fixer les grandes lignes de la négociation. Le
tracé des frontières réglerait, a priori, la question des implantations :
interdites ici, permises dans la partie revenant à Israël. Passé un certain
délai, le plan pourrait être soumis au Conseil de sécurité de l’ONU. Cela
lui conférerait une légitimité de nature à l’imposer. »(5)
La situation israélo-palestinienne révèle au grand jour les limites des
atermoiements de toute la communauté internationale. La colonisation est un
acte en violation totale du droit international. A partir de là, quelles seront
les lois qui régiront la paix au Proche Orient ? Celles du plus fort ? Israël
dit être le seul à vouloir vraiment négocier, être prêt à mettre toutes
les questions sur la table, même celle des frontières, mais comment négocier
sur des frontières alors que pendant que nous parlons, les Israéliens tentent
de grappiller autant de terrain (et d’eau) que possible. Pendant ce temps, les
Palestiniens ne peuvent ni acheter ni louer en Israël, ils peuvent par contre,
vendre leur terre.
On apprend à ce propos, qu’Amnesty International a
condamné mardi 7 décembre un document religieux signé par plusieurs dizaines
de grands rabbins municipaux d’Israël, qui interdit la location et la vente
de logements aux non-juifs. « la Torah interdit de vendre à un étranger une
maison ou un champ de la terre d’Israël ».
Les Etats-Unis envisageraient un retour à des discussions de paix indirectes
entre Israéliens et Palestiniens. Hillary Clinton presse les deux parties de
négocier. A ce rythme et si on fait crédit à la Parabole du Loup et des
moutons [1], il n’y aura, pour les Palestiniens, plus rien à négocier. Sur la
Palestine historique, il ne reste presque rien, moins d’un cinquième (18%) à
négocier.
De négociations en capitulations, l’Occident a réussi à
problématiser l’existence d’un peuple sous le regard indifférent des
potentats arabes rivés à leurs fauteuils. Pourtant, c’est toute la
communauté internationale qui se doit de défendre les droits des Palestiniens
qui sont aussi, des hommes avec leurs souffrances, leur détresse et leurs
espoirs, comme le dissident chinois dont on défend les droits avec un
acharnement suspect. [2]