Serge Grossvak
44 rue Carnot
95410 Groslay
Monsieur le Juge
Pontoise
Groslay, le 4 octobre 2010
Lettre Recommandée
Lettre publique
Monsieur le juge,
Vous allez recevoir et avoir à juger deux de mes amis, Alima Boumédiene
et Omar Slaouti. Ils sont devenus mes amis dans un engagement commun, dans
une émotion partagée devant une terrible injustice, devant les horreurs
de la guerre : ensemble nous agissons pour une paix juste, pour que le
peuple palestinien cesse d’être opprimé, spolié.
Vous avez à les juger pour une action de boycott dans un hypermarché de Montigny. Alors il faut que je vous dise. Cette action, nous l’avons
décidée ensemble. Oh, à plus que trois ! Bien plus que trois ! Parce
que nous l’avons longuement préparée dans des réunions à Sarcelles,
Argenteuil, Cergy. Nous nous étions réunis une première fois avec le
ventre noué devant ce drame qui se déroulait à Gaza, après beaucoup
d’autres drames. Nous avons décidé que nous ne pouvions pas nous taire, laisser faire. Cela aurait été lâche.
Alors, ensemble, nous avons progressivement élaboré notre action. Nous avons minutieusement préparé notre intervention pour qu’avance une résistance à l’État d’Israël. Qu’il cesse d’enfreindre les lois internationales, qu’il cesse de conquérir de nouveaux territoires, qu’il cesse de se concevoir dans un racisme d’un autre temps.
Ensemble, nous avons décidé de lancer notre opération de boycott, que
nous appelions « Mandela » entre nous (voir article de journal). Nous
avions retiré des rayons tous les produits israéliens (hormis cacher,
respectant les croyances) en visant les importations illégales des
colonies occupées. Ces produits ont été remis au gérant, pour qu’il
applique la loi.
Pour mener cette action, nous nous donnons rendez-vous par petits groupes
de différentes villes et quartiers, et nous convergeons. De multiples
âges, de multiples origines, de multiples localités, de multiples
convictions, mais un idéal commun : la paix, la justice, la diversité
humaine, un égal respect de tous.
Je tiens pour un honneur que d’avoir participé, co-organisé cette
action (que nous avons reconduite récemment, pacifiquement). Un honneur parce que je suis juif, parce que l’histoire des oppressions qu’ont subi nos ancêtres jusqu’au point culminant des camps nazis, ne nous donne pas le droit, encore moins qu’à tout autre, de nier un peuple, de l’opprimer, de l’enfermer dans des ghettos, de le bombarder pour lui imposer de nouveaux abandons de territoires.
Ce que mes parents m’ont enseigné, ce que les résistants juifs portaient comme convictions, était emprunt de solidarité et de respect de toute humanité.
Oui, assurément, je devrais être aux côtés de mes deux amis dans ce
box « d’accusés » qui sera pour l’occasion l’espace de dignité
et de solidarité. Je n’y suis pas, alors que j’ai pris la parole. Les
porteurs de la plainte ont omis mon nom, m’ont oublié. Est-ce par choix
des consonances des noms de mes amis ? Est-ce pour donner à croire que cette guerre de conquête relève d’un camp religieux contre un autre ?
Je veux être là pour montrer à tous que nous sommes le camp de la
diversité, de la solidarité, du respect partagé, et qu’ensemble nous
affrontons la sauvagerie.
Ces fous de guerre et de conquête veulent faire peur et usent des
tribunaux pour nous faire abdiquer, pour nous faire taire, pour nous
soumettre. C’est au nom de l’antisémitisme qu’ils s’attaquent à
nous qui luttons contre tous les racismes. C’est en trichant sur le sens
de l’antisémitisme qu’ils veulent nous menacer pour nous interdire
notre engagement à faire renoncer l’État d’Israël à son choix
guerrier. A l’injustice terrible que subit le peuple palestinien
s’adjoint aujourd’hui une volonté d’atteinte aux libertés.
Mais ces fascisants ne peuvent représenter la culture juive. Ces chemises brunes
qui veulent nous impressionner et nous bâillonner ne revêtent les
oripeaux des déportés que pour mieux les trahir ! Nos survivants
n’avaient qu’un rêve, qu’un appel. Leur plus « jamais ça »
était un souffle partagé entre toutes les victimes de la barbarie, pour
que nul, jamais, ne revive
l’inhumain. L’idée et l’idéal de l’ONU en est émergée.
C’est également cet idéal qui est foulé au pied, pour revenir à la barbarie du plus fort.
Je ne veux pas vous manquer de respect, bien au contraire je crois à la
nécessité de la Justice, mais je dois vous dire que je ne renoncerai pas.
Si l’expression des tribunaux devait porter l’écho de cette menace
contre notre action pacifique, politique, alors je serai bientôt devant
vous. Peut être devrais je connaître à mon tour l’enfermement comme
mon père l’a vécu sous l’occupation, mais je résisterai comme lui a
résisté. Cette révolte contre cette injustice répétée sans fin,
contre ce dédain des lois du monde, est si forte, si décidée, si
partagée, que je suis nombreux, que je suis multiple et qu’il va falloir
multiplier les tribunaux et les prisons.
Ce n’est pas vraiment à vous que je dis cette détermination, mais à
ceux qui intentent déjà 80 procès et qui n’ont pas fini. Ces enragés
nous méprisent tant qu’ils ne mesurent pas comme leur ignominie fait
monter en nous de détermination.
Monsieur le Juge, je n’ai pas coutume de m’adresser ainsi à la
justice. J’espère trouver auprès de vous l’écoute sensible à ma
conviction d’homme épris de justice. Je vous prie d’agréer mon
parfait respect.
Serge Grossvak