Réunis à Kampala depuis le 31 mai 2010 pour amender le Statut de la Cour pénale internationale (CPI), aujourd’hui compétente pour poursuivre les responsables de génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, les Etats parties à la Cour sont parvenus, dans la soirée du 11 juin 2010, à adopter un compromis qui devrait, en théorie, permettre à la juridiction de juger un jour les responsables de crimes d’ « agression ». L’accord laisse encore au moins sept ans aux Etats pour confirmer les modalités d’enquête de la Cour. Selon le texte adopté vendredi 11 juin 2010, il appartiendra au Conseil de sécurité des Nations unies de donner le feu vert à la Cour pour qu’elle puisse enquêter sur de tels crimes, à moins que l’agresseur et l’Etat agressé soient membres de la Cour et aient accepté sa compétence sur ce crime. Un accord complexe, à l’image des tensions qu’il a suscitées.
Les cinq puissances veulent conserver leur monopole
L’attaque américaine de mars 2003 sur l’Irak constitue un cas d’école en matière d’ « agression ». Et au cours des dix jours de conférence, organisée sur les rives du lac Victoria en Ouganda, Etats parties à la Cour, mais aussi ceux qui étaient invités, ont « tous revendiqué leurs attaques », a ironisé Joshua, militant ougandais des droits de l’homme. L’attaque survenue au large de Gaza le 31 mai a fait l’objet d’une passe d’armes musclée entre l’Autorité palestinienne, Israël et l’Egypte. La Géorgie a attaqué en terme vifs la Russie pour la guerre de l’été 2008. Dans les couloirs, la République démocratique du Congo a rappelé les agressions rwandaise et ougandaise dans l’Est du pays. Quoi qu’il en soit, le compromis adopté vendredi soir ne lèvera pas les critiques infligées à la Cour : une cour à deux vitesses, dotée d’une compétence à la carte, et qui s’exerce différemment, « selon que vous serez puissants ou misérables ». Sans surprises, les cinq puissances du Conseil de sécurité des Nations unies - Etats-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni - ont âprement bataillé à Kampala, pour préserver leur contrôle sur la Cour. Tandis que certains Etats, africains notamment, voyaient dans l’agression la possibilité de poursuivre les crimes commis par les puissances internationales.
Un accord au terme de huit ans de travaux
Si l’objectif d’un accord est atteint, plusieurs Etats – dont le Japon, principal contributeur de la Cour – sortent insatisfaits. Même déception pour Amnesty International et pour Richard Dicker, de Human Rights Watch. « Cela pourrait poser des défis à l’efficacité de la CPI en créant des attentes auquel le compromis ne répondra pas » affirme-t-il. Mais les négociateurs, le prince jordanien Zeid et le président de l’Assemblée des Etats parties, Christian Wenaweser, emportent une victoire : sortir de la négociation de Kampala avec un accord en poche, notamment pour ne pas remettre à plat huit années de travaux. Faute d’accord sur l’agression, il aurait fallu compter sur la « déclaration de Kampala » pour permettre aux délégués de sortir tête haute de la négociation. Une déclaration de principe, dans laquelle les 111 Etats-parties réaffirment leur « soutien politique et diplomatique à la Cour ».
La déclaration de Kampala
La déclaration de Kampala reflète les défis de la Cour : son impact sur les victimes des crimes, la nécessaire coopération des Etats dans les enquêtes et l’arrestation des accusés, ainsi que la complémentarité. Sans s’engager fermement sur la coopération - alors que 9 des 13 mandats d’arrêts émis par la Cour n’ont toujours pas été exécutés- les Etats ont en revanche fait preuve d’une belle unanimité sur la complémentarité. La Cour ne peut juger les responsables de crimes que lorsque les Etats n’en ont pas les moyens techniques ou la volonté politique. Complémentaire, elle n’intervient qu’en dernier ressort. Or généralement, les Etats préfèrent juger leurs ressortissants sur leur sol plutôt que devant une Cour internationale dont ils ne maîtrisent pas les décisions. Bref, préserver leur souveraineté face à cette justice globale. Alors que la Cour pénale internationale souffre de profonds dysfonctionnements, tant dans sa gestion que sur la qualité des poursuites et des procès, cette préoccupation peut sembler aujourd’hui légitime et nécessaire.