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Une flottille devant Gaza
Depuis l’évacuation des colons israéliens en septembre 2005, la bande de Gaza est un territoire dont les habitants ne peuvent ni entrer ni sortir. Les points de passage sont verrouillés à l’est par l’armée israélienne et au sud par l’armée égyptienne. La marine israélienne impose un blocus maritime total. Le seul ravitaillement possible en vivres et en médicaments passe par des tunnels creusés sous la frontière égyptienne. Ils sont régulièrement bombardés. Une flottille de huit navires veut forcer le blocus.
La détresse des habitants a considérablement augmenté depuis les destructions massives infligées à Gaza par l’armée israélienne en décembre 2008 et janvier 2009. Des enfants meurent tous les jours par manque de nourriture et manque de soins. La pêche, activité traditionnelle, pourrait apporter un supplément alimentaire, mais les navires israéliens coulent les bateaux de pêche dès qu’ils sont en mer. Au cours des trois derniers mois, Israël a restreint le carburant pour la station électrique, en sorte qu’une grande partie de Gaza est souvent plongée dans le noir. Grande comme l’île d’Oléron et peuplée de plus d’un million et demi d’habitants, la bande de Gaza est devenue un vaste camp de concentration.
Premiers préparatifs
Le 9 mai 2010, on apprenait qu’une flottille de huit navires provenant d’Irlande, de Grèce et de Turquie se préparait à rejoindre Gaza à la fin du mois avec 10 000 tonnes de marchandises et 800 passagers, membres d’organisations humanitaires, députés et sénateurs de 40 pays. On pouvait suivre les préparatifs jour après jour sur le site de l’organisation Free Gaza.Les autorités israéliennes ont fait savoir que des ordres précis avaient été donnés pour empêcher ces navires d’arriver à Gaza, même s’il fallait utiliser la force militaire. Ce genre de menaces avait déjà été utilisé par Israël pour essayer d’arrêter les expéditions précédentes avant leur départ. « Ils ne nous en ont pas dissuadé jusque-là et ils ne le feront pas maintenant » a déclaré l’un des organisateurs. Le 14 mai, un cargo de 1 200 tonnes quittait le port de Dundalk en Irlande, chargé de ciment, de papier, de fournitures scolaires et de matériel médical. Le 22 mai, un navire quittait le port d’Istanbul avec 600 passagers. Le 25 mai, un cargo de 2 000 tonnes quittait le port d’Athènes, et deux navires quittaient le port d’Iraklion avec 200 passagers.
La Coalition Flottille de la Liberté se compose du Mouvement Free Gaza, de la Campagne Européenne pour Arrêter le Siège de Gaza (ECESG), de la Fondation turque d’Aide Humanitaire (IHH), de la Fondation malaisienne Perdana et du Comité International pour Lever le Siège de Gaza. Elle a précisé que tous les bateaux, tous les passagers et tous les chargements seront contrôlés à chaque port de départ, afin de bien montrer qu’ils ne constituent pas une menace pour la sécurité d’Israël.
Pendant le week-end, une contre-flottille composée d’une cinquantaine de yachts des marinas israéliennes s’est déployée le long de la côte de Gaza avec des bannières hostiles au Hamas et à la Turquie. « Ces gens-là ne s’intéressent pas aux Palestiniens. Ils veulent seulement donner une mauvaise image d’Israël, » a déclaré l’un des organisateurs de la contre- flottille. « Ils sont animés par la haine. Ils ne veulent pas aider les Palestiniens, parce qu’ils pourraient apporter toutes ces provisions en Israël et nous les ferions parvenir aux Palestiniens. » Ce n’est pas l’avis de tous les Israéliens. L’organisation Gush Shalom a demandé à son gouvernement de ne pas empêcher la flottille d’atteindre Gaza. Son porte-parole a déclaré : « L’Etat d’Israël n’a pas intérêt à faire attaquer une flottille de la paix par sa marine de guerre, car le monde entier peut voir cela sur tous les écrans de télévision. Il est temps de mettre fin à ce siège étouffant. Il faut que les habitants de Gaza puissent avoir des contacts avec le monde extérieur, que Gaza dispose librement de son port et de son aéroport, comme tout autre pays du monde ». Gush Shalom a équipé un gros yacht dans la marina Herzliya pour aller soutenir la flottille.
On s’apprête donc à voir un affrontement entre la marine israélienne et la flottille de la liberté dans les prochains jours, celle-ci ayant annoncé qu’elle ne ferait aucune action violente. « Nous opposerons une résistance non-violente aux tentatives israéliennes de s’emparer de nos bateaux » a déclaré Huwaida Harraf, la présidente de Free Gaza. Les Israéliens ont fait savoir que les navires seront arraisonnés et conduits dans un port israélien, que la cargaison sera saisie et que les passagers seront emmenés dans un camp préparé à leur intention.
Le gouvernement israélien fera en sorte que les journalistes qui sont à bord de la flottille ne puissent pas transmettre des images aux télévisions du monde entier. La marine israélienne a un système de neutralisation des ondes radioélectriques qu’elle a utilisé précédemment contre Free Gaza. Mais les images seront enregistrées et retransmises tôt ou tard. Un conseil des ministres spécial s’est réuni le 25 mai. Il a décidé que les navires seraient conduit dans le port israélien d’Ashod, « par la force si nécessaire » et que les passagers seraient arrêtés et expulsés.
Les plans d’action des deux camps restent secrets. On sait seulement que le Premier ministre turc, Tayyib Erdogan, a exprimé son soutien pour « briser le siège oppressif sur la Bande de Gaza, qui est en tête de la liste des priorités turques ». Il aurait lancé un ultimatum accompagné de menaces au gouvernement israélien. Aucun pays occidental, à l’exception de l’Irlande, ne s’est exprimé au sujet de cette affaire. Mais il est certain qu’elle est suivie de près. Le 19 mai, l’ambassadeur d’Irlande en Israël a rencontré le ministre des Affaires étrangères israélien « afin qu’il assure la sécurité de cet approvisionnement humanitaire ».
Le gouvernement israélien semble pris de court. Il prétend que la Coalition aurait pu lui remettre l’approvisionnement, et qu’il l’aurait ensuite fait transporter à Gaza. Pour faire croire à cette fable, 40 camions israéliens chargés de denrées alimentaires ont franchi la frontière la semaine dernière.
Les expéditions précédentes
Fondé en 2006 par un groupe de citoyens américains, le mouvement Free Gaza est une ONG qui s’est donné pour but de forcer le blocus maritime pour donner aux Gazaouis des conditions de vie décentes. Ils ont été rejoints par des Britanniques, des Irlandais, des Grecs et des Australiens.
Le 23 août 2008, une première expédition a réussi à forcer le blocus. Deux bateaux de pêche sont partis de Chypre avec 44 personnes à bord. Ils sont arrivés à Gaza malgré des tirs d’intimidation de la marine israélienne. Ils ont repris la mer le 28 août en laissant sur place huit personnes, dont six avaient pour mission d’accompagner les pêcheurs palestiniens dans les eaux territoriales. Le 1er septembre, ceux-ci ont lancé un appel, transmis par des agences de presse, au ministère des Affaires étrangères d’Israël. Des navires israéliens tiraient à l’arme lourde sur les bateaux où ils se trouvaient pendant que les pêcheurs faisaient leur travail. Personne n’a été blessé, mais les pêcheurs leur ont dit que 14 de leurs camarades ont été tués dans les mêmes conditions.
Le 28 octobre 2008, une seconde expédition a réussi à forcer le blocus. Un yacht de fort tonnage, le Dignity, est parti de Chypre avec 23 passagers, des vivres et du matériel médical. Il est arrivé à Gaza le lendemain matin après une traversée sans histoire. Il n’a pas été attaqué par la marine israélienne, parce qu’il y avait parmi les passagers onze députés et sénateurs de divers pays de l’Union Européenne, dont la liste avait été publiée dans la presse. Israël voulait éviter un incident diplomatique. Les onze parlementaires ont annoncé une conférence de presse le lundi suivant. De nombreux journalistes venus de Jérusalem se sont présentés au poste frontière israélien d’Eretz pour y assister, mais ils ont été refoulés par les autorités israéliennes. Le Dignity a quitté Gaza le mardi matin. Il a pris à son bord six jeunes Palestiniens qui souhaitaient continuer leurs études à l’université et un couple de Palestiniens âgés qui allaient se faire soigner en Allemagne, où s’étaient réfugiés leurs enfants.
Le 28 décembre 2008, le Dignity est parti à nouveau de Chypre avec des médecins et du matériel médical à destination de Gaza. À l’aube du 30 décembre, dans les eaux internationales, il a subi une violente attaque de la marine de guerre israélienne. Il a été éperonné par un croiseur, sans aucun égard pour la vie des seize passagers qui se trouvaient à bord, le but étant de le rendre inutilisable. Ni le navire, ni ses passagers ni l’équipage ne constituaient un quelconque danger pour l’Etat d’Israël. Le gouvernement libanais a offert son assistance au navire et l’a autorisé à rejoindre le port de Tyr, ce qu’il a pu faire par ses propres moyens. Le lendemain, l’inspection de la coque a montré que le bateau avait résisté au choc parce qu’il avait une solide charpente en bois ; un navire en polyester aurait immédiatement coulé. Trois journalistes qui se trouvaient à bord ont transmis les images de l’expédition en direct depuis le départ de Chypre jusqu’à l’arrivée dans le port de Tyr. On voit de gros navires de guerre arriver à toute vitesse. On entend les marins israéliens traiter les passagers de terroristes en les menaçant de mort s’ils ne font pas immédiatement demi-tour. Si les trois journalistes n’avaient pas été là, les Israéliens auraient pu faire croire à un simple accident.
Le 15 janvier 2009, vers 3h du matin, le Spirit of Humanity, un navire venant de Chypre et se dirigeant vers Gaza avec des fournitures médicales pour les hôpitaux, a été encerclé par cinq navires de guerre israéliens à 100 miles de la côte. À son bord se trouvaient des médecins, des journalistes, des militants des droits de l’homme et plusieurs membres de Parlements européens, au total 36 passagers de 17 nations différentes. Un navire de guerre lui a coupé la route et a exigé par radio qu’il fasse demi-tour, sinon a-t-il dit « Nous ouvrons le feu ». Le capitaine du bateau lui ayant demandé s’il avait conscience que le fait de tirer sur des civils sans défense est un crime de guerre, il a répondu qu’il était prêt à utiliser « tous les moyens » pour l’arrêter. Sachant ce qui était arrivé au Dignity et craignant que son navire soit envoyé par le fond, le capitaine a décidé de faire demi-tour et de rentrer à Chypre. Ce nouvel acte de piraterie maritime n’a fait l’objet d’aucune protestation de la part des gouvernements européens.
Le 24 juin 2009, le Spirit of Humanity quittait à nouveau Chypre avec des fournitures médicales et 21 passagers. Deux jours plus tard, à 1h40 du matin, alors qu’il était dans les eaux internationales à 40 miles de la côte, il a été encerclé par des vedettes de la marine de guerre israélienne qui ont menacé d’ouvrir le feu s’il ne faisait pas demi-tour. Voyant que l’équipage ne se laissait pas intimider, les militaires israéliens ont brouillé toutes leurs fréquences radio, ce qui a neutralisé leur GPS, leur radar, leur balise SPOT et leur système de navigation. Le capitaine a continué à naviguer à la boussole. On a entendu Huwaida Arraf, organisatrice de l’expédition et coordinatrice du voyage, dire plusieurs fois à la radio : « Vous ne pouvez pas tirer sur des civils désarmés. » Cynthia McKinney, ancienne candidate à la Maison-Blanche, ancienne parlementaire, était à bord elle aussi. Elle a déclaré à son retour : « Je suis très en colère. Nous exigeons que le gouvernement israélien rappelle ses chiens d’attaque. Nous sommes des civils sans armes ; le navire transporte à Gaza du matériel médical et des matériaux de construction. Pourquoi Israël veut-il nous attaquer ? Je demande au président Obama et à la communauté internationale d’intervenir pour empêcher une escalade qui pourrait avoir des effets dramatiques sur des civils ». Les 21 passagers et les hommes d’équipage ont été arrêtés et conduits dans une prison israélienne. Parmi eux se trouvaient quatre citoyens des Etats-Unis dont un ancien membre de la Chambre des Représentants, deux Irlandais dont un Prix Nobel de la Paix, six citoyens britanniques, un Danois, une Israélienne et sept Arabes dont un journaliste très connu de la chaîne Al-Jazeera.Ils n’ont été relâchés qu’une semaine plus tard. Le navire est resté dans un port israélien.
À ces actes de piraterie, il faut ajouter l’interception par la marine israélienne d’un cargo libyen le 3 décembre 2008 et celle d’un cargo libanais le 5 février 2009. Tous deux étaient chargés de plusieurs tonnes de vivres, de vêtements et de couvertures à destination de Gaza.
Le mouvement Free Gaza ne désarme pas. En mars 2010, il a acheté aux enchères un cargo de 1 200 tonnes qui végétait dans le port irlandais de Dundalk. Repeint par une équipe de travailleurs bénévoles, il a été baptisé MV Rachel Corrie, du nom d’une jeune Américaine assassinée en 2003 par l’armée israélienne alors qu’elle tentait de s’opposer à la démolition de maisons palestiniennes. Le 1er mai, des dizaines de tonnes de papier, des fournitures scolaires, du matériel médical, et des centaines de tonnes de ciment ont été acheminées à Dundalk en provenance de plusieurs villes d’Angleterre, d’Irlande, de Suède et de Norvège. Comme nous l’avons dit plus haut, le navire a largué les amarres le 14 mai pour gagner la Méditerranée. À l’heure où cet article paraîtra, il sera sans doute au large de Gaza.
La presse européenne est restée silencieuse, à l’exception d’un excellent article dans le Guardian du 25 mai, signé de son envoyée spéciale à Jérusalem, Harriet Sherwood.
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