Ils mettent en garde contre toute conspiration qui viserait à transformer le royaume hachémite en un Etat palestinien de facto, par le biais d’une naturalisation de centaines de milliers de réfugiés ; faisant de la Jordanie la destination ultime de millions de Cisjordaniens de plus en plus menacés d’une déportation ou d’un transfert de leur territoire occupé.
L’argument n’est pas nouveau. Pendant des années, des personnalités conservatrices, parmi les Jordaniens, ont claironné sur les dangers d’une implantation permanente des réfugiés palestiniens en Jordanie, par le biais d’un accord de paix régional qui, en réalité, abolirait le droit au retour. Dans un pays où les Jordaniens d’origine palestinienne, citoyens et réfugiés, constituent une majorité assez large, une telle possibilité, de l’avis de ses opposants, diluerait l’identité nationale jordanienne et remettrait le pays aux Palestiniens.
Mais l’argument va plus loin. Il soutient également que l’objectif final d’Israël est justement de faire de la Jordanie l’Etat palestinien. C’est une proposition qui a été présentée par des dirigeants de droite israéliens dans les années 1970. Et qui continue de résonner encore aujourd’hui, malgré le fait que l’une des principales revendications de la Jordanie, à la signature du traité de paix avec Israël en 1994, était que la doctrine « la Jordanie, c’est la Palestine », soit enterrée à jamais.
Officiellement, la Jordanie rejette catégoriquement tout projet qui viserait à faire de la Jordanie une « patrie de remplacement » pour les Palestiniens. Le roi Abdullah II a répété, à plus d’une occasion, que la Jordanie ne remplacera jamais la Palestine et ne tentera jamais de nier aux réfugiés leur droit au retour dans leur terre natale.
Bien que de telles déclarations aient contribué à apaiser les critiques pendant un temps, un certain manque de confiance dans la crédibilité du processus de paix et un récent décret militaire israélien menaçant d’expulser plus de 70 000 Palestiniens - si ce n’est plus - qui seraient considérés comme habitant illégalement en Cisjordanie, incitent de nouveaux citoyens de la rive orientale du Jourdain à manifester leurs craintes sur l’avenir de la Jordanie.
La semaine dernière, le Comité national jordanien des militaires en retraite, qui représente plus de 140 000 vétérans, a publié un communiqué en termes vigoureux qui s’adresse aux « Jordaniens honnêtes » et dans lequel il met en garde contre ce qui serait en réalité une application du projet sioniste de régler la cause palestinienne aux dépens de la Jordanie. Il alerte sur le fait qu’actuellement la Jordanie est mise sous pression internationale pour qu’elle « naturalise » des millions de réfugiés palestiniens, dont les Gazaouis, leur attribuant ainsi des droits politiques et un quota dans le système politique au prorata de leur nombre, ce qui répondrait tout à fait à l’objectif de créer une patrie de substitution pour les Palestiniens.
Les vétérans demandent des réformes politiques et juridiques, entre autres que soit prise la décision d’inscrire dans la loi le renoncement administratif et juridique (de 1988) de la Jordanie à la Cisjordanie, et d’intégrer la séparation des deux rives dans la Constitution. Ils demandent aussi au gouvernement de soutenir l’armée et d’adopter une stratégie défensive, avec notamment l’acquisition de missiles longue portée et la formation d’une armée populaire pour faire face aux menaces israéliennes.
Politiquement, tant l’Autorité nationale palestinienne que son rival à Gaza, le Hamas, ont rejeté les tentatives israéliennes de procéder à un transfert massif de Cisjordaniens, de refuser aux réfugiés leurs droits inaliénables et de cibler la Jordanie comme patrie de remplacement.
Méfiance
Alors que la Jordanie prépare ses élections législatives en novembre, dans le cadre d’une nouvelle loi électorale, la crainte et la méfiance grandissent. Le gouvernement est resté discret sur la nature des amendements qu’il voulait introduire par la nouvelle loi qui, de l’avis de beaucoup, donnera des indications sur l’orientation que le royaume a l’intention de prendre sur des questions cruciales, comme la question sensible des quotas politiques, la composition démographique de la nouvelle Chambre des députés, le redécoupage électoral et les circonscriptions.
La réforme politique a jusqu’ici pris un chemin sinueux, la plupart des Jordaniens croyant même qu’elle ne verrait pas le jour. En l’absence d’une finalité claire du processus de paix, la Jordanie a dû reporter, inverser ou suspendre des projets de réformes audacieuses. Aujourd’hui, la réforme se retrouve dans une impasse. Alors que des appels pour une action claire sur le statut des Palestiniens en Jordanie se font entendre avec vigueur, il monte une tension et une incertitude. Il n’y a aucune sortie facile, et le gouvernement fait face à des critiques internationales pour des accusations selon lesquelles il aurait dépouillé des Jordaniens d’origine palestinienne de leur citoyenneté, de manière arbitraire et anticonstitutionnelle. Nationalement, la pression monte à propos de ces procédures.
A un moment donné, le débat devra être élargi et institutionnalisé afin d’atténuer la frustration et d’éviter les frictions nationales. Mais un tel débat pourra intégrer des questions que le gouvernement déteste aborder en ce moment, tels la viabilité du traité de paix avec Israël, les réformes controversées de la constitution et l’avenir des Palestiniens en Jordanie, entre autres.
Avec des défis économiques grandissant et une feuille de route politique obscure, le gouvernement se retrouve à devoir se préserver de menaces sur de nombreux fronts. Les mois à venir s’avèrent difficiles pour la Jordanie, et aussi pour les Palestiniens. Les uns et les autres partagent un lien existentiel depuis les années 1940, et aujourd’hui, les uns et les autres ont un besoin urgent d’une conclusion juste au conflit arabo-israélien.