René Backmann :
Sans illusions : c’est dans ces dispositions moroses que les responsables israéliens et palestiniens s’apprêtent à s’engager, peut-être dès les prochaines semaines, dans les « négociations indirectes » dont l’émissaire américain George Mitchell sera l’un des acteurs majeurs après en avoir été l’architecte obstiné. Arrivé au Proche Orient au début de la semaine, Mitchell a déjà rencontré longuement le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à deux reprises. Il a également été reçu par le président israélien Shimon Peres, le ministre de la Défense, Ehoud Barak, et le ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman. L’émissaire de la Maison Blanche est aujourd’hui à Ramallah pour s’entretenir avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et probablement avec le premier ministre, Salam Fayyad.
Selon le journal arabe basé à Londres, al-Hayat, Mahmoud Abbas, aurait eu mercredi une longue conversation rassurante avec le président égyptien Hosni Moubarak. Ce dernier, qui a reçu Netanyahou la semaine dernière à Charm el-Cheikh aurait confirmé à son homologue palestinien que le premier ministre israélien semblait « sérieux » à propos des « négociations indirectes » à venir. Venant après l’appui donné le week-end dernier à la reprise des négociations par la Ligue arabe, cette nouvelle a sans doute soulagé Mahmoud Abbas qui va devoir obtenir samedi du Comité exécutif de l’OLP un feu vert officiel pour reprendre les négociations, 17 mois après leur interruption provoquée par l’attaque israélienne sur la bande de Gaza en décembre 2008.
Une lettre d’Obama
La discussion ne sera pas une simple formalité : nombre de membres du Comité exécutif sont très réservés, face à la reprise des négociations en raison de l’absence de garanties formelles donnée par l’administration Obama, sur ce qu’ils considèrent comme une question-clé : l’arrêt de la colonisation israélienne en Cisjordanie et à Jerusalem-est. Les assurances informelles données par Barak Obama à Mahmoud Abbas reposent sur de simples promesses de Netanyahou au président américain. Selon le porte-parole de la présidence palestinienne, Nabil Abou Roudeineh, Mahmoud Abbas aurait prévu de montrer aux membres du Comité exécutif, pour obtenir leur soutien, une lettre de Barack Obama, dans laquelle le président américain s’engagerait à soutenir la création d’un Etat palestinien. Cet argument diplomatique d’importance ainsi que le soutien renouvelé de la Ligue arabe aux négociations indirectes devraient permettre au président palestinien d’obtenir un feu vert de la direction de l’OLP. En raison de la réunion du Comité exécutif, ce n(’est pas avant samedi soir, voire dimanche matin, que Mahmoud Abbas donner à George Mitchell sa réponse définitive. Après quoi ce dernier regagnera Washington pour rendre compte au président des Etats-Unis.
Restera ensuite à trouver un accord sur les sujets à traiter lorsque la négociation proprement dire va se mettre en marche. Les Israéliens souhaiteraient que dans cette première phase, deux dossiers seulement soient abordés : les arrangements de sécurité et l’eau. Shimon Peres l’a encore répété ce vendredi à George Mitchell. Après avoir souligné « l’importance primordiale des questions de sécurité » dans tout accord de paix, le président israélien a précisé : « un règlement des questions de sécurité revêt la plus haute importance, le retrait militaire israélien de la bande de Gaza (en 2005) ayant été suivi par des tirs de milliers de roquettes contre Israël ».
Négocier, mais sur quelles bases ?
Les Palestiniens, de leur côté, ne veulent pas se laisser enliser dans des débats techniques, qui permettraient à Israël de gagner du temps. Ils jugent indispensable d’aborder d’emblée les dossiers essentiels, en particulier la question des frontières et le statut de Jerusalem. Ils estiment en effet qu’il est capital, pour eux, de savoir quel sera le contour de leur futur Etat, et dans quelles dispositions sont officiellement les Israéliens sur la question de Jerusalem avant d’entrer dans des discussions techniques.
Selon des assurances forales fournies aux négociateurs palestiniens par leurs interlocuteurs américains, Washington n’aurait pas l’intention de se limiter à transmettre simplement les propositions et contre-propositions d’un camp à l’autre, mais s’apprêteraient à avancer, sur la plupart des questions, des propositions de compromis de leur cru, pour rapprocher les positions.
Un autre point important à résoudre est celui des « termes de référence ».
Où reprend-on les discussions ? Sur quelles bases ? Les fondements diplomatiques et juridiques de l’accord d’Oslo de 1993 ? Les « paramètres Clinton » de décembre 2000 ? Le relevé de conclusions des négociations de Taba en 2001 ? Le plan de paix arabe de 2002 ? La « Feuille de route » parrainée par le Quartette (Etats-Unis, Union européenne, Nations Unies, Russie) depuis 2003 ? Les positions définies par les deux parties au point où les dernières négociations entre les Palestiniens et le gouvernement Olmert se sont interrompues, avant l’opération Plomb durci contre la Bande de Gaza en décembre 2008 ? Une combinaison des acquis provisoires de ces négociations et propositions ?
En cas d’échec, un plan de paix américain ?
Rien pour l’instant n’est clair sur ce point. Le négociateur en chef palestinien, Saeb Erekat s’est borné à rappeler, devant les consuls et représentants diplomatiques de l’Union européenne, qu’Israël était tenu, en raison des engagements pris, de geler les constructions dans les colonies, de lever le siège de la bande de Gaza, et de libérer les détenus palestiniens. « C’est le refus israélien de respecter ces engagements, a-t-il précisé, qui est à l’origine de la détérioration de la situation sur le terrain et des obstacles aux pourparlers de paix ».
La vérité oblige à dire que l’espoir est assez mince de voir les « négociations indirectes » déboucher sur un succès. La défiance entre les deux camps est si profonde, les positions sur les sujets majeurs si éloignées, les dispositions même des négociateurs si sombres que la tenue, sans rupture prématurée, de ce premier cycle jusqu’à son terme théorique de quatre mois relèverait pratiquement du miracle. « Ces négociations sont vouées à l’échec » a annoncé ce vendredi le vice-premier ministre israélien Silvan Shalom. Quant à l’ancien négociateur palestinien, Ahmed Qorei, (Abou Ala), il se demande, lui s’il s’agira « d’une autre expérience ratée ou si Américains seront en mesure d’offrir des garanties réelles que les solutions seront trouvées sur toutes les questions de fond comme les frontières, Jerusalem, les réfugiés, l’eau ? »
Que peut-il se passer en cas d’échec ? L’esquisse d’une réponse possible a déjà été donnée officieusement par l’administration Obama, sous la forme de confidences ou d’hypothèses : la Maison Blanche envisagerait, si les négociations indirectes s’achèvent sans accord, d’organiser au plus tôt à l’automne prochain, d’une conférence internationale placée sous le parrainage du Quartette et de proposer son propre plan de paix. Citant de hauts responsables israéliens, la radio israélienne a indiqué jeudi que ce projet aurait même été évoqué ouvertement par l’administration Obama.