Ces derniers jours, j’ai entendu nombre de déclarations d’Ehoud Barak, Tzipi Livni, Benyamin Netanyahu et Ehoud Olmert. Et chaque fois, ces huit mots reviennent à mon esprit : "Vous êtes du mauvais côté de l’histoire ! "
Obama parla comme un homme du XXIe siècle. Nos dirigeants parlent un langage du XIXe siècle. Ils ressemblent aux dinosaures qui terrorisaient jadis leur voisinage et qui n’étaient pas du tout conscients du fait que leur époque était déjà révolue.
DURANT LES célébrations enthousiastes, le patchwork multicolore de la famille du nouveau président fut évoqué à maintes et maintes reprises.
Tous les présidents précédents étaient des protestants blancs, hormis John Kennedy, qui était un catholique blanc. Trente huit d’entre eux étaient des descendants d’émigrants des îles britanniques. Parmi les cinq autres, trois étaient d’origine néerlandaise (Theodor et Franklin D. Roosevelt , ainsi que Martin Van Buren) et deux d’origine allemande (Herbert Hoover and Dwight Eisenhower.)
La famille d’Obama présente un aspect tout à fait différent. La famille élargie comprend des blancs et des descendants d’esclaves noirs, des Africains du Kenya, des Indonésiens, des Chinois du Canada, des musulmans et même un juif (un afro-américain converti). Les deux prénoms du président lui même, Barack Hussein, sont arabes.
Ceci est le visage de la nouvelle nation américaine, un mélange de races, de religions, de pays d’origine et de couleurs de peau, une société diversifiée et ouverte, dont les membres sont censés être égaux et s’identifier aux "pères fondateurs". Le Barack Hussein Obama américain, dont le père est né dans un village kenyan, peut parler avec fierté de "George Washington, le père de notre nation", de la révolution américaine (la guerre d’indépendance contre les Anglais) et brandir l’exemple de "nos ancêtres", qui comprenaient aussi bien les pionniers blancs que les esclaves noirs qui subirent "les coups de fouet ". Ceci est la conception d’une nation moderne, multiculturelle et multiraciale : une personne l’intègre en acquérant la citoyenneté et dès lors devient l’héritière de toute son histoire.
Israël est le produit du nationalisme étroit du XIXe siècle, un nationalisme fermé et exclusif, basé sur la race et l’origine ethnique, le sang et la terre. Israël est un "Etat juif", et un Juif est une personne née juive ou convertie selon la loi religieuse juive (Halakha). Comme le Pakistan et l’Arabie saoudite, c’est un Etat dont la représentation mentale est en grande partie conditionnée par la religion, la race et l’origine ethnique.
Quand Ehoud Barak parle de l’avenir, il utilise la langue des siècles passés, comme la force brute et les menaces cruelles, les armées étant la solution de tous les problèmes. C’était aussi la langue de George W. Bush qui a quitté furtivement Washington la semaine dernière, une langue qui sonne déjà aux oreilles occidentales comme l’écho d’un passé lointain.
Les mots du nouveau président résonnent à nos oreilles : "Notre puissance seule ne peut pas nous protéger, et ne nous donne pas le droit d’agir à notre guise". Les mots clés furent "humilité" et "mesure".
Nos dirigeants s’enorgueillissent actuellement de la part qu’ils ont prise dans la guerre de Gaza, dans laquelle une force armée débridée fut lancée délibérément contre une population civile, hommes femmes et enfants, dans le but déclaré de "créer la dissuasion". Dans l’ère qui a commencé mardi dernier, de telles expressions ne peuvent que donner des frissons.
ENTRE ISRAEL et les Etats-Unis, un fossé s’est ouvert cette semaine, un fossé étroit, presque invisible – mais qui pourrait s’élargir et se transformer en gouffre.
Les premiers signes sont ténus. Dans son discours d’investiture, Obama a proclamé que : "nous sommes une nation de chrétiens et de musulmans, de juifs et d’hindouistes et de non croyants. " Depuis quand ? Depuis quand les musulmans précèdent-ils les juifs ? Qu’en est-il de l’héritage judéo-chrétien ? (Un terme complètement faux, étant donné que le judaïsme est beaucoup plus proche de l’islam que de la chrétienté. Par exemple : ni le judaïsme ni l’islam ne défende la séparation de la religion et de l’Etat.)
Dès le lendemain, Obama a appelé certains des dirigeants du Proche-Orient. Il décida de faire un geste tout à fait unique, en plaçant le premier appel pour Mahmoud Abbas et seulement le second à Olmert. Les médias israéliens ne l’avalèrent pas. Haaretz par exemple falsifia sciemment le compte-rendu – pas une fois mais deux fois dans la même édition – en écrivant qu’ Obama avait appelé « Olmert, Abbas, Mubarak et le roi Abdallah » (dans cet ordre).
Au lieu du groupe de juifs américains qui avaient pris en charge le conflit israélo-palestinien pendant les administrations de Clinton et de Bush, Obama, dès son premier jour de fonction nomma un Arabo-américain, George Mitchell, dont la mère était arrivée en Amérique du Liban à l’âge de 18 ans, et qui, lui-même orphelin d’un père irlandais, fut élevé par une famille libanaise chrétienne maronite.
Ce ne sont pas de bonnes nouvelles pour les dirigeants israéliens. Au cours des 42 dernières années, ils ont poursuivi une politique d’expansion et de colonisation en coopération étroite avec Washington. Ils se sont fiés à un soutien illimité des Américains, allant de la fourniture massive de fonds et d’armes à l’utilisation du véto au Conseil de sécurité. Ce soutien était essentiel pour leur politique. Ce soutien pourrait maintenant atteindre ses limites.
Ceci se fera bien sûr progressivement. Le lobby pro-Israël à Washington continuera à faire peur au Congrès. Un énorme bateau comme les Etats-unis ne peut changer de cap que très lentement, avec un virage très doux. Mais le changement de cap a déjà débuté le premier jour de l’administration Obama.
Cela n’aurait jamais pu se produire si l’Amérique elle même n’avait pas changé. Ce n’est pas seulement un changement politique. C’est un changement de conception du monde, de schéma mental, de valeurs. Un certain mythe américain, qui est très similaire au mythe sioniste, a été remplacé par un autre mythe américain. Ce n’est pas un hasard si Obama lui consacra une grande partie de son discours (dans lequel, soit dit en passant, il n’y eut pas un seul mot sur l’extermination des indigènes américains).
La guerre de Gaza pendant laquelle des dizaines de millions d’Américains ont vu l’horrible carnage s’y dérouler (même si une autocensure rigoureuse en coupa une grande partie) a accéléré le processus de séparation. Israël, la courageuse petite sœur, l’alliée loyale dans la "Guerre à la terreur" de Bush s’est transformée en un Israël violent, un monstre fou, sans compassion pour les femmes et les enfants, les blessés et les malades. Et quand de tels vents soufflent, le Lobby décline.
Les dirigeants de l’ Israël officiel ne l’ont pas remarqué. Comme Obama considère cela dans un autre contexte, ils ne sentent pas que "le sol se dérobe sous leurs pieds". Ils pensent que ceci n’est qu’un problème politique passager qu’ils pourront corriger avec l’aide de ce Lobby et des membres serviles du Congrès.
Nos dirigeants sont encore drogués par la guerre et ivres de violence. Ils ont réécrit la fameuse phrase du général prussien, Carl von Clausewitz : « la guerre n’est que la poursuite d’une campagne électorale par d’autres moyens ». Ils rivalisent les uns avec les autres en plastronnant pour s’attribuer le "crédit" de la guerre. Tzipi Livni, qui ne peut se mesurer aux hommes pour la couronne de seigneur de guerre, tente de leur damer le pion en dureté, bellicisme et cruauté.
Le plus brutal est Ehoud Barak. Un jour je l’ai appelé "criminel de paix", parce qu’il a provoqué l’échec de la conférence de Camp David en 2000 ; et détruit le camp de la paix israélien. Maintenant je dois l’appeler "criminel de guerre" en tant que personne qui a planifié la guerre de Gaza sachant qu’elle tuerait des masses de civils.
A ses yeux et aux yeux d’une large fraction de l’opinion publique, c’est une opération militaire qui mérite tous les éloges. Ses conseillers pensaient aussi qu’elle lui apporterait le succès aux élections. Le parti travailliste qui fut le plus grand parti à la Knesset pendant des décennies s’était réduit selon les sondages à 12 et même 9 sièges sur 120. Avec l’aide des atrocités à Gaza il remonte à 16 environ. Ce n’est pas un raz de marée et rien ne garantit qu’il ne sombrera pas à nouveau.
Quelle fut l’erreur de Barak ? C’est très simple : chaque guerre aide la droite. La guerre, de par sa nature même, excite dans la population les émotions les plus primitives – la haine et la peur, la peur et la haine. Ce sont les émotions sur lesquelles la droite a surfé pendant des siècles. Même quand c’est la « gauche » qui initie une guerre, c’est encore la droite qui en tire profit. En état de guerre la population préfère un homme de droite tout simple à un homme de gauche factice.
Ceci arrive à Barak pour la seconde fois. Quand en 2000 il a lancé la litanie "j’ai remué ciel et terre sur le chemin de la paix / J’ai fait aux Palestiniens des offres sans précédent / Ils ont tout rejeté / Il n’y a personne à qui parler", il a réussi non seulement à briser en mille morceaux la gauche, mais il a ouvert la voie à l’ascension d’Ariel Sharon aux élections de 2001. Maintenant il ouvre la voie à Benyamin Netanyahou (espérant, assez ouvertement devenir ministre de la défense).
Et pas seulement pour lui. Le vrai vainqueur de la guerre est un homme qui n’y a pris aucune part : Avigdor Liberman. Son parti, qui dans n’importe quel pays serait appelé fasciste, monte constamment dans les sondages. Pourquoi ? Liberman ressemble et parle comme un Mussolini israélien, c’est un bouffeur d’Arabes déchaîné, un homme qui est pour la force brutale maximale. Comparé à lui, même Netanyahu a l’air d’une mauviette. Pour une large partie de la jeune génération, nourris d’années d’occupation, de meurtres et de destruction, après deux guerres atroces, il est un dirigeant de valeur.
ALORS QUE LES ETATS-UNIS ont fait un pas de géant vers la gauche, Israël est sur le point de faire un saut encore plus loin vers la droite.
Tous ceux qui ont vu les millions de personnes qui grouillaient à Washington le jour de l’investiture savent qu’Obama ne parlait pas que pour lui-même. Il exprimait les aspirations du peuple, le Zeitgeist (l’esprit du temps – ndt)
Entre le monde mental d’Obama et le monde mental de Liberman et de Netanyahu il n’y a pas de passerelle. Entre Obama, Barak et Livni, non plus, il y a entre eux un gouffre. L’Israël post-électoral pourrait entrer en collision avec l’Amérique post-électorale.
Où sont les Juifs américains ? Ils ont voté pour Obama à une majorité écrasante. Ils seront entre le marteau et l’enclume, entre leur gouvernement et leur adhésion naturelle à Israël. Il est raisonnable de supposer que cela exercera une pression de la base sur les "dirigeants" du judaïsme américain – qui, soit dit en passant, n’ont été élus par personne – et sur des organisations comme l’AIPAC. Le bâton solide sur lequel les dirigeants israéliens avait l’habitude de s’appuyer en cas de difficultés peut se révéler être un roseau brisé.
L’Europe non plus n’est pas épargnée par les vents nouveaux Il est vrai qu’à la fin de la guerre nous vîmes les dirigeants européens – Sarkozy, Merkel, Browne et Zapatero – assis comme des écoliers derrière leurs bureaux en classe, pendus respectueusement aux lèvres du plus détestable cabotin Ehoud Olmert, répétant son texte après lui. Ils semblaient approuver les atrocités de la guerre, parlant des Qassams en oubliant l’occupation, le blocus et les colonies. Il est probable qu’ils n’accrocheront pas cette photo sur les murs de leur bureau.
Mais durant cette guerre des masses d’Européens sont descendus dans la rue pour manifester contre ces horribles événements. Les mêmes masses ont salué Obama le jour de son investiture.
C’est le nouveau monde. Peut-être que nos dirigeants rêvent du slogan : "Arrêtez le monde, je veux descendre !" Mais il n’y a pas d’autre monde.
OUI, NOUS SOMMES MAINTENANT du mauvais côté de l’histoire.
Par bonheur, il y a un autre Israël. Il n’est pas sous les projecteurs et sa voix n’est audible qu’à ceux qui tendent l’oreille pour l’entendre. C’est un Israël sain et rationnel, tourné vers l’avenir, le progrès et la paix. Dans les élections prochaines, on entendra à peine sa voix car tous les vieux partis sont debout avec leurs deux jambes bien ancrées dans le monde d’hier.
Mais ce qui est arrivé aux Etats-Unis aura une influence profonde sur ce qui arrive en Israël. L’immense majorité des Israéliens savent que nous ne pouvons exister sans liens étroits avec les USA. Obama est à présent le leader du monde, et nous vivons dans ce monde. Quand il promet de travailler "agressivement" à la paix entre nous et les Palestiniens, c’est pour nous un appel à la mobilisation.
Nous voulons être du bon côté de l’histoire. Cela prendra des mois ou des années, mais je suis sûr que nous y arriverons. Il est temps à présent de commencer.