Ramallah est une ville à part. Située en Cisjordanie, la capitale administrative de l’Autorité palestinienne reflète toute la diversité de la société palestinienne : elle brasse toutes les catégories sociologiques de la population, accueille les citoyens des villes et villages alentour, attire des étrangers du monde entier, abrite un nombre considérable d’ONG et organise la plupart des activités culturelles et politiques. Je l’avais visitée lors de l’élection présidentielle de janvier 2005 [remportée par Mahmoud Abbas], puis des élections législatives de janvier 2006 [gagnées par le Hamas]. Un an et demi plus tard, j’y suis aujourd’hui de nouveau afin de prendre le pouls de la population et de m’intéresser aux gens ordinaires, que ce soient les étudiants de l’université de Bir Zeit, les gens dans les cafés ou dans la rue, ou encore les acteurs de la vie culturelle et les observateurs politiques.
On peut résumer l’humeur générale en un mot : le dégoût. Le dégoût de l’occupation bien sûr, mais aussi de l’Autorité palestinienne, du Fatah et du Hamas, de leurs miliciens et de leurs combats, de la corruption, de la crise économique et de l’effondrement du pouvoir d’achat, des pays arabes et de ce qu’on appelle la communauté internationale, des Etats-Unis, de l’Europe et des Nations unies. Un dégoût généralisé qui n’épargne rien ni personne. Tous sont gagnés par le sentiment dévastateur d’être abandonnés par le monde entier et de n’avoir aucune perspective d’avenir. L’option d’une solution négociée n’a pas donné le moindre résultat, l’option de cessez-le-feu n’a en rien amélioré la situation, l’option de l’affrontement n’a pas fait bouger d’un pouce les lignes, l’option de l’attaque n’a pas suffi à terroriser l’ennemi.
Les Palestiniens de Ramallah n’ont plus aucun espoir. Mahmoud Abbas a trop déçu l’espérance qu’il avait suscitée. Avant son accession au pouvoir, on pensait qu’il pouvait réussir là où Yasser Arafat avait échoué, c’est-à-dire dans l’amélioration des conditions de vie. Car, disait-on, il plaisait aux Américains et ne dérangeait pas trop les Israéliens. Or, selon les Palestiniens, cet homme n’a rien obtenu du tout, n’a pas réglé les problèmes de niveau de vie, ni contenu la corruption endémique, ni mis un terme au désordre généralisé. Les Palestiniens se moquent de lui en disant que la seule chose qu’il aurait réussie depuis qu’il est président, c’est de supprimer un point de contrôle entre Ramallah et Bir Zeit.
Quant au Hamas, il a causé un désenchantement majeur. En un temps record, il a dilapidé les espoirs de changement profond qu’on attendait de lui. Non seulement il n’a résolu aucun des problèmes existants, mais il a contribué à les aggraver. Il n’a même plus le mérite de représenter une alternative crédible et prometteuse, puisqu’il s’est avéré être une simple copie barbue du Fatah. Il était avide d’un pouvoir qui ne valait déjà plus rien et, quand il a fini par accepter le gouvernement d’union nationale, il n’a pas respecté les règles de la cohabitation.
D’où peut venir l’espoir, s’interrogent les observateurs ? Pour débloquer la situation, il faudrait soit une guerre régionale pour redistribuer les cartes, soit que Mahmoud Abbas prenne son courage à deux mains et démissionne de son poste en déclarant la fin de l’Autorité palestinienne. Ainsi, il mettrait tout le monde devant ses responsabilités pour que les Palestiniens puissent affronter leur destin sans faux-semblants. Qui sait ? Ce serait peut-être le meilleur moyen de sortir de l’impasse.