Après six années de portes closes, les dirigeants du Meretz [situé à la gauche du Parti travailliste] ont rouvert leur siège historique de Jérusalem, rue de Jaffa. Le bon score des élections municipales, la convocation d’élections législatives anticipées et l’annonce de la création d’un nouveau mouvement de gauche leur ont redonné l’envie de se battre, d’autant que les sondages étaient encourageants. Mais la guerre à Gaza a tout brouillé.
Dès le premier jour de l’offensive israélienne, il était clair que l’armée de l’air n’allait pas seulement mettre Gaza sens dessus dessous, mais aussi mélanger de nouveau les cartes électorales. En temps de guerre, les perspectives sont rarement bonnes pour la gauche israélienne. Aujourd’hui, les militants du Meretz ne savent à nouveau plus trop quoi penser, écartelés qu’ils sont entre la guerre et la paix, entre l’exigence d’humanité pour les Palestiniens et le besoin de sécurité pour les Israéliens. Ran Cohen, un des dirigeants du Meretz, qui, en commission des Affaires étrangères et de la Défense, a voté contre le rappel des réservistes, a dû venir en catastrophe à Jérusalem pour remonter le moral de ses troupes. “Il est possible d’être contre la guerre, même lorsqu’on nous envoie des salves de roquettes. Il faut admettre que, pour un million et demi de Palestiniens, Gaza n’est rien d’autre qu’une immense prison. Si j’étais dans leur situation, je crierais, je protesterais et, si ça ne servait à rien, je prendrais les armes”, a-t-il déclaré. Ses propos ont déclenché une polémique comme on n’en avait pas vu depuis des lustres au sein de son parti et qui l’a tétanisé de la base au sommet, tant le spectre est large entre les partisans et les opposants à la guerre.
Au Meretz, la guerre a donc bouleversé l’agenda. “Nous avions préparé une campagne axée sur les questions sociales et citoyennes”, explique son président, Haïm Oron. “Mais nous avons provisoirement décidé de ne pas insister là-dessus. L’opinion publique n’est pour l’instant pas prête à entendre un autre discours que celui de la guerre. Il est devenu impossible de mettre en avant la déréliction de notre système de santé, de sécurité sociale et d’enseignement.” Bref, si elle avait, des années durant, réussi à éluder ses dilemmes, c’est l’ensemble de la gauche israélienne qui est aujourd’hui en pleine confusion. Et pas seulement elle.
Dans les rangs du Parti travailliste, de Kadima et du Likoud, la confusion n’est pas moindre. Au soir du premier jour de l’offensive aérienne, les dirigeants des trois grands partis ont officiellement donné l’ordre de geler la campagne des législatives [les élections sont prévues pour le 10 février]. Ainsi, aux quatre coins du pays, des centaines de panneaux continuent d’arborer les visages d’Ehoud Barak [ministre de la Défense, Parti travailliste] et de Tzipi Livni [ministre des Affaires étrangères, Kadima]. Au Likoud, on a par contre dû s’adapter à la nouvelle situation, en troquant les attaques personnelles à l’encontre de Livni [une transfuge du Likoud] contre des appels à l’unité nationale.
Mais une chose est désormais certaine : la meilleure campagne, c’est la guerre. Ainsi, c’est Ehoud Barak qui est le principal bénéficiaire de son offensive militaire. En moins d’une semaine, le Parti travailliste est passé de 10 à 16 députés [sur les 120 députés que compte la Knesset] dans des sondages qui étaient jusqu’alors catastrophiques pour lui. “L’ennui”, estime-t-on toutefois dans l’entourage d’Ehoud Barak, “c’est qu’en Israël les gens ont la mémoire courte. Le soir de l’offensive, Barak a redoré son blason de vrai dur, de gars qui sait donner du canon. L’opération éclair de notre aviation a hissé les gens au sommet de l’excitation. Mais, si dans quelques jours cette guerre se complique, qui se rappellera du 27 décembre ?”
Réduit au rang d’observateur de la guerre, le Likoud est revenu sur nos écrans lorsque le Premier ministre Ehoud Olmert a demandé à Benyamin Nétanyahou [président du Likoud] de s’engager dans la campagne de communication internationale de l’Etat d’Israël. Il n’empêche que certains craignent que la course de Nétanyahou d’un plateau de télévision à un autre ne finisse par lui nuire. Après tout, ce sont dans l’ordre Barak, Olmert et Livni qui mènent cette guerre. “Il est encore trop tôt pour savoir qui seront les gagnants et les perdants de cette double campagne électorale et militaire, surtout qu’on ne sait pas sur quoi débouchera l’offensive terrestre”, explique un responsable du Likoud.
Du côté de Kadima, on reste perplexe. D’un côté, Tzipi Livni marquera peut-être quelques points dans les sondages, ne serait-ce qu’à cause de son implication dans la conduite de la guerre, sans parler de son omniprésence dans les médias internationaux, où elle fait feu de tout bois pour défendre la position israélienne. Mais, d’un autre côté, on ne sait donc toujours pas si les succès militaires de Tsahal rejailliront sur elle. On craint même que d’éventuels revers militaires ne lui soient intégralement imputés par l’opinion. Quant à Eyal Arad, directeur de campagne de Kadima, il fait cette analyse : “Peu importe par qui et comment nous sommes entrés en guerre. Ce qui importe, c’est par qui et comment nous en sortirons."
En attendant, celui qui conduit la bataille, c’est encore et toujours Ehoud Barak. C’est lui qui recueille pour l’instant le crédit de la guerre et qui a ramené le bloc de centre gauche sur le devant de la scène politique. Dans moins de cinq semaines, si les élections ne sont pas repoussées au dernier moment, tout le monde sera fixé sur son sort politique.