Si vous vous informez seulement selon le filtre du droit israélien, vous pouvez avoir l’impression qu’après le Jihad islamique, l’Union européenne est le plus grand ennemi mortel d’Israël.
Le crime de l’UE – plus exactement le crime de la Cour européenne de justice – est d’avoir rendu une décision exigeant que les produits fabriqués dans les colonies de Cisjordanie soient étiquetés comme étant fabriqués dans des colonies de Cisjordanie.
A ceux qui pensent naïvement que l’étiquette « Made in » identifie immédiatement l’endroit où le produit a été fabriqué, sachez que vous ne comprenez rien à ce qui est en train de se jouer. Le Lawfare Project [un réseau de juristes basé à New York], dédié à la défense des « droits fondamentaux du peuple juif et de la communauté pro-israélienne », a qualifié ce décret de « désastreux », en ce qu’il politise l’étiquetage des produits et permet aux consommateurs – comble de l’horreur - d’acheter des biens sur la base de « considérations éthiques subjectives ».
Et ce fut là une des réponses les plus modérées.
Un commentateur voit dans cet avis une volonté de l’Union européenne « de nettoyer ethniquement le cœur du pays des Juifs ».
Une réaction de la société de vins casher Psagot, à l’initiative de laquelle le dossier a été instruit pour tenter de bloquer l’étiquetage, a rageusement fait remarquer que la décision de la CJUE intervient « le même jour où des organisations terroristes palestiniennes lancent des roquettes sur des millions de citoyens israéliens » - comme si l’Union européenne et le Jihad islamique étaient complices de ce double assaut de l’Etat juif.
Même le ministère des Affaires étrangères se fait l’écho du manuel du colon, répétant que cette décision « enhardit les groupes anti-israéliens radicaux qui appellent au boycott d’Israël et nient son droit d’exister. »
Lorsque vous avez surmonté toutes les invectives, la rage de la droite repose essentiellement sur trois affirmations douteuses.
- La première veut que, en demandant au commerce des colonies de s’identifier en tant que tel, la décision sur l’étiquetage relève de la discrimination envers les Juifs puisque seuls les Juifs vivent dans les colonies. Ce qui est un non-sens.
La décision sur l’étiquetage est fondée sur le fait que le commerce en question est installé dans une colonie, et non sur le fait que le commerce en question est la propriété d’un Juif. Si Psagot décidait de déménager ses installations à l’intérieur des frontières d’Israël d’avant 1967, il pourrait étiqueter ses bouteilles de vin « Made in Israel ».
- La seconde veut que le statut de la Cisjordanie reste à déterminer et que donc, techniquement, ce n’est pas un territoire occupé puisque les frontières d’Israël n’existent pas. Le problème avec cette théorie est que, quelque soit le statut conféré à la Cisjordanie, le fait principal est qu’Israël ne l’a pas annexée et reconnaît l’Autorité palestinienne comme un quasi-gouvernement. Bien que les colons prétendent le contraire, la Cisjordanie ne fait pas partie de l’État d’Israël et un produit qui y est fabriqué n’est pas fabriqué en Israël.
- La troisième affirmation soutient que l’étiquetage des produits des colonies équivaut à un boycott. Ce n’est pas le cas. L’Union européenne n’a pas boycotté les produits des colonies et n’a aucune intention de le faire. De plus, si certains de ses consommateurs veulent boycotter les produits des colonies pour protester contre l’occupation, c’est tout à fait leur droit. Ce n’est pas le boulot de l’UE que d’appliquer des politiques pour mener ses citoyens en bateau. Il est possible que certains, peut-être beaucoup d’entre eux, soient antisémites ou détestent Israël, mais l’étiquette « Made in Israel » leur servira autant qu’une autre qui dirait « Made in the West Bank ».
Les faits de cette controverse sur l’étiquetage sont les suivants :
1. Loin d’encourager « un nettoyage ethnique » des Juifs de leur pays, l’UE a avancé en mode politique, à travers cet acte mineur de résistance à l’occupation.
Un an avant le début des travaux de l’ONU, la Commission européenne avait publié un appel non contraignant aux membres pour qu’ils légifèrent en matière de règles d’étiquetage. Quatre ans plus tard, seule la France a pris la peine de le faire - et elle a suspendu la réglementation l’année dernière. Ailleurs dans l’UE, la règle d’étiquetage n’est pas appliquée du tout.
2. Les colonies ne produisent presque rien pour quelqu’un qui voudrait boycotter. Ce sont des cités-dortoirs de gens qui vont travailler à Tel Aviv ou à Jérusalem. Quelque soit les industries qui s’y trouvent, ce sont principalement des petits commerces qui produisent pour le marché local et quelques boutiques comme Psagot, dont les consommateurs étrangers sont plutôt favorables à l’occupation. Si l’UE parvenait un jour à faire respecter ses exigences, l’économie israélienne enregistrera à peine un petit coup.
3. Le commerce entre Israël et l’Europe, ça c’est une grosse affaire. L’Union européenne constitue le plus grand marché d’exportation pour Israël et Israël (sauf les colonies) profite de tarifs douaniers préférentiels. Le tourisme est en pleine expansion et Israël récupère une large part des investissements étrangers des entreprises européennes. Le BDS attire l’attention médiatique, tant du côté de ses supporters que de ses détracteurs, mais auprès des consommateurs et des entrepreneurs, c’et une cause perdue – et c’est tout ce qui compte. La décision de la Cour de justice européenne n’y changera rien.
L’hystérie à laquelle nous assistons sur l’étiquetage n’a rien à voir avec des faits ou des chiffres, ni même avec la loi ou les droits de l’homme. Il s’agit simplement de perpétuer le discours de la droite sur Israël assiégé.
Il est question de faire de cette question d’étiquetage non pas un sujet sur l’occupation ou les colonies, mais sur l’existence même d’Israël. Or il n’en est rien. L’Union européenne peut ne pas être l’amie des colons, ce qui n’en fait pas pour autant l’ennemie d’Israël.
Traduction AFPS