Sommaire
Israël/Palestine : Septembre 2012 : témoigner
Première partie : Ce qu’ils nous ont dit
Rencontre avec Gaï Elhanan, Alternative Information Center
Ali Jiddah, guide de Jérusalem
Ayman Abu Al Zulof, ATG d Beït Sahour
Concert centre Jadal, Beït Sahour
Tamar Avraham, mémorial Yad Vashem, Jaffa, villages détruits, village debout
Abdelfattah Abu Srour, camp de réfugiés de Aïda, Bethléem
Edmund Shehadeh, BASR
Daoud Nassar, la Tente des Nations, Bethléem Nahalin
Sandrine Geith AECH Hébron
Fathi Khdira, Jordan Valley Solidarity
Violette Khoury, Nazareth
Mahmoud Subeh, camp de réfugiés de Balata, Naplouse
Ramzi Aburedwan au centre AL KAMANDJATI à Ramallah
Deuxième partie : quelques réflexions
Les camps, vivre en cage
L’eau, illustration d’un système d’apartheid
L’art dans la résistance
Épilogue
Témoigner
Nous étions quatorze, femmes et hommes, d’horizons différents, de professions et d’âges variés, issus de différentes régions de France, d’une grande diversité, mais réunis par un fort désir commun de découvrir, d’étudier, de tenter de comprendre le drame qui se joue depuis 64 ans dans ce territoire de Palestine, région historique et millénaire du Proche-Orient entre Méditerranée et Jourdain et englobant notamment l’Etat actuel d’Israël et la Cisjordanie.
Nous avons voyagé, observé, fait de riches rencontres avec la société civile et la population, à l’exclusion de tout contact avec les représentants de l’Autorité palestinienne ou de l’Etat d’Israël.
Nous avons tenté, en particulier, d’appréhender la situation vécue aujourd’hui en Palestine par les Palestiniens, ainsi que l’application du Droit par l’Etat d’Israël. Certains venaient d’abord rechercher des signes permettant d’espérer la réconciliation et l’avènement de la paix. D’autres venaient aussi pour retrouver les pas des semeurs d’Espérance des millénaires passés.
Chacun fut déçu… et en même temps chacun est ressorti de ce périple, plus fort d’Humanité, plus vrai dans ses convictions et surtout porteur d’une nécessité, celle de dire ce que nous avions vu et entendu, celle de témoigner.
Car nous nous sommes sentis solidaires d’une population qui vit, depuis maintenant 64 ans, une situation d’apartheid consécutive à la volonté de l’Etat juif, de poursuivre son processus de conquête tout en cherchant à expulser les palestiniens.
Israël, de la démocratie à l’apartheid.
Israël-Palestine : 13 millions d’habitants. 6 millions et demi de juifs, 6 millions et demi de palestiniens, sachant que ceux des camps de réfugiés (plus de 2 millions) et de la diaspora palestinienne (4 millions et demi), au prix d’arguties imposées par la raison du plus fort, ne bénéficient pas aujourd’hui du droit à la nationalité qui est la leur.
Difficile de se réclamer de la démocratie quand on refuse, au mépris du droit international, la nationalité et le droit de vote associé à ceux qu’on a chassés.
Difficile de ne pas parler d’apartheid quand le palestinien installé depuis des siècles se voit refuser le droit d’utiliser son eau, quand celle-ci vient irriguer les propriétés du colon qui s’est emparé en toute illégalité du terrain voisin, bénéficiant d’une adduction immédiate en même temps que de la pose de la ligne électrique. Tristesse de voir le tracteur confisqué au check point d’Hamra pour transport illégal d’une citerne d’eau quand l’agriculteur concerné voulait seulement faire vivre sa famille et ses bêtes.
Visiblement, le problème de l’eau exacerbe considérablement les tensions, il a sans aucun doute orienté certaines stratégies militaires et politiques de l’Etat israélien. L’eau est donc un enjeu géopolitique important, et si elle n’est pas la seule cause du conflit, elle est fortement instrumentalisée par ce dernier.
Symbole de ce colon à Bethléem qui réfute les certificats de propriété de l’époque ottomane, du protectorat britannique, de l’époque jordanienne, … au nom de son « droit de propriété » à lui, juif, droit directement issu de Dieu !
Symbole de la Tente des Nations sur laquelle se resserre le nœud coulant d’un droit bien étrange qui interdit aujourd’hui au propriétaire de pomper son eau, d’utiliser l’électricité pourtant à portée de main sur le territoire palestinien et qui lui interdira demain de construire en dur sur son terrain qu’on veut pourtant lui acheter, mais pour y bâtir une colonie de plusieurs centaines d’habitations.
Et ce mur qui sépare le corps de ferme du champ voisin, situation trop souvent constatée près de la ligne verte, imposant le passage par le check point à 5 km, une ou deux heures d’attente, les jours autorisés. Ces 300 km de mur de défense de la ligne verte, devenus un mur de conquête de plus de 700 km, au nom de quel droit ?
Ah bien sûr ! Certains de ces terrains sont achetés, mais dans quelles conditions et sous quelles pressions. Citernes d’eau trouées de balles, oliviers tronçonnés par centaines, intimidations physiques, blocage des routes par des monticules de terre ou de pierres,… Sans doute fallait il pour certains d’entre nous le voir pour le croire.
La société palestinienne que nous avons rencontrée
Ce qui nous a d’abord frappés dans les discours de ceux que nous rencontrions, c’est cette affirmation vigoureuse de la nécessité d’une démarche non violente : « La violence ? On a déjà donné, et on voit ce que ça nous a rapporté ». Il y a très peu de palestiniens qui prônent la violence et quand éclatent les Intifadas, ce n’est qu’au bout d’un processus d’injustice sociale qui a dévoré l’espoir. 64 ans de camps et toujours pas de signe d’en finir avec cet apartheid. La crainte est que des jeunes basculent dans l’illusion romantique de la révolte, tellement contre-productive.
Près de 50% de la population des camps a dû s’expatrier compte tenu des conditions de vie trop difficiles et inhumaines qui y régnaient.
Mais il n’y a plus de leader charismatique, il n’y a plus « d’Autorité palestinienne » crédible pour porter la parole du Peuple, et nous qui entendons cela, nous voyons à quel point dans ce contexte, les palestiniens, même ceux qui œuvrent pour la même juste cause d’Humanité, de cohabitation possible entre les deux Peuples, sont divisés entre eux, quand tout montre qu’ils devraient s’unir.
Les paroles sont fortes cependant, non pas d’agressivité, mais d’une vraie vision positive d’une société pluraliste et démocratique. Il semble ne leur rester qu’un espoir. « Dites ce que vous voyez, dites ce que vous avez entendu ».
C’est pour cela qu’à notre modeste niveau, nous témoignons.
Et le monde juif ?
Nous ne prétendons pas avoir fait le tour de la question par les observations qui précèdent. Nous en avons vu un versant, mais ce côté des choses est déjà riche des enseignements constatés.
Par ailleurs, nous avons rencontré la société juive, mais surtout la gouvernance israélienne à travers les contrôles de frontière et les arrêts aux check- points, puis dans les lieux touristiques et commerciaux.
Pour nous, les contrôles auront été légers et nous les aurons subis sans le côté traumatique que certains nous avaient décrit.
La sécurité a ses exigences. Clairement, la tension est tombée aux frontières et Israël retrouve le sens de l’accueil.
Pas trop cependant, car le sourire, le « welcome » des adultes et des enfants, présent partout dans les rues palestiniennes, est rare en Israël.
Ce monde juif nous est, lui aussi, apparu divisé sous son unité de façade et son conservatisme politique et religieux.
Certains d’ailleurs, signe d’espoir, aujourd’hui bien minoritaires, réagissent aux abus de leurs gouvernants et peuvent aller jusqu’au soutien à la résistance palestinienne non violente. Ces israéliens solidaires, capables de reconstruire le village détruit au côté des palestiniens, acteurs déterminés engagés sur les chemins de la paix, feront-ils école ?
Cette société est fragile. Continuera-t-elle à financer le non travail de religieux exemptés de service militaires, suffisamment nombreux pour peser significativement sur les finances publiques ? Poursuivra-t-elle son soutien à une politique de colonisation qui vide de son contenu l’idéal démocratique dont les fondateurs de l’Etat d’Israël se réclamaient ?
Cette colonisation, jugée illégale au regard du droit international, est considérée, par nombre de chancelleries et d’institutions internationales, comme un obstacle essentiel à la réactivation d’un processus de paix et d’une solution politique pérenne.
De vraies questions sont posées à l’Etat d’Israël qui ne pourra éternellement poursuivre la pénétration de ses lois d’apartheid dans ses codes démocratiques, sous peine de se perdre.
Conclusion :
Les accords d’Oslo sont déjà loin et l’on appelle aujourd’hui les acteurs à de nouvelles négociations. Celles-ci n’auront de sens que si l’ONU retrouve la force et le courage d’imposer que la loi du plus fort s’incline devant la nécessité de reconnaître un même droit à chaque citoyen.
En ce jour du 29 novembre 2012, deux mois après notre voyage, l’ONU à une écrasante majorité vient d’accepter la candidature de la Palestine en son sein. Ce ne sera pas un coup de baguette magique mais l’espoir peut renaître car le droit du peuple Palestinien de vivre une pleine et entière citoyenneté, trouvera là un point d’appui bien plus solide qu’il n’en eût jamais depuis 64 ans. L’Histoire est en marche.