« Une très bonne publicité pour elles. Bien meilleure qu’une visite en Israël. » C’est l’avis d’Aaron Miller, ancien conseiller au département d’État, proche des démocrates, à l’annonce de l’interdiction faite à Rashida Tlaib et Ilhan Omar d’entrer en territoire israélien pour se rendre en Cisjordanie où elles voulaient montrer les tenants et les aboutissants de l’occupation. Et, effectivement, jamais ces deux membres de la Chambre des représentants n’ont bénéficié d’une telle visibilité politique assortie d’explications sur leur soutien à BDS, le mouvement qui prône le boycott d’Israël.
Mais l’histoire ne s’est pas arrêtée là. Vingt-quatre heures plus tard, dans une lettre adressée à Aryeh Dery, le ministre israélien de l’Intérieur, l’élue américaine Rashida Tlaib, née à Detroit, Michigan, de parents palestiniens, a demandé à entrer en Israël, pour raisons humanitaires. En d’autres termes, aller rendre visite à sa grand-mère de 91 ans, qui habite un village de Cisjordanie. « Oui ! » a répondu le ministre. Mais quelques heures plus tard, l’intéressée annonçait qu’elle annulait sa visite en invoquant « les conditions humiliantes qui lui étaient imposées ».
Silencing me & treating me like a criminal is not what she wants for me. It would kill a piece of me. I have decided that visiting my grandmother under these oppressive conditions stands against everything I believe in—fighting against racism, oppression & injustice. https://t.co/z5t5j3qk4H
— Rashida Tlaib (@RashidaTlaib) August 16, 2019
« Israël ferait preuve de faiblesse... »
Pour mieux comprendre l’ampleur prise ces derniers jours par cette affaire, un retour en arrière s’impose : il y a un mois, l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis, Ron Dermer, annonçait que Tlaib et Omar seraient autorisées à entrer dans le pays : « Par respect pour le Congrès américain et la grande alliance entre Israël et les États-Unis, le gouvernement israélien n’interdira l’entrée sur son territoire à aucun membre du Congrès. » Aujourd’hui, on affirme à Jérusalem qu’il s’agissait d’une initiative personnelle de l’ambassadeur, Benyamin Netanyahou n’en étant pas informé.
Quoi qu’il en soit, la Maison-Blanche aurait très mal pris les choses et n’aurait cessé, durant les semaines qui ont suivi, de faire pression pour qu’Israël revienne sur cette autorisation. Ce fut chose faite, jeudi dernier, après un tweet de Trump qui, contrairement à son habitude, ne se félicitait pas de l’ampleur de l’amitié entre les deux pays, mais semblait un tantinet agacé : « Israël ferait preuve de faiblesse en les autorisant à entrer dans le pays. » Pour la première fois, son « grand ami » mettait Benyamin Netanyahou au pied du mur, avec en sous-texte une quasi-injonction du style : « C’est elles ou moi… »
Un « gros cadeau » pour Netanyahou ?
À Jérusalem, le Premier ministre a consulté ses ministres de l’intérieur, des affaires étrangères et de la sécurité publique. Des discussions à l’issue desquelles il aurait pris sa décision d’interdire la visite. Des explications qui n’ont pas convaincu. Car, cela donnait tout de même l’impression d’un gouvernement israélien aux ordres du président américain. Toujours est-il que, dans l’entourage de Benyamin Netanyahou, on tient visiblement à minimiser l’impact du message de Trump. Selon certains, le Premier ministre avait déjà pris cette décision, avant même le fameux tweet. D’autres, comme le ministre de l’Intérieur, affirment que la loi israélienne interdit l’entrée du pays à toute personne prônant le boycott d’Israël. Benyamin Netanyahou lui-même a tenu à le rappeler : « Il s’agit d’activistes de premier plan qui font tout pour que le Congrès vote une loi de boycott d’Israël. » En période électorale, il n’y a aucun mal à rappeler que les dirigeants israéliens sont en première ligne dans la lutte contre le BDS et la délégitimation du pays. Sans compter que cela peut effacer, ou du moins faire passer au second plan, l’idée d’une direction israélienne vassale de l’Amérique.
Pourtant, selon certains commentateurs, c’est bien de cela qu’il s’agit. Et de poser la question qui fâche : Netanyahou a-t-il choisi les intérêts d’Israël ou ceux de Trump ? Le Premier ministre avait-il imaginé la pluie de critiques et de condamnations venues des États-Unis ? Même l’AIPAC, le lobby pro-israélien, s’est fendu de quelques phrases bien senties contre la décision israélienne ? Ou bien, en dépit des risques, a-t-il préféré ne pas déplaire au président américain, dont, à en croire certaines rumeurs, il attendrait un « gros cadeau » avant les législatives du 17 septembre ?
Une fracture toujours plus grande avec le judaïsme américain
Un « gros cadeau » sur lequel les correspondants politiques ne cessent de spéculer. S’agirait-il de la reconnaissance, par les États-Unis, de l’annexion de la zone C en Cisjordanie ? D’un traité de défense américano-israélien ? Reste qu’à Jérusalem et Washington, nombreux sont ceux qui s’inquiètent des éventuelles conséquences de cette affaire.
À commencer par l’actuelle fracture qui continue de s’approfondir entre Israël et le judaïsme américain, lequel, dans sa grande majorité, vote démocrate. Et puis, paradoxalement, au sein de la Chambre des représentants, les démocrates pro-israéliens, adversaires de Tlaib et Omar, ont dû les défendre et faire cause commune avec elles. De son côté, Donald Trump en a remis une couche sur Twitter en ironisant sur le « coup monté » par Rashida Tlaib sur sa visite en Israël...
Israel was very respectful & nice to Rep. Rashida Tlaib, allowing her permission to visit her “grandmother.” As soon as she was granted permission, she grandstanded & loudly proclaimed she would not visit Israel. Could this possibly have been a setup ? Israel acted appropriately !
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) August 16, 2019