Mercredi après-midi, le Président Trump a annoncé sa décision de reconnaître officiellement Jérusalem comme étant la capitale d’Israël, en annulant plus d’un demi-siècle de la politique des U.S.A. aussi bien que le consensus au sein des Nations Unies de rester neutre à propos du statut sous tension de la ville en l’absence de pourparlers de paix et d’un terme officiel de l’occupation par Israël de l’Est de Jérusalem-Est. Il a aussi annoncé son intention de finalement déplacer dans la ville l’Ambassade des U.S.A., ainsi qu’il l’a promis pendant sa campagne électorale. Comme on pouvait s’y attendre, la décision du président a suscité une tempête d’indignation, tous intervenant contre la décision, des pages des principaux journaux d’opinion, aux responsables politiques et même au Pape.
L’essentiel de cette vive réaction est l’idée que la décision du président a inutilement sapé les efforts pour parvenir à la paix, et risque de provoquer de nouvelles violences dans la région. Mais alors que la critique est certainement justifiée, elle porte en trop grande partie sur la crainte d’une supposée réaction de colère de la part des Arabes, en mettant trop l’accent sur le spectre de la violence alors que les problèmes politiques, diplomatiques et éthiques qui sont au coeur de la politique de Trump passent à l’arrière-plan ou restent totalement passés sous silence.
Jonathan Freedland, écrivant mercredi matin dans le Guardian, a comparé la décision à « une entrée avec une flamme dans une forêt complètement desséchée, » en avertissant les lecteurs de se souvenir de la seconde intifada (le soulèvement palestiniens ayant commencé en 2000), « les quelque deux années sanglantes, ou plus, de mort pour les Israéliens du fait des attentats-suicides palestiniens, et de mort pour les Palestiniens du fait de l’armée israélienne. » La NPR [1], dans sa couverture de l’actualité, a aussi évoqué l’ « histoire sanglante » de la seconde intifada pour mettre en garde contre la répétition de l’histoire, traitant Jérusalem de problème le plus « brûlant » du conflit palestino-israélien.
Le langage métaphorique de feux et de flammes est une caractéristique envahissante et persistante des commentaires sur la question. Le Roi Salman d’Arabie Saoudite a averti le président Trump que cette décision est « susceptible d’enflammer les passions des Musulmans dans le monde. » Pour la sénatrice de California Dianne Feinstein, dans sa lettre au président, envoyée à Twitter, le fait inévitable selon lequel cette décision « provoquerait des violences [2] » était en tête de la liste des raisons pour lesquelles elle est si peu judicieuse. Juan Cole, un professeur d’histoire et d’études de l’Islam à l’Université du Michigan, a même été plus explicite dans un article sur un blog, qualifiant la décision du président « de création d’une réalité mortelle et morne qui fera sauter les Américains. » Ayman Odeh, député arabe israélien à la Knesset, a dans un tweet qualifié Trump de « pyromane ». Même les remarques du Pape François au sujet de l’identité pacifique de Jérusalem comportait une pointe d’avertissement selon lequel cet acte met Jérusalem au bord du gouffre.
Alors en quoi y a-t-il problème de mettre en évidence le caractère incendiaire d’une telle décision apparemment irresponsable et à courte vue ? De tels avertissements sont certainement justifiés étant donné à la fois l’histoire de la résistance palestinienne et les dynamiques régionales. Mais mettre l’accent de façon insistante sur une éventuelle réaction violente des Arabes passe sous silence la réelle illégalité de cette décision. La résolution 478 de l’ONU, adoptée en 1980, estime que l’affirmation d’Israël selon laquelle Jérusalem est la capitale « entière et unifiée » d’Israël constitue une violation du droit international et appelle les états membres à retirer leur mission diplomatique de la ville. Jérusalem est une ville disputée, au coeur du dilemme sur la solution à deux états, et comme certains des commentaires l’ont en toute équité souligné, cette décision est susceptible de s’avérer un obstacle énorme pour la paix et la confiance entre les Palestiniens, les Israéliens et les Etats-Unis. En outre, la moitié orientale de Jérusalem est placée depuis 1967 sous occupation illégale par le gouvernement israélien. La construction de colonies illégales et la démolition de maisons palestiniennes continuent à un rythme soutenu et ont même connu une accélération ces dernières années. Reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël capital légitime ces actions illégales. Ces critères doivent être à la pointe de toute opposition à la politique de Trump plutôt que la crainte d’une réaction violente.
Mettre l’accent sur les éventuels rassemblements d’Arabes en colère réagissant à la décision renforce davantage les stéréotypes sur, par exemple… les Arabes en colère. Dans une période de discours diviseurs, qui visent souvent particulièrement les communautés arabes et musulmanes — en grande partie attisés par ce président [Trump] — se servir de la crainte des émeutiers arabes comme une raison de s’opposer à des politiques particulières c’est, pardonnez-moi la métaphore, jouer avec le feu. Les opposants à cette politique ne doivent pas utiliser la même peur de la violence des musulmans que celle utilisée pour justifier l’exclusion des musulmans, les listes d’interdiction de vol, et les autres politiques discriminatoires.
Il y aussi un message plus insidieux qui est envoyé par les avertissements sur l’éventualité d’une « troisième intifada » en réponse à la reconnaissance par le Président Trump de Jérusalem, celui qui a longtemps hanté non seulement le confli autour de la Palestine et d’Israël mais aussi les autres cas où les droits de l’homme, les droits civiques et la souveraineté sont violés. Quand nous mettons l’accent sur la violence comme la seule force préventive contre les politiques injustes, nous renforçons l’idée que la violence est le seul moyen efficace de résistance. Le plus souvent peut-être, ces appréciations se révèlent confirmées, mais c’est un jeu dangereux et qui aide seulement ceux qui ne voient pas du tout l’utilité de travailler pour la paix.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers