Un accord de réconciliation a été signé au Caire il y a quelques jours. Ce n’est pas le premier, mais cette fois, les frères ennemis palestiniens donnent des signes d’une volonté concrète de réunification. Le Hamas n’a sans doute plus le choix : il est isolé politiquement et ne peut plus enrayer la détérioration catastrophique des conditions de vie des Gazaouis.
Cette réunification palestinienne change non seulement la donne interne palestinienne, mais aussi pour la communauté internationale qui dit toujours espérer un accord de paix israélo-palestinien pourtant devenu chimérique. Le président palestinien Mahmoud Abbas a envoyé à Bruxelles son conseiller diplomatique Nabil Shaath pour expliquer aux Européens les implications de la nouvelle donne palestinienne. Nous l’avons rencontré.
- Assistons-nous à une vraie réconciliation inter-palestinienne, ou une reprise en main de la bande de Gaza par l’Autorité palestinienne ?
- Nabil Shaath : "Nous n’envoyons pas nos avions, nos tanks et nos mitrailleuses à Gaza ! Nous le faisons par la réconciliation. Nous réunifions la Cisjordanie et Gaza par la négociation, avec l’aide des Égyptiens. C’est différent d’une reprise en main. C’est un processus de dialogue pour regagner l’unité des gens. Cette division, ce n’était jamais arrivé auparavant à notre peuple. On a toujours eu des discussions politiques, mais elles n’avaient jamais mené à une rupture. Ça a coïncidé avec une croissance de l’islam politique autour de nous. Aujourd’hui, cette tendance a reflué : il n’y a plus de gouvernement des Frères musulmans en Égypte, l’Iran et la Turquie sont pris par le problème syrien, le Qatar, qui était un soutien important du Hamas, est en conflit avec les Saoudiens et les Émiratis, ils ne sont plus concentrés sur la question palestinienne. Pour le Hamas, il était devenu difficile de poursuivre sans revenir à l’unité, en raison de l’appauvrissement de la population de Gaza, après quatre guerres destructrices menées par les Israéliens, avec le chômage, la qualité de l’eau, le manque d’électricité… Le peuple de Gaza souffre énormément. Et le Hamas ne peut résoudre ces problèmes."
- A cela ce sont ajoutées des sanctions adoptées par l’Autorité palestinienne, avec l’arrêt du financement de l’électricité…
Nabil Shaath : "Cela n’a duré que trois mois. Il y a eu un avertissement au Hamas. Nous dépensions 1,5 milliards de dollars chaque année pour Gaza. Nous avons dit au Hamas que nous ne voulions plus financer la division : ’Si vous voulez que l’on continue, il faut se réunifier’. En attendant, nous avons mis une pression symbolique sur eux. Cela ne représentait que 10% de la valeur habituellement dépensée pour Gaza. On ne pouvait pas continuer à financer la division, il fallait mettre le Hamas sous pression."
- Pouvez-vous annoncer à présent que l’électricité va revenir à la normale à Gaza dans les prochaines semaines ?
Nabil Shaath : "Oh oui, bien sûr ! Toutes les moyens de pressions qui ont été utilisés seront levés dès que le gouvernement d’unité, ou plutôt de consensus, sera en place pour reprendre l’administration civile de Gaza."
- Cette mise en place sera progressive. Quel est le calendrier des prochaines étapes ?
Nabil Shaath : "La première étape, c’était la dissolution du gouvernement civil du Hamas. Ça a été fait. La deuxième, c’est de réactiver le gouvernement de consensus qui avait été formé il y a cinq ans. Il est composé de personnalités et de technocrates qui ne sont liés ni au Hamas ni au Fatah. Ils ont été choisis par consensus par les deux parties. Cette équipe a été remise en place ; elle est de retour à Gaza ; chaque ministre reprend le contrôle de son ministère. Cette activation est une étape réussie de cette unité. La troisième étape se déroulera au Caire, pour établir un plan et un calendrier sur la suite. D’ici six mois, il faudra organiser des élections législatives sous contrôle international. Ce gouvernement pourra donc être remis en cause lors des élections. Elles détermineront la création du gouvernement d’unité. Même si le Fatah gagnait avec 70%, nous voulons que le Hamas, avec ses 30%, soient dans le gouvernement. Donc, le résultat se reflètera proportionnellement dans la formation du nouveau gouvernement : nous voulons qu’il soit un gouvernement d’unité. La dernière phase sera très importante, c’est l’unification de tous les éléments policiers en une seule force de police dirigée par le gouvernement."
- D’ici au 1er décembre, il faudra que l’Autorité palestinienne aie le contrôle complet de la bande de Gaza ?
Nabil Shaath : "Oui, y compris les points de passages vers l’Égypte et vers Israël. Ce sera fait d’ici fin novembre."
Cela nécessite encore des négociations ?
Nabil Shaath : "Sur les aspects militaires, oui. Sur les aspects civils, l’accord est conclu."
Ce volet militaire concerne l’avenir de la brigade Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas. Sera-t-elle démantelée ?
Nabil Shaath : "Ses membres auront l’occasion, s’ils le veulent, de rejoindre la force de police, mais ce sera sous un commandement unifié. Ce sera le résultat final : avoir un gouvernement, un président, une constitution, un parlement. On ne peut pas y arriver sans une… une force de police. Je ne veux pas l’appeler une armée, parce que ce n’en est pas une."
- Le Hamas dispose pourtant d’un armement qui dépasse celui d’une force de police…
Nabil Shaath : "Nous devrons décider comment s’en occuper. Les Égyptiens joueront un rôle pour garantir que ce ne sera pas utilisé et qu’en même temps, le Hamas ne sera pas affaibli une fois qu’il sera démilitarisé. Cette question militaire est toujours la plus difficile. Mais elle sera négociée avec l’aide des Égyptiens."
- Mais demandez-vous au Hamas de démanteler ses armes lourdes ?
Nabil Shaath : "Nous ne demandons rien à ce stade. Nous avançons pas à pas. Nous commençons par ce qui est accepté par les deux parties. Ce n’était pas facile pour eux d’abandonner leur gouvernement. Mais ils l’ont fait. Ce n’était pas facile de réactiver le gouvernement de consensus dans lequel il n’y pas un seul membre du Hamas. Ce processus est l’opposé de ce que nous avons fait lors des tentatives précédentes. Cette question difficile de l’armement sera traitée lorsque nous aurons construit ensemble suffisamment de confiance et que ce sera difficile de faire marche arrière. C’est la philosophie de cet accord."
- Il y a une crainte que la brigade al-Qassam ne devienne une sorte de Hezbollah palestinien, une force paramilitaire qui subsisterait à côté des institutions…
Nabil Shaath : "Nous sommes dans une situation différente de celle du Liban. Le Hezbollah est important dans tout le Liban. Et il a joué le jeu de l’unité, il ne s’est pas isolé : ses alliés sont les chrétiens maronites. Il a joué son jeu de manière différente du Hamas. Le Hezbollah a compris que le Liban serait toujours un pays multiconfessionnel et qu’il ne peut pas proclamer un État musulman. Et il ne l’a pas fait."
- Le gouvernement d’unité palestinien va-t-il accepter les conditions du quartette international, dont la reconnaissance de l’État d’Israël ?
Nabil Shaath : "Le nouveau gouvernement sera attaché aux mêmes principes que le gouvernement palestinien actuel, selon la ligne de l’OLP. Ce sera une déclaration du gouvernement, nous ne demandons pas au Hamas de la faire. On ne demande pas à un parti de reconnaître un État ; c’est une politique gouvernementale. Mais je veux ajouter que je suis un de ceux qui ont négocié les accords de paix avec Israël et je pense que ce que nous avons accepté était totalement injuste. Nous avons reconnu Israël et Israël ne nous a pas reconnus. C’est un sujet que nous envisageons de manière totalement différente que dans les années 80 et 90. La paix était basée sur la solution à deux États. Nous n’avons obtenu que 22% de la Palestine historique, alors que les Nations Unies nous en accordaient 46%. On ne veut plus continuer comme cela. Le monde doit reconnaître l’État de Palestine, au moins en Cisjordanie et à Gaza, sur les frontières de 1967. En faisant cela, on fixe aussi les frontières d’Israël."
- Devant l’assemblée générale des nations unies à New York, le président Abbas a dit que la colonisation israélienne sape la solution à deux États. Va-t-on vers une solution à un seul État ?
Nabil Shaath : "Je voudrais que le monde voie que le modèle belge est meilleur que les autres. En Belgique, vous avez un pays, avec deux peuples parlant des langues différentes, beaucoup de gens de différentes origines. L’État est démocratique, laïc, avec la séparation de l’Église de l’État, comme aux États-Unis. C’est le modèle que nous avons toujours voulu. Mais Israël a refusé. L’alternative, c’était deux États côte à côte. Mais ils refusent de mettre cela en œuvre. S’ils continuent à voler notre terre et notre eau, nous devrons suivre le modèle américain ou belge : une fédération, une confédération ou un État unitaire, avec des garanties pour les libertés religieuses. Mais Israël ne veut ni l’un, ni l’autre. Ils veulent juste toute la terre !"
- Les États-Unis ont annoncé une initiative de paix. L’administration Trump a-t-elle une chance de réussir là où le président Obama a échoué ?
Nabil Shaath : "Je ne sais pas. Nous n’avons pas encore vu le moindre plan, alors que cela fait six ou sept mois que le président Trump nous promet l’accord du siècle… Nous espérons qu’il le fera. Nous lui parlons : notre président l’a rencontré à la Maison blanche et à Bethléem et aux Nations Unies. Nous rencontrons ses envoyés : M. Kushner, M. Greenblatt… Mais nous n’avons reçu aucun plan précis pour arriver à un État indépendant sur la Cisjordanie et Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale et la résolution des questions clés. Ses assistants nous demandent plus de temps pour y travailler. Pour Israël, le statu quo est merveilleux. La colonisation a augmenté de 400% cette année et les Américains n’ont pas protesté. Je pense que notre vrai partenaire, c’est l’Europe. C’est pourquoi je suis à Bruxelles. Je rencontre des gens au Parlement, à la Commission et à la présidence pour relancer la volonté européenne de jouer un rôle important dans l’établissement d’un processus de paix crédible."