Je me suis souvenu de cet épisode quand j’ai vu à la télévision la conférence de presse de Dore Gold, le Directeur général de notre ministère des Affaires étrangères. Le sujet en était la récente conférence de paix de Paris, qui avait été violemment dénoncée par notre gouvernement.
Dès le moment où j’ai vu Gold pour la première fois je ne l’ai pas aimé. C’était notre nouvel ambassadeur aux Nations unies. Je me dis que mon attitude traduisait un rejet indigne de Juifs étrangers (“Juifs de l’exil” en argot israélien). Gold parle hébreu avec un accent américain prononcé et ce n’est pas un Apollon. J’aurais préféré pour représentant quelqu’un de bien bâti du genre pionnier à l’allure israélienne parlant l’anglais avec un accent hébreu prononcé. (Je sais que cela semble raciste, et j’ai totalement honte de moi.)
LA CONFÉRENCE DE GOLD portait sur l’initiative de paix française concernant le conflit israélo-palestinien.
J’ai un vague soupçon – qui persiste encore – qu’il ne s’agit pas en réalité d’une initiative française, mais d’une initiative américaine camouflée.
Elle soulève la fureur du gouvernement israélien, et aucun président américain ne peut se permettre cela s’il veut – lui ou son parti – être réélu.
Il y a une terrible peur qui obsède notre gouvernement. Barack Obama déteste Nétanyahou, et pour de bonnes raisons. Mais il ne peut rien faire ouvertement contre lui – pas jusqu’à minuit le jour des élections. Que ce soit Hillary Clinton ou (à Dieu ne plaise) Donald Trump qui sera élu, Obama restera en fonction pendant presque trois mois après les élections – et pendant cette période il va être aussi libre qu’un oiseau (comme diraient les Allemands). Il pourra faire ce qu’il voudra. Tout ce dont il a rêvé, jour et nuit, depuis huit longues années. Et tout ce dont il a rêvé c’était Benjamin Nétanyahou.
Ah, la douce vengeance. Mais pas avant novembre. Jusque là il lui faut danser sur la musique de Nétanyahou, à moins qu’il ne veuille nuire à la candidate démocrate.
Alors que peut-il faire en juin ? Il peut sous-traiter les choses. Par exemple demander aux Français de réunir une conférence de la paix pour ouvrir la voie à la reconnaissance de l’État de Palestine.
Demander aux Français de réunir une conférence au sommet à Paris c’est comme demander au chat s’il veut un peu de lait. Vous n’avez pas besoin d’attendre la réponse.
La France, comme la Grande-Bretagne, pleure son passé impérial, lorsque Paris était le centre du monde et lorsque les Allemands et les Russes instruits, sans parler des Égyptiens et des Vietnamiens, parlaient français. Les passeports de nombreuses nations étaient imprimés dans cette langue.
C’était l’époque où presque la moitié du monde figurait en bleu français sur les cartes, tandis que l’autre moitié y figurait en rouge britannique. L’époque où le diplomate français Georges Picot et son collègue britannique Mark Sykes se partagèrent le Moyen Orient ottoman, il y a exactement cent ans cette semaine.
Rassembler les ministres des Affaires étrangères (sans parler des rois et des présidents) du monde dans l’un nombreux beaux palaces de Paris est un rêve français. Les Britanniques, dans une situation tout à fait semblable, le souhaiteraient aussi, mais ils sont occupés par le besoin puéril de quitter l’Union européenne.
Quoi qu’il en soit, c’est l’initiative française que nous avons maintenant, une brillante assemblée de ministres des Affaires étrangères ou de leurs représentants, exigeant la reprise des négociations de paix dans le cadre d’un calendrier limité, avec pour objectif déclaré la reconnaissance de l’État palestinien.
NÉTANYAHOU aime la France. Il aime se divertir avec sa femme sur la Riviera française, dîner dans les restaurants les plus chers de Paris et vivre dans les appartements les plus luxueux de Paris – tant que d’autres paient pour cela. Cela a été révélé la semaine dernière au cours du procès d’un Juif français accusé d’escroqueries d’un montant de centaines de millions d’euros, et qui a financé plusieurs des voyages de Nétanyahou. Nétanyahou n’estime pas avoir à payer lui-même pour ses plaisirs et, comme la Reine, ne possède pas de carte de crédit.
Mais trouver du plaisir dans le luxe français est une chose, apprécier la diplomatie française en est une autre. En ce moment Nétanyahou, lorsqu’il n’est pas occupé avec ses avocats, consacre son temps à faire échouer l’initiative française.
Pourquoi, grand Dieu ? Qu’y a-t-il de mal à rassembler les hommes d’État et les femmes d’État de premier plan du monde pour remettre en route le processus de paix israélo-palestinien ? Eh bien, pratiquement tout.
Ce processus de paix est comme un chien qui dort. Un chien dangereux. Tant qu’il dort, Nétanyahou peut faire tout ce qu’il veut – étendre l’occupation des territoires palestiniens, développer les colonies (tranquillement, tranquillement, n’éveillez pas le chien !), faire toutes les centaines de choses quotidiennes qui rendent l’occupation “irréversible”. Et voici qu’arrivent les Français qui piquent le chien dans les côtes.
Et alors ? pourraient demander les gens. Il y a déjà eu des conférences de paix, des processus de paix à la pelle, des résolutions internationales. Si une autre grande conférence de paix se réunit pour discuter les détails d’un accord de paix, Israël n’y participera pas et Nétanyahou ignorera toute l’affaire. Combien de fois cela s’est-il déjà passé ? Une telle conférence méritera à peine un bâillement.
MAIS CETTE fois elle pourrait bien être différente. Pas en soi, mais à cause du climat international.
Lentement, très lentement, l’horizon international d’Israël s’assombrit. De petites choses se produisent chaque jour partout dans le monde. Une résolution ici, un boycott là, une condamnation, une manifestation. L’Israël objet de l’admiration universelle a disparu depuis longtemps.
Le mouvement BDS rencontre un immense succès. Il ne nuit pas réellement à l’économie israélienne. Mais il crée une ambiance, d’abord sur les campus puis dans leur environnement. Des institutions juives émettent des messages SOS.
Maintenant, les institutions juives elles-mêmes sont contaminées. Les informations quotidiennes sur ce qui se passe dans les territoires occupés et même en Israël à proprement parler choquent des Juifs, et en particulier les jeunes. Beaucoup d’entre eux tournent le dos à Israël, certains s’engagent activement contre lui.
Israël est un pays fort. Il dispose d’une armée très importante, des armes les plus modernes, d’une économie solide (en particulier high-tech), il obtient de fréquents succès diplomatiques.
Il ne s’agit pas d’une autre Afrique du Sud comme le voudraient les gens de BDS. Il y a d’énormes différences. Le régime d’apartheid était dirigé par des sympathisants nazis, alors qu’Israël surfe sur la vague mondiale de pénitence et de remords du temps de l’Holocauste. L’Afrique du Sud dépendait de la force de travail noire rebelle, Israël importe des travailleurs étrangers de nombreux pays.
Israël ne dépend pas réellement de l’aide financière américaine. Cette aide est un luxe, rien de plus. Il a besoin du véto des États-Unis contre les propositions hostiles aux Nations unies, mais il peut – et il le fait – ignorer généralement les Nations unies.
Pourtant, à tout bien considérer, l’aggravation de la position internationale d’Israël est inquiétante. Même Nétanyahou est inquiet. Lentement mais surement le monde est en train d’accepter l’État de Palestine comme une réalité objective et une condition de la paix.
Alors Nétanyahou est à la recherche d’une nouvelle astuce. Et que voit-il ? L’Égypte !
LES RELATIONS D’ISRAËL avec l’Égypte remontent à quelques milliers d’années. L’Égypte était déjà une puissance régionale lorsque le peuple israélite originel vint au jour. Après l’exode d’Égypte (qui ne s’est en réalité jamais produit) la Bible nous raconte beaucoup de hauts et de bas dans les relations entre la puissante Égypte et le petit Israël.
Lorsque les Assyriens assiégèrent Jérusalem et que les Judéens espéraient une aide de l’Égypte, le général assyrien se moqua : “Voici que tu as mis ta confiance sur l’appui de ce roseau brisé, sur l’Égypte, qui pénètre et transperce la main de quiconque s’appuie sur lui !” (Ésaïe 36, 6 – trad.TOB)
Aujourd’hui le Pharaon actuel, Abd al-Fattah a-Sisi, est le grand espoir de Nétanyahou. L’Égypte, en faillite comme toujours, dépend de l’Arabie saoudite. Les Saoudiens (en secret) dépendent d’Israël dans leur lutte contre l’Iran et Bachar Assad. Ainsi a-Sissi est aussi un allié (secret) d’Israël.
Pour conforter sa stature, a-Sissi se pose aussi en artisan de paix. Il appelle à une initiative de paix “régionale”.
Dans sa diatribe contre les Français, Dore Gold loua l’initiative de paix égyptienne. Il accusa les Français de la saboter, et ainsi d’empêcher la paix.
Nétanyahou aussi a fait bon accueil en paroles à l’initiative égyptienne, ajoutant qu’il fallait lui apporter seulement “quelques modifications”.
C’est en effet nécessaire. A-Sissi fonde son plan sur l’initiative de paix saoudienne de 2002, qui a été adoptée par la Ligue Arabe pour devenir l’initiative de paix arabe. Elle exige qu’Israël quitte tous les territoires occupés (y compris le Golan et Jérusalem Est), qu’il accepte l’État de Palestine, qu’il reconnaisse le droit au retour des réfugiés palestiniens,etc.) Nétanyahou subirait mille morts avant d’accepter la moindre de ces conditions.
Se servir du plan égyptien pour rejeter le plan français est vraiment culotté, c’est considérer que l’on peut vraiment tromper tout le monde tout le temps.
“Régional”, à ce propos, est le nouveau mot à la mode. Il est apparu il y a quelque temps, et même des Israéliens bien intentionnés l’ont adopté. “Paix régionale”, que c’est beau.
Au lieu de parler de paix avec les Palestiniens honnis, parlons de paix avec la “région”. Cela fait bien. Mais c’est totalement absurde.
Aucun dirigeant arabe, du Maroc à l’Irak, ne signera avec Israël un accord de paix qui ne comporterait pas la fin de l’occupation et la création d’un État palestinien. Aucun ne le peut. Les masses de son peuple ne le laisseraient pas faire. Même Anouar al-Sadate incluait ces dispositions dans son traité de paix avec Menachem Begin (encore qu’en des termes faciles à violer).
Lorsqu’en 1949 mes amis et moi avons proposé la solution que l’on connait comme celle de “deux États pour deux peuples”, elle comportait, comme une évidence, la paix avec l’ensemble du monde arabe. Et la paix avec le monde arabe impliquera, c’est évident, la paix avec l’État de Palestine. Les deux vont de pair, comme des jumeaux siamois.
Parler aujourd’hui de “paix régionale” comme alternative à la paix avec les Palestiniens est une absurdité. Une “Paix régionale” ainsi envisagée signifie l’absence de paix.
L’autre jour, Gideon Levy a écrit dans Haaretz que Nétanyahou et Avigdor Lieberman “parlent aujourd’hui comme Uri Avnery en 1969”.
Très flatteur. Mais hélas, ce n’est qu’une manœuvre.
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Uri Avnery, journaliste israélien et militant de paix d’origine allemande émigré en Palestine en 1933 à l’âge de 10 ans, écrit chaque semaine à l’intention d’abord de ses compatriotes, un article qui lui est inspiré par la situation politique de son pays ou en lien avec lui. Ces articles, écrits en hébreu et en anglais sont publiés sur le site de Gush Shalom, mouvement de paix israélien dont il est l’un des fondateurs. À partir de son expérience et avec son regard, Uri Avnery raconte et commente.
Depuis 2004, l’AFPS réalise et publie la traduction en français de cette chronique, excepté les rares articles qui n’ont aucun lien avec la Palestine. Retrouvez l’ensemble des articles d’Uri Avnery sur le site de l’AFPS : http://www.france-palestine.org/+Uri-Avnery+