Lire aussi :
http://france-palestine.org/article2126.html
Observations Janvier 2006
« Il suffit d’attendre - Une fois le mur terminé, ils pourriront derrière »
Suite aux « concessions », à la « rationalisation » et par souci de « friction minimale avec les parties de la population marquées du sceau de la terreur », la liberté de mouvement des Palestiniens a inexorablement été réduite à la paralysie totale. Les cas de comportements impitoyables, d’humiliation et de malveillance se multiplient. Déshumaniser ou tenir en mépris l’humanité des autres devient la norme. Et c’est toute une génération de soldats qui apprend comment « appliquer les ordres » parce qu’« il n’y a pas d’autre choix ».
Abu Dis - 22 janvier 2006
Nous avons trouvé un large déploiement de soldats de la police des frontières dans la zone. Un groupe était situé dans l’allée, résolu à capturer les habitants du quartier et à les empêcher de regagner leurs foyers. Deux autres groupes renvoyaient quiconque tentait de traverser la rue - y compris les cas humanitaires, les femmes avec des bébes et des enfants en bas âge. Le mot d’ordre était « Nous devons les habituer à passer par le nouveau checkpoint ’des oliviers’ ». Une demi-heure plus tard, un policier à cheval est arrivé et une camionnette avec des chiens s’est garée de l’autre côté de l’intersection.
Abu Dis - 22 janvier 2006
Après une heure, nous avons téléphoné au commandant de la zone, lequel nous a dit que le nouveau terminal n’ouvrirait que dans un mois mais qu’une période de rodage commencait à partir d’aujourd’hui. Il a ajouté que les soldats apprécieraient un peu de discrétion, et que petit à petit ils pourraient permettre aux gens de passer - et notamment les cas particuliers, car il est important pour lui de diminuer les problèmes de la population. C’est ce qui a été qualifié de ’notre espoir à tous’...
Le mois dernier, il y avait davantage de cas de tracasseries bureaucratiques pour les habitants du Nord de la Cisjordanie. Tout comme la cantonisation, qui a divisé la Cisjordanie en trois bantoustans, un nouvel ordre vient de tomber : Les habitants de Naplouse souhaitant aller à Toulkarem devront prendre la route du nord-est, à l’exact opposé de leur destination. Ils devront ensuite tourner vers l’ouest, prendre la route 60 puis poursuivre sur de petites routes en terre jusqu’à Toulkarem. Une fois qu’ils atteignent la ville, ils risquent de se voir répondre que celle-ci est fermée et que toute entrée y est interdite. Un trajet qui prendrait 20 minutes dans des conditions normales nécéssite désormais une heure et demie.
Beit Iba - 16 janvier 2006
Un chauffeur de taxi qui avait fait réparer sa voiture à Naplouse désirait retourner chez lui à Nakura, situé à 5 minutes du checkpoint. Le soldat lui dit alors de passer par Ain Bidan. Le chauffeur lui explique que cet itinéraire est complètement absurde. Il explique, s’énerve, supplie, se met en colère. Mais rien n’y fait.
Finalement, il se retrouve dans le baraquement de détention. Et il laisse alors sortir tout sa frustration par les mots. Le soldats le menace de l’envoyer en prison mais il rétorque : ’J’espère bien !’ et continue à déverser sa colère. « Ca ne sert à rien. Vous ne me faites pas peur. A Jubara, ils ont dit : « Allez à Anabta » ; à Anabta « Allez à Al Bahan ». Mais j’habite à Nakura, moi, à seulement trois km d’ici. Pourquoi faut-il que fasse 40 km ? Comme pour aller dans un autre pays. Juste faire la navette entre Naplouse et ma ville ! Ca va mal finir tout ça ... ».
Le soldat lui a hurlé « Sors ! Sors ! » et l’a menacé de lui bander les yeux. Une demie-heure plus tard, ils ont relâché l’homme, de retour sur...Naplouse. Il est parti, accompagné de deux soldats...tandis que le soldat installé dans sa guérite regardait pour s’assurer qu’il ne profiterait pas d’une seconde d’inattention pour prendre le chemin d’Al Badhan.
Beit Iba - 25 janvier 2006
Trois femmes, l’une portant un bébé dans les bras, étaient arrivées de Naplouse et tentaient de se rendre à Toulkarem. Elles ont été orientées vers Ein Al Badhan, ce qui signifie une heure et demie de trajet au lieu de 20 minutes en passant par la route directe. Il faisait très froid et il pleuvait très fort. Aucun représentant du DCO (cellule de coordination entre l’armée israélienne et les habitants des zones C ) n’était présent. Nous avons donc essayé de parlementer avec lui par téléphone. Le commandant du checkpoint s’est fendu d’un : « Ces ordres viennent d’en haut ». Au DCO, la réponse a été : « Ils savaient qu’ils ne pouvaient pas passer par ici et vous m’empêchez de régler la situation ».
Un capitaine de l’armée est arrivé avec un représentant du DCO, à qui nous avons personnellement demandé de faire une exception pour cette fois. Il a répondu « Il n’y a jamais de ’cette fois’. ’Cette fois’ entraîne un effet domino et ensuite tout le monde demande une exception ». Quelques précieuses minutes plus tard, il nous dit qu’il l’aurait laissée passer. Mais elle était déjà partie...
Insensibilité, humiliation et malveillance
Qalandiya - tous les jours...
L’IDF a donné un nouveau jouet à ses soldats, un système de haut-parleurs. Et ils adorent ça. Son volume rend littéralement sourd. Quant aux instructions, elles sont données sur un ton aggressif et méprisant. Les soldats parlent entre eux par ce biais, de rien généralement, on s’échange des blagues. Et à l’occasion, on lance des instructions sur la manière d’humilier les gens. Des injures sont hurlées à ceux qui ne comprennent pas les instructions. « De là, pas d’ici ! », « Habla ! » (Imbécile) et ainsi de suite. On atteint un grand degré de plaisir quand plusieurs soldats donnent des instructions différentes à la même personne, qui du coup se fait engueuler et malmener verbalement par tout le monde pour ne pas avoir obéi aux instructions.
- Kalandya - août 2005 (Afps)
Beit Iba - 29 janvier 2006
Une grande pagaille s’est installée. Et les soldats sont restés complètement indifférents à ses conséquences. Des automobilistes venant de l’autre direction ont été sommés d’organiser la file. A la grande joie des soldats, les disputes ont commencé à éclater entre Palestiniens. Une heure plus tard, une jeep est arrivée. Un officier en est sorti et a demandé : « Quel est le problème ? ». Il a ajoûté : « Vous devez comprendre - cette zone est hostile, les soldats sont issus d’une unité d’élite et il s’agit seulement de leur deuxième jour au checkpoint. Ils ont eu deux jours d’entrainement sur la manière de se comporter respectueusement avec les Palestiniens. Ils sont donc encore un peu perdus ».
Jubara - 3 janvier 2006
Un soldat, épaulé par un second, arme en position de tir, inspecte l’intérieur d’une voiture. Les personnes à pied (une quinzaine) attendent depuis un long moment déjà. Une femme avec un bébé malade dans les bras s’approche : on lui demande de dénuder le ventre du bébé dont on découvre qu’il est tout fait dénué d’explosifs. Des cartons de concombres sont répandus sur le sol puis rassemblés.
Un défilé de Palestiniens soumis à la fouille se poursuit, quand on exige de l’un d’entre eux d’ôter son caleçon au beau milieu du chemin et de montrer ostensiblement ses sous-vêtements (nous disposons de photographies de cet incident). Le commandant note que la procédure lui paraît raisonnable. Attendant l’un derrière l’autre, deux personnes fouillées, un médecin-ambulancier et un juge de Nazareth. En l’espace d’une heure, trois personnes à pied, une ambulance et deux voitures ont franchi le checkpoint. Le véhicule transportant les concombres a dû décharger une nouvelle fois sa cargaison à l’entrée de Jubara. Mais à la suite de notre demande et de l’intervention de l’officier, la réitération de ce rituel a été empêchée.
Beit Iba - 19 janvier 2006
Un soldat est particulièrement aggressif, traitant avec mépris les civils présents au checkpoint. On perçoit clairement un nouveau régime de discipline : à deux mètres le long du corridor, il place une tête de balai (sans manche) sur le bord en béton et déclare qu’il s’agit là d’une « ligne rouge » derrière laquelle chacun doit rester jusqu’à ce que le soldat l’appelle.
- Mushir Abdelrahman/© MaanNews Network
- Kalandya - 8 mars 2006
Jubara - 24 janvier 2006
Un adolescent (16 ans) est allongé sur le trottoir à la sortie de Toulkarem à une certaine distance du checkpoint. Ses mains et ses pieds sont ligotés, ses yeux bandés. Il est surveillé par un soldat. Il se tord sur le trottoir et semble pétrifié de peur. Aucun des soldats ne parle arabe. Le commandant du checkpoint affirme que le garçon a tenté de franchir le checkpoint et que lorsque son nom a été tapé dans l’ordinateur, ça a clignoté. Un « recherché » (Wanted). Sur sa carte d’identité, ils on trouvé des « photos de chahids » (martyrs en arabe). Nous lui avons demandé de lui delier au moins les jambes et de le conduire dans le baraquement. Ce qu’il accepte de faire et trois soldats portent le garçon toujours ligoté jusqu’au baraquement où ses jambes sont détachées. Arrive un autre officier, lequel déclare que le garçon sera probablement bientôt libéré, quand le GSS (General Security Service ou Shin Beth ou encore Shabak) aura donné son accord. Ce qui arrive effectivement quelques minutes plus tard, après que l’officier a appelé on ne sait qui. Avant de redonner sa carte d’identité au garçon, il nous montre une coupure de journal, présente dans ses papiers, avec une photo du frère du garçon, lequel est "sérieusement ’recherché’" .
Beit Iba - 12 janvier 2006
Le bouclage / l’encerclement / la cantonisation sont toujours en place et les soldats se soumettent avec méticulosité aux instructions. L’un d’eux prend beaucoup de plaisir à user pleinement de ses talents de brute . Lorsque qu’une infirmière de l’hopital de Naplouse lui demande : « Comment vais-je regagner ma maison à l’extérieur de Toulkarem si la route Toulkarem-Beit Lid est fermée ? ». Le grossier soldat en service répond : « Vous pouvez prendre un hélicoptère en ce qui me concerne ».
DCO Etzion - 2 janvier 2006
Un homme, peut-être un professeur, sort avec un visage fermé. Dans un hébreu parfait, il nous dit que le soldat derrière la fenêtre vient de lui parler de manière insensible, avec mépris et se tenant assis comme s’il était le seigneur de tout ce qui faisait l’objet de sa surveillance. « Ils devraient se comporter plus poliment...comme des êtres humains...nous aussi, on est des êtres humains ».
"Un juif n’a-t-il pas des yeux ?
Un juif n’a-t-il pas de mains, des organes, des proportions,
des sens,des affections, des passions ?
N’est-il pas nourri de la même nourriture, blessé des mêmes armes,
sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes moyens,
échauffé et refroidi par le même été et par le même hiver qu’un chrétien ?
Si vous nous piquez, est-ce que nous ne saignons pas ?
Si vous nous chatouillez, est ce que nous ne rions pas ?
Si vous nous empoisonnez, est ce que nous ne mourons pas ?
Et si vous nous outragez, est-ce que nous ne vengerons pas ?"
(Le marchand de Venise. Shakespeare. Acte III, scène 1)
Comme nous avons vite oublié...