Faire la paix avec la moitié d’un peuple n’a aucun sens. Il se peut qu’il soit plus difficile de faire la paix avec l’ensemble du peuple palestinien mais ce sera infiniment plus fécond.
Donc, Bravo
Benjamin Nétanyahou aussi dit bravo. Puisque le gouvernement d’Israël a déclaré que le Hamas était une organisation terroriste avec laquelle il n’y aurait en aucun cas de négociations, Nétanyahou peut maintenant mettre fin à toute discussion sur des négociations de paix avec l’Autorité palestinienne. Eh quoi, la paix avec un gouvernement palestinien qui comprend des terroristes ? Jamais ! Fini de discuter.
Deux bravos, mais quelle différence.
LE DÉBAT ISRAÉLIEN sur l’unité arabe remonte à loin. Il avait déjà commencé au début des années cinquante, lorsque surgit l’idée d’unité panarabe. Gamal Abd-al-Nasser brandit ce drapeau en Égypte, et le mouvement pan-arabe Baas devint une force dans plusieurs pays (bien avant qu’il ne dégénère en mafias locales en Irak et en Syrie).
Nahoum Goldman, le président de l’Organisation Sioniste Mondiale, défendait l’idée que l’unité pan-arabe était bonne pour Israël. Il pensait que la paix était nécessaire à l’existence d’Israël et qu’il faudrait la réunion de tous les pays arabes pour avoir le courage de la faire.
David Ben-Gourion, le Premier ministre d’Israël, pensait que la paix était mauvaise pour Israël, au moins jusqu’à ce que le sionisme ait atteint tous ses objectifs (non définis publiquement). En situation de guerre, l’unité chez les Arabes représentait un danger qu’il fallait éviter à tout prix.
Goldman, le couard le plus brillant que j’aie jamais connu, n’eut pas le courage de ses convictions. Ben-Gourion fut beaucoup moins brillant, mais beaucoup plus déterminé.
Il l’a emporté.
MAINTENANT NOUS avons de nouveau partout le même problème.
Nétanyahou et sa bande de saboteurs de la paix veulent empêcher l’unité palestinienne à tout prix. Ils ne veulent pas la paix parce que la paix empêcherait Israël d’atteindre les objectifs sionistes tels qu’ils les conçoivent : un État juif dans toute la Palestine historique, de la mer au Jourdain (au moins). Le conflit va durer longtemps, longtemps, et plus l’ennemi sera divisé mieux ce sera.
En réalité, l’émergence même du Hamas fut influencée par ce calcul. Les autorités israéliennes d’occupation ont encouragé délibérément le mouvement islamique qui a ensuite donné naissance au Hamas, comme un contrepoids au Fatah nationaliste et laïque perçu comme le principal ennemi.
Plus tard, le gouvernement israélien favorisa la séparation entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza en violant l’accord d’Oslo et en refusant d’ouvrir entre les deux territoires les quatre “passages sécurisés” prévus par l’accord. Pas un ne fut ouvert un seul jour. La séparation géographique entraîna la séparation politique.
Lorsque le Hamas remporta les élections palestiniennes de janvier 2006, à la surprise générale y compris du Hamas, le gouvernement israélien déclara qu’il n’aurait aucune relation avec un gouvernement où le Hamas serait représenté. Il intima l’ordre – il n’y a pas d’autre terme – aux gouvernements des États-Unis et de l’Union européenne d’adopter la même position. C’est ainsi que le gouvernement palestinien d’unité fut renversé.
L’étape suivante fut la tentative israélo-américaine d’installer un homme fort de leur choix comme dictateur de la Bande de Gaza, la forteresse du Hamas. Le héros choisi fut Mohamed Dahlan, un chef local. Ce ne fut pas un très bon choix – le chef de la sécurité israélienne a révélé récemment que Dahlan s’était effondré en larmes dans ses bras. Après une courte bataille, le Hamas prit le contrôle complet de la Bande de Gaza.
UNE RUPTURE FRATRICIDE dans un mouvement de libération n’a rien d’exceptionnel. C’est presque la règle.
Le mouvement révolutionnaire irlandais en fut un exemple remarquable. Dans notre pays nous avons eu la lutte entre la Hagana et l’Irgoun, qui à certains moments devint violente et particulièrement horrible. C’est Menachem Begin, commandant à l’époque de l’Irgoun, qui prévint une véritable guerre civile.
Le peuple palestinien, avec toutes les chances contre lui, peut difficilement se permettre un tel désastre. La rupture a produit une haine mutuelle intense entre des camarades qui ont passé du temps ensemble dans des prisons israéliennes. Le Hamas a accusé l’Autorité palestinienne – avec quelques justifications – de coopération avec le gouvernement israélien contre eux, insistant auprès des Israéliens et des Égyptiens pour renforcer le blocus brutal de la Bande de Gaza, empêchant même un accord pour la libération du prisonnier de guerre Gilad Shalit, afin d’éviter la libération de militants du Hamas et leur retour en Cisjordanie. Beaucoup de militants du Hamas souffrent dans les prisons israéliennes et le sort des militants du Fatah dans la bande de Gaza n’est pas plus drôle.
Pourtant, le Fatah et le Hamas constituent des minorités en Palestine. La grande masse de la population palestinienne aspire désespérément à l’unité et à un combat commun pour mettre fin à l’occupation. Si l’accord final de réconciliation est signé par Mahmoud Abbas et Khaled Meshaal, les Palestiniens seront partout à la fête.
BENJAMIN NÉTANYAHOU est déjà à la fête. L’encre de l’accord préliminaire initié au Caire n’était pas encore sèche que Nétanyahou prenait solennellement la parole à la télévision, quelque chose comme un discours à la nation après un événement historique.
“Vous devez choisir entre nous et le Hamas,” a-t-il déclaré à l’Autorité palestinienne. Cela ne devrait pas être trop difficile – d’un côté un régime brutal d’occupation, de l’autre des frères palestiniens avec une idéologie différente.
Mais cette menace stupide ne constituait pas l’élément essentiel de la déclaration. Ce que Nétanyahou nous a dit, c’est qu’il n’y aurait aucune négociation avec une Autorité palestinienne liée de quelque façon que ce soit au “Hamas terroriste”.
Toute l’affaire est un immense soulagement pour Nétanyahou. Il a été invité par les nouveaux maîtres républicains à s’adresser au Congrès des États-Unis le mois prochain et il n’avait rien à dire. Il n’avait non plus rien à proposer aux Nations unies qui sont sur le point de reconnaître l’État de Palestine en septembre prochain. Maintenant il a des arguments : la paix est impossible, tous les Palestiniens sont des terroristes qui veulent nous rejeter à la mer. Donc : pas de paix, pas de négociations, rien de rien.
SI ON veut réellement la paix, il faudrait naturellement un tout autre message.
Le Hamas est une partie de la réalité palestinienne. Il est certain qu’il s’agit d’extrémistes, mais les Britanniques nous ont enseigné à maintes reprises qu’il est préférable de faire la paix avec des extrémistes qu’avec des modérés. Si vous faites la paix avec des modérés, il vous restera encore à faire face aux extrémistes. Faites donc la paix avec les extrémistes et l’affaire est classée.
En réalité, le Hamas n’est pas aussi extrémiste qu’il aime à se montrer. Il a déclaré à maintes reprises qu’il accepterait un accord de paix fondé sur les frontières de 1967 et signé par Mahmoud Abbas s’il était ratifié par la population dans un référendum ou par un vote du parlement. Accepter l’Autorité palestinienne implique l’acceptation de l’Accord d’Oslo, sur lequel se fonde l’Autorité palestinienne – avec la reconnaissance mutuelle d’Israël et de L’Organisation de Libération de la Palestine. En Islam, comme dans toutes les autres religions, la parole de Dieu est certainement irrévocable, mais elle peut être “interprétée” dans la mesure où c’est nécessaire. Nous autres Juifs ne le savons-nous pas.
Qu’est-ce qui a rendu les deux parties plus souples ? L’une et l’autre ont perdu leurs protecteurs – le Fatah son protecteur égyptien, Hosni Moubarak, et le Hamas son protecteur syrien, Bashar al-Assad sur qui on ne peut plus compter désormais. Cela a conduit les deux parties à faire face à la réalité : les Palestiniens se trouvent seuls, il vaudrait donc mieux qu’ils s’unissent.
Pour les Israéliens favorables à la paix, ce sera un grand soulagement de négocier avec un peuple palestinien uni et un territoire palestinien unifié. Israël peut faire beaucoup pour y aider : ouvrir enfin un libre passage extraterritorial entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza, mettre fin au blocus stupide et cruel de la Bande de Gaza (qui est devenu encore plus stupide avec l’élimination du collaborateur égyptien), laisser les Gazaouis ouvrir leur port, leur aéroport et leurs frontières. Israël doit accepter le fait que des éléments religieux appartiennent maintenant à la scène politique dans l’ensemble du monde arabe. Ils vont s’institutionnaliser et, probablement, devenir plus “modérés”. Cela fait partie de la nouvelle réalité dans le monde arbe.
La naissance de l’unité palestinienne devrait être bienvenue par Israël, et aussi par les nations européennes et les États-Unis. Ils devraient se préparer à reconnaître l’État de Palestine dans les frontières de 1967. Ils devraient encourager la tenue d’élections palestiniennes libres et démocratiques et en accepter les résultats quels qu’ils puissent être.
Le vent du printemps arabe souffle aussi en Palestine. Bravo !