Mais à la hauteur de l’hôpital Al-Watani, la circulation s’arrête. « Djaïch ! Djaïch ! (« les militaires ! les militaires ! »), crie un jeune. Le chauffeur du taxi collectif s’excuse de ne pas pouvoir continuer jusqu’à la station ; je descends pour me retrouver avec des centaines de jeunes, ceux qui devaient aller à l’école, au lycée ou à la fac.
J’essaie de me rapprocher du cabinet dentaire, le boulevard Soufiane est occupé par les jeunes qui jettent des pierres en direction des tanks, des ambulances arrivent et chargent des blessés.
Je ne suis qu’à trois cents mètres environ du cabinet dentaire, mais il n’y a rien à faire. Une connaissance m’invite à prendre un café. Des renforts de Humvee israéliennes arrivent alors, les tirs partent, on se baisse, les jeunes se dispersent comme des moineaux et reprennent position dans les rues adjacentes.
« Amou (oncle), tu restes ici ? » me demande l’un d’eux. Je confirme. « Tu veux bien garder nos cartables. Tiens, les voilà. On revient dans un quart d’heure. Et si on tarde, tu laisses le tout au marchand de falafel », disent-ils, avant de repartir, sans me laisser le temps de réagir.
A 10h, je parviens à rejoindre Darna, un kilomètre plus loin environ. Lise, directrice d’une école de dessin à Paris, est de passage a Naplouse pour un partenariat avec l’école des beaux-arts de la ville. Elle m’appelle de son hôtel pour me faire part de son inquiétude devant la tournure prise par les événements, mais insiste pour venir à Darna, où une rencontre avec des étudiants à été prévue.
Il est 10h 30 : finalement, une douzaine d’étudiants des beaux-arts et leur professeur ont pu rejoindre Darna, en même temps que Lise, et la réunion a quand même lieu : au menu, discussion sur la mise en valeur d’un objet grâce à son « packaging » et autres éléments d’aide à la commercialisation. Je raconte ma modeste expérience concernant la valorisation de l’image de Naplouse avec notre commercialisation du savon. Un peu plus loin en ville, on entend les tirs israéliens qui continuent, continuent.
12h, radio Najah annonce le retrait des vingt blindés du centre ville, la mort clinique d’un jeune et 25 blessés.
Lise repart avec les étudiants en ville pour rencontrer un maître savonnier. Moi, je reçois un coup de fil du cabinet dentaire pour me dire que les soldats sont partis et que je peux venir me faire soigner.
La ville est jonchée de pierres et les services de la chaussée commencent le nettoyage.
Entre deux coups de fraise le dentiste me dit : "Dans deux jours il y a les élections municipales de Naplouse ; depuis un mois l’Autorité a joué le jeu des Israéliens, retrait de toutes les voiture volées, interdiction de toute présence d’hommes armés hormis les policiers, acceptation des ordres de l’Etat-major israélien de retrait des policiers palestiniens dès que les Israéliens veulent rentrer en ville. Malgré notre rage pour ces humiliations, nous nous taisons. On soupçonne même une partie de l’Autorité de collaboration dans la vague d’arrestations de militants de l’opposition. L’incursion d’aujourd’hui en plein jour est une provocation pour que les groupes armés ripostent. Moi, je vais certainement riposter en votant jeudi pour les partis les plus honnis par Israël, c’est la seule façon de leur dire que nous ne serons jamais un peuple soumis."
Je règle la consultation et retourne à Darna. Amin, m’apporte une carte d’accréditation me donnant le droit d’être « Observateur International » pour les élections. Mais de quel droits et de quel contrôle parle-t-on ? De quel droit irais-je contrôler ces élections alors que le contrôle doit être fait par nos propres gouvernements qui laissent honteusement un peuple entier livré à la barbarie et l’impunité des criminels de guerre de Tel-Aviv. Au risque de ne pas être compris par Amin, je jette la carte dans la première corbeille trouvée."
Naplouse,le 13 décembre 2005