« Au départ, nous avons utilisé les communiqués de presse publiés par les organisations des droits de l’homme présentes sur place. L’idée était de transformer ces textes sous forme de statistiques permettant de mettre en relation les attaques. » Nombre de victimes, type d’attaque, armes utilisées et caractéristiques de la cible : Amnesty International et Forensic Architecture espèrent récolter le maximum d’informations pour les agencer sur une même interface et donner ainsi au grand public une meilleure vision des événements.
« Le nombre de morts, l’ampleur des dégâts, les armes utilisées, les cibles visées montrent le caractère asymétrique de cette guerre »
Problème : la carte se focalise uniquement sur les attaques israéliennes et ne retranscrit donc pas une vision d’ensemble du conflit. « Le but de cette plateforme est d’aider à analyser l’attitude d’Israël pendant les hostilités. Le nombre de morts, l’ampleur des dégâts dans la bande de Gaza, les armes utilisées par les forces israéliennes – incluant l’utilisation massive d’artillerie, d’obus – et les cibles visées (maisons, écoles, installations médicales) montrent le caractère asymétrique de cette guerre », justifie Deborah Hyams, chercheuse à Amnesty International, avant de préciser que l’ONG a publié deux rapports sur les attaques et les actes de torture perpétrés par le Hamas pendant cette guerre. Selon elle, les armes utilisées par les groupes armés palestiniens, telles que les mortiers ou les roquettes, ne sont « pas suffisamment précises » pour pouvoir être intégrées à la carte, qu’elle présente comme un outil d’analyse « en profondeur ».
Un outil pour la justice
Sur le terrain, seules deux ONG palestiniennes ont pu récolter des données pendant le conflit : Al-Mezan Centre for Human Rights et le Palestinian Centre for Human Rights (PCHR). Les autorités israéliennes ayant refusé l’accès à Amnesty International, l’ONG a dû collaborer à distance : « Nous étions en contact permanent avec les organisations de défense des droits de l’homme palestiniennes. Nous leur demandions de récolter pour nous des données dans certains endroits souvent difficiles d’accès », se souvient Deborah Hyams.
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Après une frappe israélienne sur Gaza, pendant l’opération "Bordure protectrice", le 23 août 2014.
L’ambition affichée d’Amnesty International est claire : proposer un outil à la justice dans les cas de violations du droit international. « La plateforme a été développée en collaboration avec Forensic Architecture afin d’analyser la configuration des attaques israéliennes et faciliter les enquêtes susceptibles d’être menées pour crimes de guerre », explique Deborah Haymes.
Selon Robert Perkins, spécialiste des armes lourdes à Action on Armed Violence (AOAV), un programme de recherche basé à Londres, cette plateforme est une avancée majeure : « Elle est une source d’informations précieuse pour les chercheurs spécialisés dans les droits de l’homme et les conflits armés, affirme-t-il. L’armée israélienne avait notamment déclaré qu’elle n’utilisait pas d’artillerie lourde dans les zones résidentielles ou leurs environs. Plateforme Gaza démontre que ce n’était pas le cas : la carte révèle que 334 incidents sont dus à des tirs d’artillerie. »
L’une des zones les plus peuplées au monde
Samir Battiss, chargé d’enseignement à l’université du Québec, ne partage pas cet avis. Pour ce spécialiste des questions de défense, Amnesty International a surtout misé sur l’émotionnel pour mobiliser l’opinion internationale : « C’est très visuel mais la carte ne donne pas suffisamment de détails sur le contexte. Par exemple, la densité d’habitation n’apparaît pas. Or, la bande de Gaza est l’une des zones les plus peuplées au monde, donc la probabilité que les zones résidentielles soient touchées est forcément plus grande. »
« On peut ainsi voir une montée en flèche des attaques contre les habitations civiles »
Selon ses concepteurs, la plateforme permet de mettre en lumière certaines caractéristiques propres à ce conflit : « Des éléments nouveaux et inquiétants émergent : on peut ainsi voir une montée en flèche des attaques contre les habitations civiles par rapport aux opérations précédentes, analyse Francesco Sebregondi. De façon plus globale, cette plateforme illustre les défis particuliers liés aux guerres menées en espace urbain ».
Si la carte demeure encore incomplète, le coordinateur du projet insiste sur le caractère collaboratif de Plateforme Gaza : « L’idée est de constituer un outil participatif, une archive vivante. Toute contribution nouvelle passera par un processus de vérification par les chercheurs d’Amnesty International. A terme, la carte pourra intégrer des vidéos, des photos, des images satellitaires. » Dès le lancement de la plateforme en ligne, les internautes ont d’ailleurs commencé à partager leurs propres photos sur Twitter afin d’enrichir la carte interactive.