Les français ont recruté un agent syrien qui avait accès à une correspondance top secrète entre les dirigeants syriens – parmi eux le président Shukri al-Quwatli et le ministre des Affaires étrangères, Jamil Mardam, (qui par la suite est devenu premier ministre) – et des dirigeants des états voisins. Les services secrets français ont aussi obtenu des rapports envoyés par les diplomates syriens à Londres, Washington, Moscou, Paris et un certain nombre de pays arabes.
Après la guerre, les Français ont cherché à reprendre le contrôle de la Syrie et du Liban, mais la Syrie constituait un problème distinct, parce que son indépendance avait déjà été déclarée en 1941, après que des troupes conjointes de la Grande Bretagne et de la France Libre eurent libéré le pays du contrôle du régime de Vichy. A partir de ce moment là et jusqu’en 1945, de Gaulle a essayé d’imposer un traité à la Syrie qui accorderait à la France un statut privilégié. Après qu’il eut compris qu’un accord franco- syrien n’était pas possible à cause de l’opposition syrienne et britannique, de Gaulle a décidé en avril 1945, d’envoyer des renforts militaires en Syrie et au Liban. Cet acte, couplé à la réponse dure des Français le 8 mai dans la ville de Setif en Algérie, où les troupes françaises ont massacré des milliers d’Algériens qui manifestaient pour l’indépendance de leur pays, a sérieusement secoué le président syrien, Quwatli, qui craignait qu’il subirait le même sort que l’Emir Faisal, qui a été expulsé de Damas par les français en juillet 1920.
Fin mai 1945, les troupes françaises ont attaqué des institutions gouvernementales en Syrie. Le 30 mai, le commandant en chef des troupes britanniques au Moyen Orient a lancé un ultimatum de cesser le feu aux Français et de retourner immédiatement dans leurs garnisons où sinon ils auraient à affronter les troupes britanniques supérieures en nombre. De Gaulle et le gouvernement provisoire français n’ont pas eu le choix si ce n’est d’obéir. Pendant les semaines qui ont suivi, avec l’accord tacite des Britanniques, les nationalistes syriens ont massacré un grand nombre de citoyens français, et pillé et détruit les bureaux de sociétés françaises et les institutions culturelles religieuses et éducatives françaises. C’est ainsi que le règne français sur la Syrie s’est terminé de façon violente et soudaine.
Lors de l’un des moments les plus dramatiques de la crise syrienne, le Général de Gaulle a dit à Duff Cooper, l’ambassadeur britannique à Paris : « Nous ne sommes pas, je l’admets, dans une position nous autorisant à ouvrir des hostilités contre vous en ce moment. Mais vous avez insulté la France et trahi l’Occident. Ceci ne peut pas être oublié. » Le même jour, le 4 juin 1945, Cooper a écrit dans son journal intime : « il est sincèrement convaincu que la totalité de l’incident a été arrangé par les Britanniques pour mener à bien leur politique de longue date visant à chasser les Français du Levant et prendre leur place. »
Maintenant, il émerge que de Gaulle avait une preuve concrète que la « Perfide Albion » avait de nouveau frappé. Cette preuve se trouve dans des documents syriens de 1944-1945, et certains de 1947, qui se trouvent dans les archives françaises et ont été récemment rendus accessibles aux chercheurs. Le Premier ministre britannique Winston Churchill, le secrétaire aux Affaires étrangères Anthony Eden, et le reste du corps diplomatique anglais ont persisté dans leurs dénis. La Grande Bretagne, ont-ils affirmé, n’avait pas de motivation cachée en Syrie et au Liban, et en fait avait joué le rôle de médiateur entre la France et la Syrie dans un effort pour trouver un accord. La décision de la Grande Bretagne d’intervenir était le résultat direct de la politique agressive de de Gaulle, et ses soupçons concernant le rôle de la Grande Bretagne au Levant frisaient la paranoïa et l’anglophobie.
Pour sa part, de Gaulle a tenu parole : il n’a jamais oublié et jamais pardonné les Britanniques pour l’un des épisodes les plus vexants et humiliants qu’il ait subi au cours de sa longue carrière, et dans ses mémoires il répète avec obsession ses accusations contre les Britanniques d’avoir trahi la France et exploité sa faiblesse passagère pour la déloger d’une région où elle avait eu pendant des siècles des liens religieux, culturels et économiques. De Gaulle maintenait que la Grande Bretagne avait suscité délibérément la crise syrienne pour faire partir la France du Moyen Orient, parce que la France constituait un obstacle sur le chemin de la création d’une fédération arabe sous hégémonie britannique. De Gaulle a aussi accusé Churchill d’essayer de tirer avantage de l’affaire syrienne pour le chasser de la direction du gouvernement provisoire français.
Des historiens arabes ont décrit la crise de mai juin 1945 comme un soulèvement héroïque des nationalistes syriens, qui ont expulsé les Français de leur pays et ainsi assuré son indépendance totale. Jusqu’à ce jour, les Syriens commémorent le départ des Français dans le cadre d’une journée de repos nationale. Mais des centaines de documents syriens à passer en revue sont maintenant disponibles aux archives françaises et vont obliger les chercheurs à réexaminer l’histoire de leur région, en prenant en considération l’alliance secrète entre la Grande Bretagne et la Syrie, qui a permis à la Grande Bretagne d’exercer un contrôle considérable sur la Syrie jusqu’à 1948. Une telle étude pourrait avoir des implications considérables pour l’histoire de la lutte pour la création de l’état d’Israël.
Vaincre la Syrie
Le sentiment de trahison de de Gaulle s’est accru du fait que l’officier qui représentait la Grande Bretagne en Syrie et au Liban pendant les années de guerre était le général Edward Spears, qui avait fait sortir de Gaulle de France à la dernière minute avant la conquête nazie. Le 5 août 1944, Spears a envoyé le Premier ministre libanais Riyad al-Sulh en mission secrète à Damas. La sécurité britannique était si stricte que Sulh n’a appris le but exact de sa mission qu’en rencontrant le consul britannique dans la capitale syrienne. Le consul lui a dicté une proposition du gouvernement de sa Majesté au gouvernement syrien ; Sulh devait transmettre cette proposition à Saadallah al-Jabiri, le premier ministre syrien, qui était aussi le beau père de Sulh.
La proposition britannique incluait, parmi d’autres éléments, l’unification de la Syrie avec la Transjordanie et la Palestine pour créer la « Grande Syrie ». La Syrie devrait aussi accorder à la Grande Bretagne un statut préférentiel dans les domaines militaire, économique et culturel, et ne pas signer d’accord avec d’autres pays sans consulter au préalable Londres. Pour persuader les dirigeants syriens d’accepter ces termes, la Grande Bretagne était prête à s’engager à défendre l’indépendance de la Syrie face une agression externe, continuer la politique du Livre Blanc en Palestine et stopper complètement les « ambitions juives. »
Cette proposition clandestine britannique au gouvernement syrien montre que, contrairement à ce que l’on a cru jusqu’à maintenant, en août 1944, le gouvernement britannique a donné à ses représentants au Moyen Orient son feu vert pour appliquer le « Plan du Croissant Fertile » du premier ministre irakien Nuri al-Said. Cela impliquait de former la Grande Syrie en intégrant la Syrie, la Transjordanie, la Palestine et le Liban. Par la suite, la Grande Syrie serait unie à l’Irak au sein d’une fédération. Les minorités chrétiennes au Liban et les Juifs en Palestine bénéficieraient d’une autonomie.
Le document élaborant la proposition britannique montre qu’après 3 ans d’objection, Churchill et Eden ont finalement accepté l’approche de leurs représentants au Moyen Orient, et adopté une stratégie en accord avec la force du panarabisme qui surgissait. Les obstacles étaient formidables : la Grande Bretagne devait chasser la France du Levant, violer ses engagements auprès du mouvement sioniste juste au moment où on commençait à se rendre compte en Europe de l’ampleur de l’Holocauste, et déposer l’Emir Abdullah de Jordanie. En plus, la Grande Bretagne pouvait être sûre que ces actes mettraient les Etats-Unis en colère, de même que l’Union Soviétique. Malgré cela, Churchill et Eden, et après, Clement Attlee et Ernest Bevin, ont autorisé un groupe de diplomates et d’officiers de l’armée trop sûrs d’eux, et à qui ils faisaient entièrement confiance, à les entraîner dans une aventure coûteuse, qui devait mettre fin à l’hégémonie britannique au Moyen Orient 6 ans plus tard.
Entre août 1944 et mai 1945, le principal obstacle à l’application des plans britanniques c’était l’opposition obstinée du président Quwatli, qui lors des rencontres préparatoires pour la création de la Ligue Arabe, a soutenu le camp égypto- saoudien contre l’Irak. Les documents britanniques et syriens offrent une image claire de la pression exercée par les Britanniques et les Irakiens sur Quwatli. Cela a conduit de Gaulle, qui suivait de près l’intrigue entre Britanniques et Irakiens, à remarquer que le président syrien était « le seul homme politique sincère dans ces pays. » A Georges Bidault*, son ministre des affaires étrangères, il a fait remarquer la « fourberie » du gouvernement britannique qui à Londres continuait de promettre de persuader la Syrie et le Liban de conclure des traités avec la France, tandis qu’à Damas ses représentants essayaient secrètement d’obtenir du gouvernement syrien qu’il signe un traité avec la Grande Bretagne. »
La dernière étape de cette campagne d’intrigue, de provocation et de pression britannique, s’est déroulée en mai 1945, dans le but de forcer Quwatli à signer un accord avec la Grande Bretagne. Les efforts secrets pour chasser la France de la Syrie ont été coordonnés par le colonel Walter Stirling (qui parfois opérait comme pseudo correspondant du London Times). Dans un rapport daté du 22 mai, Stirling décrit une scène qui aurait pu sortir tout droit d’une tragédie de Shakespeare : alors que Mardam complotait pour le remplacer, Quwatli, malade, étendu sur son lit, serrait dans ses mains un morceau de papier sur lequel le consul général américain, George Wadsworth avait écrit – au nom de son gouvernement – la garantie de soutenir la Syrie dans son combat pour se libérer de la domination coloniale. Quwatli a déclaré à Stirling que les Etats-Unis était les meilleurs amis des Arabes, alors que les Britanniques étaient égoïstes et qu’on ne pouvait pas leur faire confiance à long terme car ils changeaient leur position en fonction de leurs intérêts.
Le 29 mai, au plus haut de l’assaut des Français sur les institutions de son gouvernement, Quwatli a finalement cédé aux Britanniques et accepté de soumettre son pays à l’hégémonie britannique en contre partie de quoi la Grande Bretagne défendrait la Syrie contre les Français. Le lendemain, le général Paget a lancé l’ultimatum aux troupes françaises d’observer un cessez le feu immédiat. Les documents dans les archives françaises montrent que l’accord secret a été conclu à la hâte et comprenait 7 lettres : 5 du président Quwatli à Terence Shone, le ministre britannique en Syrie et au Liban (dont Mardam était co-signataire) et deux de Shone au président syrien. Une correspondance supplémentaire en lien avec l’accord a été échangée entre Quwatli, Mardam et Shone entre le 2 juin et le 2 juillet.
Toutes les 5 lettres envoyées commencent par la même phrase dans laquelle le président syrien jure sur son honneur, en son nom propre, et comme représentant de la nation syrienne de créer la Grande Syrie, d’accorder à la Grande Bretagne des concessions pour l’exploitation du pétrole en Syrie, et un statut préférentiel politique économique et financier dans le pays ; d’adopter une politique étrangère compatible avec celle de la Grande Bretagne, et d’accorder à la Grande Bretagne un rôle dans la création de l’armée syrienne. Apparemment le souci immédiat de Quwatli s’était que son engagement à l’égard des Britanniques reste complètement secret, et les deux lettres que lui a envoyées Shone visaient, de la part de son gouvernement, à le rassurer que l’existence de ces lettres ne seraient pas divulguée.
Au cours des années qui ont suivi, Quwatli et Mardam ont bénéficié de l’admiration du public syrien en particulier et du Monde arabe en général, pour avoir conduit la Syrie à l’indépendance totale sans présence étrangère. Mais les documents syriens révèlent l’étendue du contrôle britannique sur la Syrie et les différentes méthodes utilisées par les Britanniques pour s’assurer que Quwatli resterait dans le rang. Les Britanniques ont continué à exploiter la crainte de Damas d’un retour des Français et l’ont amplifiée en mettant l’accent sur les menaces sionistes et soviétiques, de même que les ambitions de l’Emir Abdullah de se faire couronner roi de la Grande Syrie.
A la fin de 1945, le nouveau gouvernement travailliste a tiré avantage des craintes syriennes d’un changement possible de politique britannique pour s’assurer que Damas tiendraient ses engagements pris en mai 1945 à l’égard de la Grande Bretagne. En Irak pro -britannique, Nuri al-Said a pris des mesures pour coordonner sa politique étrangère avec celle de la Syrie dans les relations régionales et inter arabes. Des officiers britanniques ont été employés dans l’armée syrienne, bien qu’officiellement il était affirmé qu’ils avaient été engagés à titre privé par le gouvernement syrien. Les services secrets britanniques ont également utilisé des agents syriens contre la France pour des actes de désta-irakien -syrien ce n’était pas la France, mais la force du mouvement sioniste pour créer un état juif en Palestine.
Au service de la Grande Bretagne
En juin 1945, lors d’un débat à l’assemblée consultative française sur la crise syrienne, Bidault a mis en garde les britanniques : « Hodei mihi, cras tibi » ( en latin : c’est mon sort aujourd’hui demain ce sera le vôtre). Effectivement, pendant les années qui ont suivi, les services secrets français ont fait tout leur possible pour faire payer un prix élevé à la Grande Bretagne au Moyen Orient. Les Français n’étaient pas purement motivés par la vengeance, mais aussi par l’ambition de restaurer leur influence au Levant, particulièrement au Liban, et contrer la subversion britannique en Afrique du Nord. Les documents du ministère des Affaires étrangères syrien, que les Français ont reçus de leur agent à Damas, leur ont largement permis d’agir contre les Britanniques au Moyen Orient, de même que contre les gouvernements de Quwatli –Mardam en Syrie et Sulh au Liban. Dans la période 1945-1948, l’arme française la plus efficace contre la Grande Bretagne au Moyen Orient, cela a été son soutien à la lutte du mouvement sioniste. Dans une rencontre qui s’est tenue le 6 octobre 1945 avec Marc Jarblum, dirigeant de l’organisation sioniste en France, de Gaulle a déclaré que « les juifs en Palestine sont les seuls qui peuvent chasser les Britanniques du Moyen Orient ». Le 10 novembre, au cours d’une visite à Paris, de David Ben Gourion, dirigeant de l’Agence Juive, Bidault lui a dit que la France soutenait la cause sioniste.
Des documents syriens récemment découverts apportent un nouvel éclairage sur des évènements qui ont conduit à la création de l’Etat d’Israël et appellent à un ré- examen de certaines croyances de base concernant la politique britannique en Palestine de 1945 à 1948. La proposition britannique aux dirigeants syriens en août 1944 et l’accord secret anglo syrien du 29 mai 1945, révèlent que la Grande Bretagne avait assuré la Syrie – un pays n’étant pas connu comme ayant été par le passé sous hégémonie britannique – qu’elle limiterait l’immigration juive et contrerait l’émergence d’un état juif indépendant en Palestine. Cette politique ne pouvait évidement pas s’accommoder de la création d’un état juif indépendant dans une quelconque partie de la Palestine.
Des centaines de documents diplomatiques syriens, couvrant la période juin décembre 1945, fournissent des détails des négociations entre la Syrie et d’autres états arabes et le nouveau gouvernement travailliste de Grande Bretagne sur la question de la Palestine. Cela devient évident comment le futur de la Palestine a joué un rôle dans les rivalités interarabes et comment le gouvernement britannique a joué sur la menace sioniste pour s’assurer que les dirigeants syriens respectent leur engagement secret avec la Grande Bretagne.
Ni les mises en garde américaines, ni les menaces soviétiques, les pressions des rois d’Egypte et de l’Arabie Saoudite, ni les critiques des représentants syriens à Washington et Paris n’ont pu soustraire Quwatli et Mardam à leurs engagements à soutenir la politique britannique. Alors que Quwatli a essayé de se soustraire à la main mise britannique, sous la pression de l’Egypte et de l’Arabie Saoudite, ils ont joué la carte française et sioniste tandis que le gouvernement irakien comptait sur les politiciens syriens pro- irakiens, particulièrement ceux de la région d’Aleppe, pour maintenir la pression. Et toujours hantant les coulisses, le redouté Emir Abdullah et ses ambitions pour la couronne syrienne. A chaque fois que Quwatli semblait ne plus suivre les « conseils britanniques », des agents britanniques en Syrie ou Transjordanie, dont le général Stirling, distribuaient de vastes sommes d’argents à des chefs de tribus dans le désert syrien pour qu’ils déclarent faire allégeance à l’Emir Abdullah.
Les Britanniques ont exploité les aspirations sionistes à un Etat juif en Palestine non seulement pour menacer les Syriens, mais aussi pour les obliger à coopérer. Effectivement, suite à l’accord secret anglo -syrien, Quwatli et Mardam ont commencé à assumer une responsabilité directe pour assurer que la Palestine deviendrait une partie intégrante de la Grande Syrie, qu’ils contrôleraient de Damas. En conséquence, en plus de rejeter la menace sioniste pour un état juif, les dirigeants syriens ont aussi repoussé les demandes du Mufti de Jérusalem, Haj Amin al-Husseini, pour un Etat palestinien indépendant sous son contrôle. Ainsi, par exemple, Mardam a mis en garde les Britanniques sur le fait que la France utilisait le Mufti, qui y avait reçu l’asile politique en 1945-46, pour subvertir les intérêts britanniques et syriens. En 1947-48, Quwatli et Mardam, se sont sans cesse affrontés avec le Mufti, particulièrement en ce qui concerne la nomination de Fawzi al-Qawuqji à la tête de l’Arab Army of Salvation.
De Gaulle et Truman
Les documents syriens permettent une plus grande compréhension de deux évènements significatifs sur le chemin de la création de l’état d’Israël : la lettre du président Harry S. Truman du 31 août 1945, au premier ministre britannique Attlee demandant que la Grande Bretagne autorise l’immigration en Palestine de 100 000 réfugiés juifs des camps d’Europe, et le célèbre discours du ministre des affaires étrangères soviétiques Andrei Gromyko à l’ONU le 14 mai 1948, reconnaissant la création de l’état d’Israël
Dix jours avant que Truman n’envoie sa lettre, de Gaulle s’est rendu en visite aux Etats-Unis pour un premier entretien avec le président. De Gaulle attachait une importance considérable à la visite, car la France avait désespérément besoin du soutien des Etats-Unis pour restaurer son statut de Grande Puissance en Europe et dans ses colonies d’outre mer, particulièrement en Indochine, et pour résoudre les problèmes économiques pressants. La crise syrienne avait fait beaucoup de dommage à la renommée de la France aux Etats-Unis, donc c’était vital pour de Gaulle de prouver aux Américains que la Grande Bretagne, qui avait conspiré avec les Syriens pour chasser la France de ses territoires sous mandat, était le vrai coupable.
On peut supposer que pour garder les choses secrètes, de Gaulle aura révélé des détails de l’accord anglo syrien au seul président Truman. De toute façon, du 22 au 24 août les deux dirigeants ont eu trois rencontres. Le 24, l’ambassadeur syrien à Washington, Nazim al-Qudsi, a rapporté à Damas qu’il avait été appelé en urgence au Département d’Etat et qu’on lui avait demandé de présenter la réponse de son gouvernement à la question de savoir si la Syrie avait ou non donné son accord à une unification avec l’Irak et si le gouvernement syrien était en collusion avec le gouvernement britannique à cette fin.
Surpris, le diplomate syrien, qui ne savait rien d’un tel accord, a immédiatement transmis la demande américaine à Damas. Le premier ministre syrien Fars al-Khuri a nié mais cela n’a pas levé les soupçons américains. Le 25 août, al-Qudsi a rapporté qu’il avait appris que les Etats-Unis soutiendraient la cause juive pour éviter un contrôle total britannique sur le Moyen Orient. Six jours plus tard, le président Truman a envoyé sa fameuse lettre au premier ministre britannique.
Dans les mois qui ont suivi, al-Qudsi a rapporté des déclarations extrêmement hostiles de responsables américains contre les gouvernements britannique et syrien. Le secrétaire d’état James Byrmes a déclaré que les Britanniques voulaient chasser les Français de Syrie et du Liban seulement pour s’emparer des ressources pétrolières. Un responsable américain s’est demandé si les Etats Unis avaient reconnu l’indépendance de la Syrie seulement pour voir ce pays tomber sous le contrôle britannique, ajoutant que « la Grande Bretagne, actuellement, est le vrai maître de votre pays. » Un autre diplomate a déclaré que « l’intervention de la Grande Bretagne avait pour but de vous subjuguer vous et votre économie, c’est-à-dire, qu’elle cherche tout simplement à vous coloniser. » Par la suite, un rapport révèle que les Américains perçoivent la politique britannique en Palestine comme ruineuse. Selon un diplomate, les Britanniques étaient responsables de la situation chaotique là bas, et il a mis en garde ses interlocuteurs syriens que la Grande Bretagne exploitait le conflit juif arabe pour « réaliser son contrôle sur tous les Etats arabes. »
La correspondance diplomatique syrienne révèle la rivalité intense anglo- américaine sur l’exploitation de l’économie syrienne. Les Britanniques ont utilisé leur influence là bas pour promouvoir les intérêts des sociétés britanniques au dépends des entreprises américaines. Terence Shone, devenu ambassadeur britannique à Damas, a été jusqu’à mettre en garde Mardam contre le fait d’autoriser les banques américaines à opérer en Syrie, car « cela constituerait une exploitation capitaliste coloniale de l’économie syrienne ».
Le refus du gouvernement syrien en 1948-49 d’autoriser la compagnie Trans-Arabian Pipenline – Tapline- de construire un pipeline pétrolier allant de l’Arabie Saoudite via la Jordanie et la Syrie jusqu’à la côte méditerranéenne du Liban, n’a fait qu’accroître la colère américaine. Vu de l’extérieur, il apparaissait que le gouvernement syrien agissait en conformité avec des décisions secrètes prises par la Ligue Arabe de boycotter les Américains et les Britanniques à cause de leur politique en Palestine. En fait, le refus des Syriens était encouragé tacitement par les Britanniques. De toute façon, Truman a tenu le gouvernement britannique responsable et a constamment fait pression sur Bevin pour obliger la Syrie à accorder les permis nécessaires à Tapline.
Que savait Ben Gourion ?
Les Français étaient plus qu’heureux de fournir au président Truman une nouvelle preuve de l’interférence britannique particulièrement en Palestine. Mais la France a-t-elle informé l’Union Soviétique de l’accord secret anglo- syrien ou de l’intention des Britanniques de créer une alliance régionale anti -soviétique avec la participation de l’Irak, la Syrie, la Turquie – un plan dont ils ont pris connaissance par la correspondance anglo -syrienne ? Si les Soviétiques avaient eu connaissance de cela, ils auraient très certainement fait tout leur possible pour faire échouer les projets britanniques, dans la région en général, et en Palestine en particulier. Une comparaison de la correspondance anglo- syrienne et soviéto -syrienne révèle effectivement un élément récurrent : des problèmes soulevés secrètement par les Britanniques auprès des Syriens étaient mentionnés par les Soviétiques les jours suivants. Par exemple, quand les Britanniques ont demandé que leurs forces armées restent en Syrie même après l’évacuation française, le représentant soviétique à Damas, Daniel Solod, a immédiatement protesté. Quand les Britanniques ont invité le gouvernement syrien à envoyer des délégués à une conférence secrète à Londres pour discuter de la défense du Moyen Orient contre des menaces extérieures, un responsable soviétique à Moscou a protesté auprès du représentant syrien, Faiz al-Khuri. Ceux-ci, et d’autres exemples, suggèrent que la France a tenu informée l’Union Soviétique de l’activité britannique au Moyen Orient et en Afrique du Nord.
Une question encore plus intrigante c’est si les Français ont passé des informations de leur source syrienne aux dirigeants de l’Agence juive, David Ben Gourion et Moshe Sharett. Est-ce que la capacité presque prophétique de Ben Gourion pendant 1945-48 à prévoir les développements régionaux et internationaux et préparer le Yishouv (la communauté juive en Palestine) à une confrontation militaire avec les Etats arabes était basée sur une pré- connaissance des intentions secrètes des Britanniques et des Arabes ? Est-ce que sa méfiance du rôle de la Grande Bretagne en Palestine, que des historiens ont décrite comme « obsessionnelle » et « paranoïaque » dérivait, comme les soupçons de Gaulle, de renseignements précis ? Ben Gourion croyait –il que les Britanniques étaient impliqués dans une conspiration secrète avec les dirigeants arabes pour empêcher la création d’un Etat juif, sur la base d’informations fournie par la France ? Et est ce que sa décision fatidique de déclarer la création de l’état d’Israël le 14 mai 1948 – et plus tard d’imposer des décisions opérationnelles majeures à ses généraux – découlaient d’informations secrètes qu’il avait reçues des Français sur les plans militaires des Arabes ?
Des recherches initiales menées ces deux derniers mois dans trois archives (archives Ben Gourion à Sde Boker, archives de la Hanagah à Tel Aviv et les archives centrales sionistes à Jérusalem) et les journaux intimes de Ben Gourion, en particulier ses journaux intimes de guerre de décembre 1947-juillet 1949, ont également été consultés dans le but de découvrir si des informations provenant des documents syriens ont été mis à la disposition de Ben Gourion et s’il en connaissait l’origine exacte. Ont également été examinés les modes de transmission des renseignements et ceux qui ont été probablement impliqués côté israélien.
Dans le cadre de cet article, on ne peut citer que quelques découvertes. Par exemple, le 15 octobre 1944, Ben Gourion a rencontré à Beyrouth le Général Paul Beynet, le délégué général français en Syrie et au Liban. Leur rencontre a probablement été arrangée par Eliyahu Eilat (Epstein) qui avait rencontré Beynet le 6 septembre, un mois après que les services secrets français eurent appris le plan secret des Britanniques de chasser la France de Syrie et du Liban et empêcher la création d’un état juif. Ben Gourion raconte sa rencontre en détail avec le général Beynet, particulièrement l’accent mis sur l’importance d’un état juif pour l’existence d’un Liban chrétien.
Le 23 novembre 1944, Ben Gourion a écrit dans on journal intime qu’il avait envoyé une lettre via le capitaine Blanchard à Marc Jarblum, le représentant de l’organisation sioniste en France. Blanchard était un officier des renseignements qui avait servi dans les forces de la France Libre en Syrie et au Liban pendant la Guerre. En 1945, avec Tuvia Arazi, un officier des renseignements qui servait de liaison entre l’Agence juive et la France Libre, il a accompagné Ben Gourion à certaines de ces réunions avec des responsables français à Paris. Blanchard a continué à être impliqué dans des contacts secrets entre la France et le mouvement sioniste ou Israël dans les années qui ont suivi. Ben Gourion était à Paris en mai et juin 1945, quand la crise syrienne a fait surface. Les introductions dans son journal montrent clairement qu’il endossait totalement les accusations françaises contre les Britanniques. Si la Grande Bretagne était prête à avoir recours à de tels extrêmes contre la France en Syrie et au Liban pour assurer son statut régional, c’était évident pour lui qu’elle serait également prête à imposer sa propre solution au Yishouv. Dans une introduction dans son journal du 8 juin, il a noté que les Français cherchaient une coopération avec des groupes juifs pour saper la sécurité en Palestine et que des émissaires des milices dissidentes Etzel et Lehi s’étaient rendus à Beyrouth.
Dès septembre, cela était devenu évident que le gouvernement travailliste n’avait pas l’intention de modifier la politique britannique au Moyen Orient. Les Français ont appris cela de la correspondance anglo- syrienne. Le 1er octobre, Ben Gourion a envoyé de Paris à Moshe Sneh, le dirigeant de la Haganah, une directive bien connue, de donner instruction aux forces de défense de coopérer avec Etzel et Lehi dans la résistance armées contre la domination britannique. La création du mouvement uni de résistance a été perçu à l’époque comme une mesure extrême et a été durement critiquée par des collègues de Ben Gourion, car cela mettait fin à une coopération rapprochée d’un quart de siècle entre le mouvement sioniste et la Grande Bretagne. Ben Gourion est resté à Paris pratiquement toute l’année 1946 et début 1947, dirigeant le combat contre les Britanniques de ses quartiers généraux à l’Hôtel Royal Monceau sur l’Avenue Hoche.
D’autres découvertes importantes ont trait à trois accords en 1946 entre l’Agence Juive et le premier ministre égyptien Ismail Sidqi, l’Emir Abdullah et l’Eglise maronite sur une solution de compromis pour la Palestine, basée sur une partition. On peut mieux comprendre ces accords si on tient compte que les quatre parties impliquées étaient négativement affectées par l’accord anglo- irakien- syrien de 1945. Les Français ont fourni des détails des intrigues anglo- irakiennes, aux Egyptiens et à l’Eglise maronite. Quant à l’Emir Abdullah, il a pu en entendre parler par des responsables de l’Agence juive, avec lesquels il avait entretenu des liens étroits depuis les années 30.
Le retrait britannique
Les documents syriens révèlent les liens étroits formés entre le premier ministre libanais Riyad al-Sulh et le brigadier lltys Clayton, dont la position officielle était celle d ‘officier de liaison à la Ligue Arabe au Bureau britannique pour le Moyen Orient au Caire. De 1946-48 Sulh a joué un rôle important dans les rencontres des dirigeants arabes concernant la Palestine, tandis que Clayton tenait un rôle clé dans les services de renseignements britanniques au Moyen Orient après la Seconde Guerre Mondiale.
Les documents syriens montrent également que pendant l’été 1947, les dirigeants syriens étaient préoccupés par une amélioration des relations entre Sulh et la France et sa collaboration avec le Mufti qui résidait alors à Beyrouth. L’ambassadeur syrien à Londres, Najib Armanazi, qui s’était entretenu avec le général Spears, a informé Mardam que la politique de Sulh était coordonnée avec les Britanniques. Dans un autre rapport, Armanazi a informé Mardam que Clayton avait reçu « carte blanche » pour promouvoir le plan de la Grande Syrie qui était « toujours sur la table ». Après avoir rencontré Sulh à Beyrouth, Mardam a rapporté au président Quwatli que les activités de Sulh étaient effectivement coordonnées avec les Britanniques. Fin septembre 1947, un espion de la Haganah a rapporté que Riyad al-Sulh et le Mufti, avec le soutien tacite des Britanniques, planifiaient d’organiser des protestations et des grèves d’Arabes palestiniens début octobre, contre le plan de partition émergeant. Le rapport ajoutait que des bandes armées seraient autorisées à traverser la frontière en provenance du Liban et attaquer les colonies juives en Galilée. On peut noter qu’en septembre et octobre, le brigadier Clayton était au Liban où des réunions de la Ligue Arabe ont eu lieu pour formuler une politique diplomatique et militaire commune en Palestine. Des experts en affaires arabes qui conseillaient Ben Gourion ont douté des rapports de l’espion, mais un autre expert sur le sujet, le représentant de l’Agence juive Eliahu Sasson, qui arrivait à New York venant de Paris à la vieille des discussions à l’ONU sur la partition, a mis en garde sur le fait que ces activités étaient coordonnées avec les Britanniques.
Dans les deux semaines suivantes, Ben Gourion a placé le Yishouv en état d’alerte ; des forces ont été mobilisées et envoyées en Galilée, et les colonies juives ont été fortifiées. Certains historiens ont considéré cela comme une réaction excessive et un signe de panique, tandis que d’autres l’ont vu comme un simple exercice militaire visant à mettre en garde les Britanniques. Mais si nous tenons compte des informations obtenues par les Français de leur source syrienne sur la collaboration rapprochée entre Sulh et Clayton, qu’ils avaient certainement transmises à Ben Gourion ou à la Haganah, la réaction de Ben Gourion est plus facilement compréhensible.
Fin 1947, et au cours des premiers mois de 1948, les Français ont continué à envoyer des rapports sur la collaboration de Sulh avec Clayton, dans certains cas via Morris Fischer, un officier des renseignements du Yishouv, qui avait servi dans les forces de la France Libre en Syrie et au Liban jusqu’en 1945, et a ensuite été nommé comme représentant- de l’Agence Juive à Paris. (Il est devenu le premier ambassadeur de l’état naissant Israël en France). Par exemple, le 13 janvier, Fischer a rapporté que Clayton avait conclu un accord secret avec Sulh sur le retrait des forces britanniques de Galilée et de Haifa, pour donner à l’Arab Army of Salvation la possibilité d’agir librement.
Ces exemples, et d’autres non cités, ne constituent pas par eux même des preuves indéfectibles que la France a partagé des informations collectées de documents syriens avec les Israéliens. Néanmoins, si nous prenons en compte l’accord secret anglo -syrien, l’intense hostilité française à l’égard des Britanniques au lendemain de leur expulsion de Syrie et du Liban, et la collaboration rapprochée entre la France et le mouvement sioniste pendant les années 1945-48, cette possibilité semble raisonnable. De toute façon, les documents syriens découverts jusqu’au maintenant dans les archives françaises obligeront les historiens a réévaluer la politique britannique post- guerre au Moyen Orient en général et en Palestine en particulier.