trois d’entre eux sont de Jérusalem mais ont le malheur de travailler à Ramallah (15km de chez eux). Et oui, le malheur car depuis trois semaines, malgré une situation internationale qui semble s’améliorer un peu, ici, c’est de pire en pire : les checks sont fermés, et chaque matin depuis trois semaines, mes collègues courent d’un check à l’autre pour tenter d’en trouver un ouvert. Ils finissent en général par passer par la montagne : qq km de marche à travers les oliviers en se cachant des jeeps, t out ça pour venir enseigner...l’une est prof de math pour les plus petits, un autre prof de langue arabe et le troisième prof d’histoire....Activité hautement subversive, évidemment.. ; J’ai assisté à un cours d’histoire dispensé aux élèves de Première : Holocauste....Ben oui....
Bref, tout va bien et nulle part je ne vois d’amélioration. Bien sûr, je dois faire preuve de mauvaise volonté.... Il y a une dizaine de jours, je suis allée rendre visite, le soir, à des amis qui habitent à un quart d’heure à pied de chez moi. Dîner, puis thé, puis café....Je les quitte finalement assez tard et décide, par pure paresse, de prendre un taxi. Il est environ 23H30. Une jeep. Des soldats. l’un d’eux hurle des trucs en hébreu (langue que décidément j’ai de moins en moins envie d’apprendre, moi...Au fait, est-ce seulement une langue que l’on crie ou peut-on aussi la parler ?). Le chauffeur s’arrête, répond en arabe, langue que ne comprend pas le soldat...Pour ajouter à la cacophonie ambiante, je choisis de m’exprimer en français et je tends mon beau passeport de la bonne couleur...Evidemment, ça aide. Faut quand même ouvrir le coffre, au cas où....au cas où je ne sais pas quoi, ça me dépasse, les mesures de sécurité israéliennes. Moteur coupé, coffre fouillé. On risque une chose, banale ici depuis un an : la confiscation des clés de la voiture. Il semble que ce soit le jeu préféré des vaillants soldats de Tsahal : on prend les clés, on les garde et on part, ou, variante, on les jette (caniveau, poubelle, etc....). Bon, evidemment, sont pas idiots, hein, les Palestiniens...Ils ont tous plusieurs trousseaux sur eux....Serrurier, c’est une pr ofession porteuse en Cisjordanie occupée (et non pas "disputée", ne vous en déplaise, Monsieur l’Ambassadeur d’Israel en France). On a de la chance, on repart, contents. Dix mètres plus loin, un autre taxi immobilisé, un autre soldat. Et puis un Palestinien, le chauffeur. Agenouillé devant la voiture, les mains liées dans le dos, les yeux bandés, un canon de fusil entre les omoplates...
Depuis 10 jours, à chaque fois que je passe par là, je pense à ce jeune homme. Tout va bien donc. Le soleil décline lentement à l’horizon. Je vais faire des courses au supermarché du coin. Des gosses dans la rue : -"fi jaish ! fi jaish ! (il y a l’armée ! il y a l’armée !)" Je souris. Quelle imagination ils ont ces petits ! C’est vrai, quoi, c’est tranquille, en ce moment. demain, Sharm el Sheikh et après-demain, Aqaba. (Soi dit en passant, ils prennent pas les lieux les plus dégueulasses de la planète pour leurs sommets, hein...). Je rentre. Message sur mon portable : une amie m’annonce qu’elle ne viendra pas ce soir comme prévu. Le check de Qalandia (qui permet d’entrer ou de sortir de Ramallah) est totalement bouclé et les soldats disent qu’il y a couvre-feu à Ramallah. Ha bon ??????!!!! Pas au courant, moi ...!!! Coups de fil tous azimuts pour savoir ce qui se passe : ben oui, apparemment de jeeps partouilleraient à Ramallah en hurlant leur fameux "mamnou’ attajawwal !"(couvre-feu !). -"mais pourquoi il y a couvre-feu ? Qu’est-ce qui se passe ? -ben rien, demain c’est le sommet de Sharm et ils ont peur des attentats, alorson est sous couvre-feu." Les rues se vident peu à peu. Le couvre-feu est confirmé. Finalement, ils n’ont pas tant d’imagination que ça, ces petits... A 19h, je mets TV5 pour écouter le journal. C’est bien, TV5, ça permet de rigoler...Le journaliste nous annonce en effet que, pour préparer Aqaba et son sommet, Israel a décidé d’alléger son bouclage des territoires !! J’ai avalé mon coca de travers, et zappé sur Al Jazireh qui annonce le couvre-feu total sur la région de Ramallah. C’est pas marrant Al Jazireh... Une copine de Naplouse a écouté le même journal : "c’est à se demander s’ils ont des correspondants sur place" m’a-t-elle dit au téléphone... mardi 3 juin 2003. 6h45. Le réveil sonne. Oui, mais dois-je me lever ? Couvre-feu ou pas ? Boulot ou pas ? J’ouvre un oeil et dresse les deux oreilles. Y-a-t-il des voitures dans la rue ? Rien.....Pas un bruit. Pas un moteur. Couvre-feu garanti à 80%. Faut quand même s’assurer des 20% restants, conscience professionnelle oblige. Je passe des coups de fil : -"Rendors-toi. Couvre-feu...." Couvre-feu à 95%... Un bruit dans la rue. Une jeep. Un haut-parleur :"ruhu al beit !!"(rentrez chez vous !) C’est dit si gentiment....et cette fois couvre-feu à 100% !! Allez, je retourne sous la couette...!
Dans l’après-midi, je dois me rendre chez des amis à 10 minutes à pied pour chercher un fax. Toujours couvre-feu. Personne dans les rues. Pas une voiture. Je commence à avoir une expérience certaine en matière de couvre-feu. Pour autant, je dois avouer que je me sens assez "démunie" quand , tout d’un coup, je me retrouve seule à côté de 2 jeeps, avec au loin une sirène d’ambulance qui déchire le silence...Grâce à Dieu, les soldats ne me disent rien....Oufff.... "Les israéliens parlent de paix en anglais et font la guerre en hébreu". C’est une phrase que j’entends souvent ici. Et que je comprends de mieux en mieux. "Paix" ou "feuille de route" à Aqaba. "Couvre-feu" et "incursion nocturne" à Ramallah et Naplouse. Aujourd’hui c’est Sharm. Demain Aqaba. Et nous, on est toujours sous couvre-feu demain ? C’est bête parce que du coup, ca décale tous les examens : finalement non, je ne serai pas en vacances jeudi.