La diplomatie française a été victime, à Bruxelles, de l’entreprise de séduction britannique auprès de Donald Trump. C’est ainsi qu’on analysait, à Paris, l’échec subi lundi 16 janvier lors du conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne. Au lendemain de la conférence sur le Proche-Orient, la France souhaitait que les ministres adoptent des conclusions faisant référence à la déclaration finale de dimanche. Londres, appuyé par plusieurs Etats membres de l’UE, a empêché cette validation formelle. « C’est une déroute pour Paris », se réjouissait, lundi soir, un éminent diplomate israélien.
A Bruxelles, la diplomatie française ne cachait pas sa colère. « La Grande-Bretagne balaie, en réalité, ce qui était la ligne suivie par Londres depuis vingt ans », fulminait l’un de ses représentants. « La Grande-Bretagne se tient, pour la première fois, à l’écart d’une décision sur ce sujet. C’est un danger pour notre nécessaire solidarité », expliquait de son côté le ministre luxembourgeois Jean Asselborn.
« Question de timing »
La France avait poussé pour que les ministres des affaires étrangères adoptent des conclusions évoquant « l’unité » de la communauté internationale en faveur d’une solution politique négociée en vue de la coexistence entre « deux Etats, Israël et la Palestine, vivant côte à côte, en paix et en sécurité ». Le projet de conclusion évoquait aussi l’avantage, pour les deux parties, d’un accord de paix qui entraînerait un effort « sans précédent » des Européens pour assurer des bénéfices politiques, économiques et sécuritaires aux Israéliens et aux Palestiniens.
Le ministre britannique Boris Johnson, appuyé par ses collègues hongrois, croate, bulgare et tchèque, a refusé ce texte. La haute représentante pour la politique étrangère, Federica Mogherini, a donc décidé de ne pas inscrire formellement ce point à l’ordre du jour. Lors de sa conférence de presse, elle a évoqué un « échange informel » entre les ministres et de simples « rumeurs » de division entre les Vingt-Huit. Son entourage tentait de minimiser à tout prix la portée de cet épisode : « Ce n’est pas un drame, juste une question de timing. La position de l’Union sera réaffirmée plus tard et énoncera bel et bien la nécessité d’une solution négociée, avec deux Etats », soulignait une source du Service d’action extérieure, critiquant de manière à peine voilée « l’entêtement » de Paris.
« Il y avait un risque que ce texte soit perçu comme une réaction européenne à des positionnements outre-Atlantique », commente, dans un euphémisme, une autre source à Bruxelles. En somme, les positions favorables à la droite israélienne esquissées par la future administration Trump ont poussé les Britanniques, et d’autres dans leur sillage, à ne pas soutenir publiquement le communiqué de Paris, dont tous les points font pourtant l’objet d’un consensus international, de longue date.
« Virage à 180 degrés »
« Il y a eu un effet d’aubaine pour certains Etats membres qui se sont engouffrés sournoisement dans la brèche ouverte par les Britanniques, décrypte un diplomate français. Mais le plus incroyable est le virage à 180 degrés de Londres, qui prend en otage la politique étrangère de l’Union. » Le « 180 degrés » est réel. Car, à la mi-décembre, la Grande-Bretagne et l’Egypte ont œuvré en secret au projet de résolution 2334 au Conseil de sécurité de l’ONU, condamnant la colonisation israélienne en Cisjordanie. Londres a voté en faveur du texte, le 23 décembre 2016. La résolution a été adoptée, à la fureur d’Israël et sous les critiques de Donald Trump, grâce à l’abstention des Etats-Unis.
Puis, la tonalité du gouvernement de Theresa May a radicalement changé. Le 29 décembre, la première ministre conservatrice a pris ses distances de façon inédite avec le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, qui avait fortement critiqué dans un discours la dérive de la droite israélienne et le développement de la colonisation. Enfin, Londres a revendiqué un statut de simple observateur à la conférence de Paris et n’a pas signé sa déclaration finale, seule parmi plus de 70 participants. La Grande-Bretagne avait envoyé une délégation de faible rang protocolaire. Le pari du gouvernement May semble identique à celui d’Israël : « Le monde de demain sera différent, et il est très proche », a résumé Benyamin Nétanyahou, dimanche, lors du conseil des ministres, en référence à la très prochaine entrée en fonctions de Donald Trump.