Ces manifestants en sont venus aux mains avec la police antiémeute de l’AP, et une dizaine d’entre eux, y compris des journalistes, ont été arrêtés. Cette manifestation s’inscrit dans la suite d’une série de « coups de gueule » menés depuis dimanche contre la politique menée par l’AP dans la bande de Gaza. Elle y a imposé, en plus du blocus établi par Israël, des sanctions économiques. Les salaires de milliers de fonctionnaires travaillant dans la bande de Gaza ont été réduits de 30 %. Certains n’ont pas été payés depuis plusieurs mois. Sans oublier une situation qui se dégrade aussi à cause des guerres et des pénuries d’eau et d’électricité. Mahmoud Abbas est donc dans une situation qui lui échappe totalement, même au sein de son propre camp. Le point sur la situation avec Stéphanie Latte Abdallah, chercheuse au CNRS et CERI de Sciences Po Paris, et spécialiste de la question palestinienne.
Pourquoi les Palestiniens de Cisjordanie manifestent-ils en soutien à la bande de Gaza ?
Depuis le début de la grande « marche du retour », le 30 mars dernier, on avait vu relativement peu de mobilisation en Cisjordanie. Il y avait des confrontations mais pas vraiment de manifestations populaires. Mais ce qu’on peut constater, c’est qu’il y a une population cisjordanienne très sensible à ce qui se passe dans la bande de Gaza depuis quelques mois, en plus du blocus en place depuis 11 ans maintenant et à la question des divisions intrapalestiniennes. Et au travers de ses sanctions sur la bande de Gaza, l’Autorité palestinienne participe d’une certaine manière à ce blocus. L’objectif de l’AP serait de faire pression sur le Hamas pour reprendre le contrôle de la bande de Gaza qu’elle a perdu en 2007.
La société civile est aussi très opposée à la manière dont l’Autorité palestinienne gère la relation avec Israël. Il y a le sentiment que l’AP ne travaille pas à l’autodétermination mais se comporte plutôt comme un « sous-traitant de l’occupation », comme on l’a entendu dans les manifestations. Il faut également ajouter le déficit démocratique palestinien qui, sans élections, laisse craindre un certain autoritarisme de la part de l’AP. Mais il y a également des partis politiques, comme le Hamas lui-même, qui participent à ces manifestations et qui, en plus des mouvements de jeunesse, appellent à la mobilisation et à l’unité pour arrêter le blocus et organiser une résistance face à cette situation.
Y aurait-il une influence étrangère dans cette mobilisation ?
Je ne crois pas qu’on puisse penser à une manipulation venant de l’extérieur ou même de l’Iran, proche du Hamas, dans ce contexte. Qu’il y ait des intérêts convergents, certes. Mais l’intégralité du mouvement ne vient pas de cela. Il vient de l’incapacité de l’AP à gérer la situation à laquelle elle est confrontée. Par ailleurs, en s’attaquant au Hamas par ses mesures, elle s’est finalement attaquée à la population palestinienne elle-même et est allée à l’encontre de son discours qui se veut national et sur l’unification de la société palestinienne. Et contrairement aux attentes du Fateh, le Hamas sort quelque peu renforcé de ces sanctions et peut montrer à la population l’incompétence de ses dirigeants, et ce même si le Hamas est aussi extrêmement décrié dans la bande de Gaza. D’ailleurs, ce que vit l’AP en ce moment, le Hamas le vit aussi.
Ces manifestations pourraient-elles être la « goutte d’eau qui fait déborder le vase » pour un Mahmoud Abbas déjà très affaibli politiquement ?
C’est difficile à dire. Qu’on le veuille ou non, sa carrière politique est déjà terminée. Il est vieux, malade et n’arrive pas à gérer une situation. Il continue également de suivre aveuglément la ligne qu’il s’est fixée. Il se sent fragilisé, ce qui explique la violence des répressions des manifestations. Son état politique et médical est devenu tellement fragile qu’on a déjà pensé à « l’après-Abbas » et à celui qui pourrait le remplacer. Mais de là à dire que cet événement est l’épisode final de sa carrière politique, on ne peut pas encore le savoir car on ne sait pas comment la situation va évoluer et si les manifestations vont perdurer.