Amin :
Que pensez-vous des élections présidentielles palestiniennes ?
N. Hawatmeh :
Globalement, ce qui s’est passé est un pas en avant positif, un pas vers la démocratie et le pluralisme qu’a accompli le système politique palestinien. Nous devons appliquer les mêmes procédures pour les élections municipales et l’assemblée législative actuelle qui depuis le 9 mars 1999 aurait du être renouvelée par des élections.
L’Autorité Palestinienne devrait créer des bureaux de vote pour les Palestiniens de la diaspora, de manière à bâtir des institutions représentant réellement tous les Palestiniens et coupant avec l’unilatéralisme et la corruption.
Amin :
Considérez-vous comme démocratiques les élections municipales qui ont eu lieu dans certaines régions de Palestine où 55% des électeurs en règle n’ont pas pu voter ?
N H : Bien sûr, ce pourcentage élevé de Palestiniens qui n’ont pas participé entache la légitimité des élections mais voyons les choses autrement : quelle alternative avons-nous ? Boycotter les élections revient à être « sans opinion » et augmente l’unilatéralisme de l’Autorité et la corruption.
Nous avons participé à ces élections parce qu’elles sont importantes pour réformer le système politique palestinien. C’est une bataille que nous devons mener jusqu’au bout. (élections locales, législatives, pour le conseil national...)
Amin : Votre candidat Taisir Khaled a obtenu des résultats « modestes » ce qui peut avoir un effet sur les autres élections. Qu’en pensez-vous ?
N H : Notre candidat, Taisir Khaled a obtenu beaucoup moins que ce que nous attendions. Nos estimations n’étaient pas basées sur des jugements personnels mais sur les efforts déployés pendant la campagne électorale. Bien sûr, nous réexaminons cette expérience pour tirer bénéfice de nos erreurs pour les futures élections. Notre candidat a été classé troisième sur sept candidats en lice .Quand à notre rôle en tant que Front Démocratique, nous travaillons au sein du peuple palestinien dans le pays et à l’étranger à soutenir le combat de notre peuple et les sacrifices de notre nation.
Amin : Voulez- vous dire que vous êtes tributaire en tant que « leader » et en tant que parti de votre dimension historique ?
N H : Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Je désapprouve l’expression « parti historique « ou leader historique ». Un « leader » doit toujours apporter du nouveau et quand il ne le peut plus, il devrait démissionner et laisser la place aux autres. Tout parti qui ne remplit pas ses obligations disparaîtra et deviendra « historique ». C’est pourquoi , nous, au FDLP sommes en lien avec la réalité, nous savons ce que nous avons à faire. Je vais vous donner un exemple.
En 1996, les élections ne comportaient que des slogans, pas de programmes. Cela a failli se reproduire cette fois-ci. Avant que Taisir Khaled, notre candidat soit choisi, il n’y avait pas vraiment de programmes clairs. Abou Mazen a dit en hommage au défunt président Yasser Arafat qu’il n’avait pas de progrmme et qu’il dépendait de la « volonté de Yasser Arafat ». Nous pouvons donc dire affirmer que notre programme a contraint les autres candidats à établir leurs propres programmes. C’est le début de notre chemin contre le monolithisme et pour la démocratie en Palestine et à l’intérieur de l’OLP.
Amin : Mais les résultats n’ont pas fait avancer les partis de gauche en Palestine.
N H : Vous revenez sur la même question : pouvons-nous prendre les résultats des élections présidentielles comme mesure de l’influence de chaque parti ? Pour ce faire, il faut que l’élection ait été juste et pour savoir si elle l’a été ou non, il faut répondre à la question suivante : « Pourquoi un très grand nombre d’employés du comité électoral ont-ils démissionné ? Ils ont dit qu’ils démissionnaient suite à des pressions et des menaces de la part de personnalités officielles et de responsables de la sécurité. Le Dr. Al Jarbawi a démissionné avant la tenue des élections parce qu’il avait vu des irrégularités et des violations de la loi.
Amin : Pensez-vous que les élections n’ont pas été justes ?
N H : Des membres du comité électoral ont dit qu’il y avait eu plusieurs violations et plusieurs organisations responsables du déroulement des élections ont dit la même chose. Les faits le prouvent : l’extension inexpliquée des horaires de vote et le fait que 700 000 habitants ont voté par rapport au registre d’état civil. Ils ont fait beaucoup d’efforts pour utiliser les registres d’état civil en plus des registres électoraux. Ils ont donc utilisé les suffrages des gens qui ont voté d’après les listes d’état civil en plus de ceux qui ont voté d’après les listes électorales. C’est absolument évident. Il nous faut réexaminer tout cela pour de futures élections démocratiques.
Nous avons demandé à Abou Mazen de former un gouvernement de coalition, et aussi un comité électoral composé des différents mouvements palestiniens et de personnalités indépendantes.
Amin : Quelles relations allez-vous donc avoir avec Abou Mazen alors que vous êtes sceptique sur l’honnêteté de son élection ?
N H : Nous laissons des comités spécialisés enquêter sur ce qui s’est passé pendant l’élection et nous respecterons leurs décisions. Nous voulons préserver l’unité nationale, nous soutiendrons donc Abou Mazen aussi longtemps qu’il restera fidèle aux intérêts palestiniens.
Amin : Quels sont-ils ces intérêts dont vous exigez la défense ?
N H : Notre droit à résister, l’application des résolutions de la communauté internationale, notre droit à un état palestinien indépendant, le droit au retour des réfugiés palestiniens conformément à la résolution 194 du Conseil de Sécurité.
Amin : L’opposition est-elle unie derrière les principes que vous venez d’énoncer ?
N H : Qui appelez-vous opposition ?
Amin : Vous, les partis de gauche, le Hamas, le Jihad islamique et d’autres groupes.
N H : J’ai répondu à votre question par une autre question parce qu’elle était mauvaise. Nous ne sommes pas dans une situation où il y a un pouvoir et une opposition, nous sommes dans un processus de libération. Nous n’avons pas encore obtenu notre indépendance. A ce stade, l’unité est nécessaire pour faire face à l’occupation, à ses volontés d’expansion. Nous ne pouvons pas nous qualifier d’opposition, nous sommes une partie importante du processus de libération. Nous sommes frères par le sang, frères dans la prise de décision.
Amin : Y a-t-il des gens qui craignent que la direction unitaire remplace l’OLP et d’autres institutions légales ?
N H : Nous avons dit que la direction unitaire ne remplace pas l ‘OLP, c’est un cadre qui renforce les institutions de l’OLP et la rend représentative de tous les mouvements palestiniens.
Amin : Pensez-vous qu’Abou Mazen va réussir en tant que Chef de l’OLP alors qu’il a échoué comme premier ministre ?
N H : Cela dépend de son programme politique. Il a dit qu’il négocierait sans conditions préalables. Nous croyons que les droits légitimes des Palestiniens ne sont pas des conditions préalables mais plutôt la base de toute négociation. Son programme de réforme a besoin d’actes, pas de paroles.
Amin : Mais Abou Mazen a besoin d’une trêve, d’une Hudna pour convaincre les Israéliens de revenir aux négociations.
N H : Avant, tous les mouvements étaient d’accord pour une Hudna et c’est Sharon qui l’a fait tomber en la considérant comme un problème palestinien interne et en poursuivant sa politique d’assassinats, de démolition de maisons, d’arrestations, d’invasions.
Amin:Pensez-vous qu’Abou Mazen va réussir à convaincre les factions armées d’accepter la trêve ?
N H : Il faut d’abord qu’il garantisse l’accord des Israéliens pour qu’il y ait une Hudna mutuelle.
Amin:Est-ce que vous ne placez pas la charrue avant les bœufs ?
N H : Non, je place les bœufs avant la charrue. Les opérations menées par la résistance sont des représailles aux crimes militaires incessants. Les Palestiniens avaient annoncé une Hudna le 26 juin 2003 et c’est Sharon qui l’a rejetée et y a mis fin.
Amin : Est-ce que vous pensez que le Fatah est uni derrière Abou Mazen ?
N H : Je ne répondrai pas à cela. Abou Mazen a beaucoup de problèmes qui l’attendent, la plupart d’ordre interne.
Amin : Quel est l’avenir de l’OLP et son rôle après la mort d’Arafat ?
N H : L’Organisation de Libération de la Palestine a été et est toujours le représentant du peuple palestinien. C’est là que se recrée l’identité palestinienne, c’est là que sont les Palestiniens après des dizaines d’années de défaites arabes et palestiniennes après la guerre de 1948.
Le rôle de l’OLP dans la reconstruction d’une coalition nationale : il faut que l’autorité palestinienne revoie sa politique unilatérale et que les frères du Hamas et du Jihad prennent leur part dans un programme politique d’union.
Maintenant qu’ils ont annoncé qu’ils étaient prêts à accepter un état palestinien dans les frontières de 1967, le seul moyen de créer une large coalition nationale est de créer une direction qui inclue tous les mouvements et toutes les institutions. L’OLP est reconnue au niveau des pays arabes et au niveau international. C’est la plus grande réussite des Palestiniens .
Amin : Et l’Intifada ? Que pensez-vous des appels d’Abou Mazen pour qu’elle soit désarmée comme préalable à la reprise du processus politique ?
N H : Israël veut placer la cause palestinienne dans des conditions qui ne correspondent pas au droit international. Il y a une incompréhension de ce qu ‘est l’Intifada et des termes extrêmement dangereux sont utilisés, par exemple « militarisation de l’Intifada ». Cela fait croire qu’il y a égalité entre les capacités limitées de la résistance et la puissance militaire massive d’Israël. Il s’agit d’une Intifada nationale, de gens qui subissent l’occupation et toutes sortes de violations face à une des armées les plus puissantes qui soit et qui occupe leur terre.
L’Intifada est un projet stratégique pour reconstruire la formule et le processus politique. Les accords d’ Oslo ne traitaient la cause palestinienne que partiellement. Tout le processus de paix devrait être reconstruit sur des bases justes pour mener des négociations qui conduiront au retour des droits palestiniens : le droit à l’indépendance, le droit à établir un état palestinien indépendant dans les frontières de 1967 avec Jérusalem comme capitale, le droit au retour des réfugiés palestiniens. Les négociateurs palestiniens devraient s’engager sur ces principes et conduire les négociations dans l’intérêt du peuple palestinien.
L’Intifada Al Aqsa a réussi à créer une nouvelle réalité, c’est pourquoi nous la considérons comme un projet stratégique. Elle a réussi à annuler les propositions Américano-israéliennes qui ne présentaient pas de solutions réelles à la cause palestinienne. Ces propositions ne visent qu’à accentuer la politique coloniale d’Israël dans les territoires palestiniens.
Nous pensons que l’Intifada va continuer parce que c’est le choix des Palestiniens et leur moyen de contrer des politiques partiales. Notre peuple a appris avec le temps qu’Israël assassine toujours les accords une fois qu’ils ont été obtenus ( voir les accords d’Oslo et les propositions américano- israéliennes), donc la résistance ne cédera pas à la partialité et l’ Intifada continuera, unie avec un programme national unifié pour ne pas gâcher l’occasion, comme cela a eu lieu dans le passé, de profiter des victoires de l’Intifada