Sous les décombres des quelque 18000 habitations détruites dans la bande de Gaza cet été par Israël, des milliers de bombes non explosées dorment encore. L’ONG Handicap International tire la sonnette d’alarme et mène depuis début janvier une campagne de sensibilisation aux dangers que représentent ces engins de mort, soutenue financièrement par le Luxembourg. Sans un accompagnement professionnel auprès des habitants pour évacuer les gravats de leurs maisons – 60 000 se trouvent encore dans des camps provisoires – de nombreux accidents mortels sont à craindre à mesure que la reconstruction progresse. Six mois après les bombardements israéliens, les déblaiements commencent à peine, notamment en raison de l’embargo sur Gaza qui n’a toujours pas été levé par Israël (lire ci-dessous). Interview de Frédéric Maio, directeur du Programme d’action contre les mines à Handicap international.
Quels sont les principaux risques
aujourd’hui pour la population de Gaza ?
Frédéric Maio : Entre 70 000 et 80 000 obus se sont abattus sur Gaza cet été pendant l’offensive israélienne. Or, on sait qu’entre 10% et 15% des bombes larguées n’explosent pas au moment de l’impact. Cela signifie qu’au moins 7000 à 8000 engins se trouvent encore dans les décombres. Ils peuvent exploser à tout moment, surtout s’ils sont touchés ou déplacés. Aujourd’hui, les personnes qui se trouvent dans les camps de réfugiés de Nations Unies vont progressivement retourner dans leurs maisons endommagées ou détruites. Elles vont commencer à déblayer les décombres, avec de simples pelles et à mains nues, que ce soit pour récupérer des affaires ou reconstruire. Même si les Gazaouis connaissent désormais la dangerosité de ces engins, ils y a de grands risques qu’ils ne les aperçoivent pas parmi les amas de décombres. Quant aux enfants, ils sont attirés par ce genre d’engins et aiment jouer avec. Les parents risquent aussi de déclencher l’explosion en les éloignant pour protéger leurs enfants.
Dans votre rapport, vous dites que des professionnels devraient se charger de déblayer. Mais la population n’attend pas qu’ils interviennent...
Le matériel nécessaire à la construction n’est toujours pas arrivé à Gaza. Si un processus de reconstruction a bien été mis en place par les Nations Unies, avec l’aval des autorités israéliennes, il existe toujours de nombreux freins à l’entrée d’équipements dans l’enclave palestinienne. Ce processus n’a pas vraiment débuté pour l’instant. La population commence donc elle-même à déblayer avec ses propres moyens. Elle n’a pas le temps d’attendre que des experts s’en chargent. Si elle en connaît les dangers, elle veut aussi se remettre à vivre normalement.
Y a-t-il déjà eu des accidents avec ces obus non explosés ?
A ma connaissance, il y en a eu deux. Des policiers de Gaza qui étaient venus neutraliser l’un de ces engins ont été soufflés par l’explosion. L’accident a fait cinq victimes. Par ailleurs, plusieurs enfants qui jouaient avec un de ces engins ont été touchés.
L’attaque de cet été pourrait donc encore occasionner de nombreux morts et mutilés...
Oui, d’autant que la reconstruction finira bien par démarrer. Les pelles mécaniques buteront presque nécessairement sur de gros obus qui se trouvent cachés sous les gravats. Ce qui peut occasionner énormément de dégâts.
Quels sont les actions qu’Handicap international a entreprises pour éviter des accidents ?
Nous avons commencé à renforcer les messages de prévention à destination de la population. Nous allons aussi envoyer un expert en déminage pour appuyer le système qui se met en place au niveau local pour évacuer les décombres. Il aidera les équipes locales à l’identification et au marquage des engins et les mettra en contact avec les démineurs spécialisés de la police ou des agences de l’ONU sur place.
Ces explosifs retardent-ils la reconstruction de Gaza ?
Ils la retarderont sans aucun doute dès que les grands mouvements de déblaiement auront lieu. Quand il y aura une détonation, le travail devra nécessairement s’arrêter. Cela a été le cas lors de l’offensive israélienne de 2009.
L’intervention de la communauté internationale est-elle aujourd’hui suffisante pour déminer Gaza et éviter les accidents ?
Il y a très peu d’équipes de déminage sur place. Seules celles des Nations Unies répondent présent, soutenues par notre expert qui sera dépêché dans les prochains jours.
Nous espérons que le fait qu’Handicap international soit là pour sécuriser les déblaiements et témoigner encouragera les institutions internationales et les ONG spécialisées à œuvrer davantage en ce sens. I
Du 7 juillet au 26 août, l’opération « Bordure protectrice » lancée par Israël a aussi détruit 17 des 32 hôpitaux de Gaza, 45 sur 97 de ses centres de santé primaires, 140 écoles et 548 commerces et ateliers, selon des estimations des Nations Unies.
Les évêques dénoncent le blocus israélien
La poursuite de l’embargo par Israël « est un obstacle terrible à la reconstruction et alimente le désespoir qui mine l’aspiration légitime des Israéliens de vivre en sécurité », écrivait hier la Coordination des Conférences épiscopales pour le soutien de l’Eglise en Terre sainte, dans un communiqué publié à Jérusalem. Des dizaines de milliers de familles de Gaza ne disposent pas même d’un logement décent. Dans cette période de froid glacial, au moins deux enfants sont morts par hypothermie, dénoncent-ils, et le blocus crée « des niveaux intolérables de chômage et beaucoup de gens glissent vers la pauvreté la plus extrême ».
Malgré la dévastation, les scènes terribles de destruction et la peur d’une autre guerre, « l’espérance existe encore et toujours à Gaza... Nous avons vu des familles reconstruire avec obstination leur vie. Nous avons vu une petite communauté chrétienne faire preuve d’une foi immense. Nous avons admiré la ténacité de nombreux volontaires », témoignent aussi les évêques.
Jacques Berset/Apic