L’arrestation et l’interrogatoire par le service de sécurité du Shin Bet du journaliste Peter Beinart au sujet de ses opinions et activités politiques peut avoir été qualifié d’« erreur de jugement », il intervient néanmoins tout de suite après plusieurs incidents semblables. La semaine dernière, la militante Simone Zimmerman a été retenue à la frontière israélo-égyptienne par le Shin Bet [1] et il lui a été demandé ce qu’elle pensait du premier ministre et ce qu’il en était de sa participation à des manifestations en Cisjordanie.
Fin juillet, l’écrivain Moriel Rothman-Zecher, citoyen israélien vivant à l’étranger, a été arrêté à l’Aéroport Ben-Gourion par le Shin Bet et il a été interrogé sur son implication dans les associations de gauche, quelques semaines seulement après qu’un militant juif partisan du BDS ait été carrément interdit d’entrée.
La pratique des agents de la surveillance des frontières arrêtant des étrangers pour vérifier qu’ils ne représentent aucun danger pour le pays, et parfois les expulsant sans explication, n’est pas nouvelle. Ce qui est nouveau, et qui a soulevé des inquiétudes, est ce qui semble être une extension de cette définition, de la part du Shin Bet se servant des frontières du pays pour contraindre à la fois les Israéliens et les étrangers à participer à des soi-disant entretiens d’avertissement qui sont en partie un interrogatoire et en partie un avertissement – sans préciser que ces discussions ne sont pas obligatoires.
Dan Yakir, directeur juridique de l’Association pour les Droits Civiques en Israël, déclare qu’il est essentiel à la fois pour les Israéliens et pour les étrangers qui sont arrêtés de comprendre ce qu’ils doivent faire et ce qu’ils peuvent refuser.
Que faites-vous si vous êtes israélien ou si vous avez une double nationalité ?
Tout citoyen israélien a le droit d’entrer dans le pays, indique Yakir. Les inspecteurs de la Surveillance des frontières ne sont pas autorisés à arrêter des Israéliens à la frontière et de les empêcher d’entrer.
Il souligne que les autorités n’ont nullement le droit de conserver le passeport des citoyens revenant en Israël comme moyen de faire pression sur eux pour qu’ils acceptent un « entretien d’avertissement » avec le Shin Bet.
« Une telle action est sans valeur et illégale », déclare Yakir. « Si les forces de l’ordre veulent enquêter sur un citoyen qui est suspecté d’une infraction, ils sont habilités à le faire – mais ils ne sont pas habilités à différer l’entrée du citoyen dans le pays afin de le faire.”
Ainsi que Yakir l’explique, la Haute Cour a décidé en 2017 que, avant que le Shin Bet ne puisse faire asseoir un citoyen israélien pour un « entretien d’avertissement », cette personne doit s’être vue remettre une convocation qui spécifie que sa coopération est volontaire. Donc, un guet-apens à l’aéroport conçu pour soutirer des informations et pour avertir les gens de ne pas provoquer de problèmes est totalement interdit.
“Cela signifie, que si vous êtes un citoyen israélien à qui l’on demande d’attendre au guichet d’un employé de la surveillance des frontières, en différant votre entrée sans donner d’explication, votre arrestation est illégale,” déclare Yakir. “Un Israélien dans une telle situation doit appeler un avocat pour lui demander d’intervenir.”
Dans le cas de Rothman-Zecher, qui possède la citoyenneté israélienne, avant d’être interrogé sur son implication dans les organisations contre l’occupation, il aurait dû être informé qu’ill n’était pas dans l’obligation de répondre à de telles questions, dit Yakir. Et parce qu’on ne lui pas signifié préalablement de convocation l’informant qu’il serait interrogé, l’ensemble de la confrontation était une violation des injonctions de la Haute Cour.
Les autorités peuvent avoir dit que la conversation était un « avertissement général » et que Rothman-Zecher n’était pas suspecté d’infraction, mais “je suis sûr que personne ne s’est inquiété de lui dire qu’il n’était pas obligé de participer à l’entretien », a déclaré Yakir.
Que faites-vous, si vous êtes arrêté et que vous n’êtes pas citoyen (d’Israël) ?
Les règles sont différentes pour les ressortissants étrangers et pour les Israéliens, ajoute Yakir. Les ressortissants étrangers, aussi, doivent savoir, qu’il y a des limites auxquelles ils pourraient avoir à faire quand ils entrent dans le pays, ou à qui ils pourraient avoir à parler.
Conformément à la loi, remarque Yakir, « les agents de la surveillance des frontières peuvent retenir un ressortissant étranger s’il y a une raison de suspecter qu’il n’est pas habilité à entrer en Israël, s’il constitue une menace à la sécurité, ou s’il est un partisan du BDS » – le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions. C’est ce qui est arrivé à Ariel Gold, Américaine juive connue pour son travail sur les boycotts contre Israël en tant que partie du Code Pink [2], une association d’extrême-gauche pour la paix et la justice sociale.
Le soi-disant amendement sur le BDS à la Loi sur l’Entrée en Israël, adopté en 2017, interdit (d’entrée) tout non-citoyen (d’Israël) “qui sciemment lance un appel public au boycott d’Israël, qui, étant donné le contenu de l’appel et les circonstances dans lesquelles il a été lancé, a une possibilité raisonnable de conduire à l’imposition d’un boycott – si le lanceur était conscient de cette possibilité.”
La loi s’applique non seulement aux boycotts d’Israël, mais aussi aux boycotts de toute institution israélienne ou de “tout territoire sous son contrôle.”
S’ils sont emmenés à l’écart et arrêtés à l’entrée, les ressortissants étrangers doivent demander au fonctionnaire de dire pourquoi et de préciser quel service est responsable, déclare Yakir. S’ils sont emmenés pour être interrogés, ils doivent demander quel service pose les questions.
C’est pourquoi les personnes de la surveillance des frontières, dit-il, sont vraiment mandatés pour poser des questions aux non-citoyens (d’Israël) sur leur activité politique si elle est liée au BDS, mais le Shin Bet ne l’est pas.
Depuis l’adoption de l’amendement à la loi sur l’entrée, ceci entre dans la compétence du service des frontières parce que ceci peut aider les agents à déterminer si les activités des voyageurs correspondent au seuil d’interdiction d’entrée fondée sur l’interdiction du BDS.
Toutefois, « si le Shin Bet veut vous parler, vous n’êtes pas dans l’obligation de participer à l’entretien », déclare Yakir. « Si vous ne souhaitez pas le faire, vous devez appeler un avocat pour faciliter votre entrée. »
Les étrangers, dit-il, ne sont pas obligés de s’asseoir pour des « entretiens d’avertissement » afin d’entrer dans le pays.
Dans le cas de Zimmerman, l’origine de l’interrogatoire n’était pas claire. Elle a été interrogée par un agent des frontières qui recevait des instructions du Shin Bet par téléphone, en brouillant la distinction entre les deux services – l’un avec lequel elle était obligée de coopérer et l’un avec lequel elle ne l’était pas.
Beinart s’est résolu finalement à appeler un avocat – mais seulement après qu’il ait volontairement parlé avec le Shin Bet, même si son interrogateur, à ce qu’il dit, « n’a jamais présenté aucune base légale de mon arrestation. » Yakir aurait conseillé à Beinart d’appeler immédiatement un avocat.
Il déclare qu’il n’est pas surprenant que Beinart, Zimmerman et d’autres qui ont été arrêtés à la frontière, se soient assis et aient répondu aux questions du Shin Bet. La plupart des personnes qui n’ont rien fait de mal coopèrent instinctivement avec les autorités, dit Yakir, mais ils doivent savoir qu’ils ne sont pas dans l’obligation de le faire.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers