Les oliviers dans la Vallée de Tzurim semblent un peu détonner dans ce paysage. Tout d’abord, à cause du lieu où ils se trouvent, une zone qui est emprisonnée entre la grande route qui s’enfonce dans le ventre du Mont Scopus sur le chemin de Ma ‘ale Adumim d’un côté et de l’autre, les squelettes de maisons en construction et d’amas de terre et sur un troisième côté, entre les garages de Wadi Joz.
Il y a cinq ans, le ministre de l’intérieur du moment, Natan Sharansky, avait signé un ordre déclarant cette zone, un parc national. Mais on a besoin de beaucoup d’imagination pour percevoir que cet endroit, au milieu de ce paysage urbain et sordide de Jérusalem Est, est le parc dont parlaient les planificateurs. C’est une des raisons qui explique pourquoi ces oliviers détonnent. Mais il y a aussi une autre raison : les arbres sont trop « propres », trop policés comme s’ils étaient passés dans une machine à laver avant d’avoir été plantés...
Et en fait, il y a une bonne raison pour cela. « Il y a cinq ans, quand j’ai commencé à m’occuper de la Vallée de Tzurim, » dit Eviatar Cohen, responsable des parcs à Jérusalem Est, « il y avait quelques centaines d’oliviers et certains étaient dans un état de mort clinique. Ils étaient desséchés, la terre n’avait pas été labourée et était dure comme de la pierre. Nous avons acheté au moins un millier d’oliviers pour ici ».
Mais on dit que les arbres que vous avez reçus venaient d’ailleurs et avaient été déracinés pour laisser place à la Barrière de Séparation.
« Oui, c’est vrai. Nous avions reçu un petit nombre d’arbres du « Jewish National Fund » par le ministère de la défense. Puis on nous a dit qu’il y avait des arbres et on nous a demandé si nous étions prêts à les prendre et à les réhabiliter. Certains étaient desséchés et durs à sauver. Mais la plupart venaient de pépinières. C’était beaucoup de travail ».
« Un petit nombre », est une question relative. Une personne qui a jusqu’à récemment travaillé avec les autorités de protection de la nature et des parcs nationaux dans le district de Jérusalem, a cité un officiel supérieur de l’autorité qui lui a dit qu’ils allaient recevoir « quelques centaines » d’arbres venant de la route de la Barrière de Séparation. C’est en effet un petit nombre en comparaison des dizaines de milliers d’oliviers appartenant à des fermiers palestiniens qui ont été déracinés le long de la Barrière.
Selon le site web sur la « Barrière de sécurité » du Ministère de la Défense, dans la section nord de la Barrière seule entre Jénine et Qalqilya, environ 60.000 oliviers ont été déracinés [1].Les Palestiniens disent qu’il y en avait au moins le double. Le Ministère de la Défense a obligé les entrepreneurs qui construisaient la Barrière à transférer les arbres déracinés à leurs propriétaires palestiniens mais certains entrepreneurs n’ont pas pu résister à la tentation du prix du marché (environ 1.000 NIS (178 euros) par olivier) et ont préféré vendre les arbres volés.
Eviatar Cohen ne sait pas exactement de quelle façon ces arbres ont atteint le parc qu’il a fondé à Jérusalem Est pour lui donner un caractère de « paysage primitif », mais c’est pratiquement sûr qu’ils sont arrivés là sans le consentement de leurs propriétaires. Mais ce n’est pas juste une question de beauté ou même de moralité, le « paysage primitif » est devenu le centre d’une dispute politique ; au nom de ce paysage, le NPA (Nature and Parks Authority) veut maintenant empêcher les habitants de Isawiyah et de A-Tur (deux quartiers de Jérusalem Est) d’étendre leurs zones construites.
Le NPA maintient que cette décision est purement professionnelle venant d’un désir de sauver le dernier morceau de terre ouverte qui relie Jérusalem au désert de Judée. « En examinant la continuité historique de la description de Jérusalem et du désert...nous trouvons une continuité permanente entre la ville et le désert » écrit Cohen dans ses explications incluses dans la demande soumise la semaine dernière à une commission locale à Jérusalem afin de déclarer un parc national dans une région de 75 hectares sur les pentes Est du Mont Scopus entre Isawiyah au Nord et A-Tur au Sud, sur des terres appartenant principalement à des habitants des deux villages. « C’est du désert que sont venus les prophètes, les rebelles et les prédicateurs et c’est dans le désert que se sont enfouis les évadés et les rois ».
Mais les habitants de Isawiyah et de A-Tur ne sont pas impressionnés par les paroles sur les déserts et les prophètes ; ce qui intéresse le NPA et la municipalité de Jérusalem, disent-ils, c’est de nous empêcher de construire et de nous développer. Les parcs nationaux sont une des méthodes pour approfondir le contrôle juif sur Jérusalem Est.
Une région vierge
Pendant des années, les autorités ont déclaré que les Palestiniens de Jérusalem Est construisaient n’importe où, sans plans et sans autorisations. Les 12.000 habitants de Isawiyah ont décidé de faire selon les règles. Leurs options pour un développement physique sont extrêmement limitées. Au Nord, ils sont cernés par le quartier de french Hill, à l’ouest, par le campus du Mont Scopus de l’université hébraïque de Jérusalem et à l’Est, par la grande route menant à Ma’ale Adumim et Jéricho. Il y a environ deux ans, les habitants ont demandé à des architectes israéliens de l’association Bimkom [2] de les aider à préparer un nouveau plan majeur pour la partie Sud du village sur des terres appartenant à des habitants du village.
Les architectes de Bimkom ont dressé un plan d’expansion couvrant 66 hectares : 40 hectares de terres publiques et zones ouvertes, 22 hectares pour des logements qui seraient plus denses que ce qui est admis dans le village actuellement : des structures de 4 étages au lieu de celles de 2 étages qui sont actuellement permis par la municipalité...
Les habitants de Isawiyah et les architectes de Bimkom ont travaillé en coordination avec la municipalité de Jérusalem qui, selon les villageois et les architectes, était très contente du résultat. Tout allait bien et il semblait bien que Isawiyah avait la possibilité de devenir un des premiers endroits à Jérusalem Est où un plan majeur aurait été accepté et approuvé et par la municipalité et par les habitants. Il n’y aurait plus de bâtiments « sauvages », aucune saisie de terres.
Mais c’est alors que l’idée d’un parc national a tout à coup surgi. « L’ingénieur de la ville, Uri Sheetrit, nous a dit que la bonne direction pour le développement pour nous était vers le sud » dit Hani Issawi, un des organisateurs du village... « Mais tout à coup la municipalité ont informé les planificateurs que la NPA avait le projet d’établir un parc national sur nos terres et soudainement les ingénieurs de la ville ont changé et dit qu’ils soutenaient le plan de la NPA »...
La municipalité a dit qu’après que le désaccord soit apparu entre le plan de Bimkom et le projet du NPA « il a été demandé à l’ingénieur de la ville de déterminer les frontières qui seraient acceptées par les deux côtés ». Mais Issawi et Bimkom disent que qu’ils n’étaient pas d’accord pour accepter la ligne décidée par Sheetrit : « cette ligne est artificielle et n’a pas de logique » dit Issawi. Mais la NPA a reçu un soutien total de la municipalité...
En résumé, l’intention des habitants de Isawiyah et de Bimkom de soumettre un plan méthodique et autorisé pour la zone à pousser le NPA à proposer son propre plan qui bloquerait les projets de constructions arabes...
Un gardien de la nature zélé
« Eviatar Cohen est un vrai gardien de la nature, très zélé et très dévoué à la protection de la nature » dit une personne qui travaille avec lui...
Mais les déclarations d’Eviatar ne laissent aucun doute sur ses opinions politiques...En 2002, Cohen qui dirigeait le comité de sécurité dans la colonie d’Ofra a initié une décision pour interdire l’entrée des Palestiniens dans la colonie. « Les Arabes israéliens peuvent entrer après avoir été contrôlés mais les Arabes de Cisjordanie et de Jérusalem Est n’entreront jamais dans la colonie d’Ofra ... »
En 2001, il avait créé au moins deux avants postes illégaux à côté d’Ofra...Un soldat se souvient personnellement de lui : « C’est un extrémiste, un homme très rigide sur la sécurité. A ses yeux, tout berger qui s’approche de la barrière d’Ofra est potentiellement un espion. »
Mais Cohen maintient que son activité présente n’est pas motivée par la politique ou la sécurité...
Nouvelle mode
Mohammed Kaimeri de A-Tur, a rencontré Cohen dans le cours de ses activités lors de la rédaction du nouveau plan principal pour son quartier. En fait, A-Tur pourrait être plutôt décrit comme étant une ville : il y a 30.000 habitants et une surface de 230 hectares dont une large partie appartient à des monastères et des couvents. Après la guerre de 1967, 600 hectares avaient été confisqués pour construire la colonie (aujourd’hui une ville) de Ma’ale Adumim et encore récemment 20 hectares ont été confisqués pour construire la route de tunnel qui coupe à travers le Mont Scopus sur le chemin de Jéricho.
L’expansion de A-Tur est aussi limitée à une direction : le nord, vers Isawiyah mais à cause de la pente escarpée de la région, le plan de Kaimeri était de construire des structures publiques à cet endroit au lieu de logements. Il ne parle pas de relier la ville à Isawiyah ce qui dans tous les cas serait impossible à cause de la route et de la vallée.
La municipalité a au début été intéressée et a encouragé la planification dit Kaimeri. Mais on lui dit maintenant que l’idée est d’utiliser la terre pour un parc national. « C’est une nouvelle mode : des parcs nationaux dans la partie Est de la ville » dit sarcastiquement Kaimeri. La municipalité l’a envoyé rencontrer Eviatar Cohen qui a été compréhensif et a proposé un compromis. Mais les habitants de A-Tur ne veulent pas en entendre parler. C’est notre terre disent-ils, pourquoi devrions-nous l’abandonner ?
En effet, les habitants de Jérusalem Est sont plus que méfiants vis-à-vis de la ferveur israélienne pour établir des parcs nationaux dans leur arrière cour. Issawi se souvient par exemple du merveilleux terrain de jeux avec sa vue spectaculaire qui était au sommet de la colline près de Beit Hanina. Puis, il y a quelques années, des bulldozers sont arrivés et ont nivelé le sol juste avant l’établissement du quartier de Rekhes Shuafat (réservé pour seuls les juifs ultra orthodoxes).
Il note aussi qu’Israël a l’intention de construire une série d’hôtels sur le sommet des collines du désert en face de la tour d’observation de l’université hébraïque à l’intérieur du plan de construction E-1 qui a pour but de relier Ma’ale Adumim à Jérusalem (exactement au point où le NPA et la municipalité de Jérusalem veulent construire le parc national).
« J’ai dis à Eviatar que si le désert était si important pour lui, alors pourquoi ne s’oppose-t-il pas au projet de construction à E-1, Il a répondu que c’était pas son problème » dit Issawi. Peled du NPA dit que les autorités n’ont pas pour le moment de position en ce qui concerne la construction dans E-1. ...
L’association Bimkom estime qu’il y a une autre raison moins prosaïque, derrière l’utilisation de la méthode de parc national. Si la municipalité veut exproprier des terres pour une utilisation publique, elle doit payer une large compensation aux propriétaires. Le fait de déclarer ces terres parc national n’abroge pas les droits des propriétaires sur ces terres ; cela ne fait qu’interdire toute construction sur ces terres. La zone reste « libre de toute construction » et le NPA ne paie rien et n’est pas amené à se battre devant les tribunaux...
Objectif national
Peled et Cohen disent que le nouveau parc est la continuation géographique directe d’un parc qui avait été construit il y a cinq ans, le ‘Tzurim Valley National Park’, dans lequel les oliviers provenant de la Barrière de Séparation se trouvent maintenant.
C’est un territoire assez étroit entouré sur trois côtés par des habitations palestiniennes et sur le quatrième côté, par la grande route menant à Ma’aleh Adumim... Le NPA insiste et dit que c’est un vrai succès et que plein de gens viennent dans le parc, mais lors de cinq ou six visites ces deux derniers mois dans ce parc, le reporteur n’y a pas rencontré une seule personne...
La principale activité en ce moment est la recherche de trouvailles archéologiques en tamisant la terre que les autorités musulmanes avaient enlevé du Mont du Temple pour construire la mosquée sur le site connu sous le nom des ‘Ecuries de Salomon’...
L’établissement du parc national dans la Vallée Tzurim implique aussi des confrontations avec les Palestiniens, confrontations dans lesquelles Cohen a joué un rôle majeur. Selon l’avocat Noah Arsheed, le NPA a essayé d’incorporer le terrain de football de l’école Ibrahimiya (une des plus importantes écoles de Jérusalem Est) dans le parc.
L’école s’y est opposée ; le NPA a démonté la barrière autour du terrain de football ; l’école l’a reconstruite ; et le NPA a envoyé des gens au milieu de la nuit pour la démonter à nouveau. L’école a déposé une requête à la Haute cour de Justice. Avant la décision, Cohen est arrivé à l’école avec ses hommes et, une arme à la main, a empêché les parents des élèves de quitter l’école en voiture par l’entrée Ouest. Le NPA avait désigné cette zone en tant que parking du parc national. Le calme n’est revenu qu’au moment où la Haute Cour de Justice a émis sa décision en faveur de l’école. Aujourd’hui le parking est désert et les parents passent par cet endroit sans interruption.
Selon Cohen, la Vallée Tzurim fait partie de la « Voie de Jérusalem », qui commence sur les pentes du Mont Scopus et en passant par la Vallée Tzurim se connecte avec la Vallée Hinnom et le mur de la Vieille Ville de Jérusalem, poursuivant de là, jusqu’à la « Promenade » adjacente à Talpiot Est...
Un regard sur la carte montre que cette Voie de Jérusalem crée une sorte de couloir qui sépare les quartiers Est de Jérusalem Est tels que A-Tur et Ras al-Amud de la Vieille ville. Des constructions seront interdites dans le couloir qui sera soumis à une contrainte plus élevé et réservé pour des centaines de milliers d’Israéliens. Y a-t-il quelque chose de politique dans tout cela ? Cohen dit que non, mais un employé du NPA comprend le message...
« C’est un objectif national que d’avoir des juifs se baladant librement partout à Jérusalem ; l’Etat d’Israël est derrière nous dans ce projet » dit-il.
La bataille pour Jérusalem
Une personne ayant travaillé récemment pour le NPA a assisté à une causerie d’Eviatar Cohen appelé « la Bataille pour Jérusalem ». « J’étais sûr que nous entendrions un exposé historique sur les batailles autour de Jérusalem, mais il n’a parlé que des luttes contre les constructions arabes dans la ville. Eviatar a dit que les Palestiniens construisaient illégalement et délibérément dans le but de définir les frontières de Jérusalem et qu’Israël avait le droit et le devoir de lutter contre cela. C’est cela qu’il a appelé « la Bataille pour Jérusalem » et je ne pouvais pas comprendre ce que ce genre de conférence avait à faire avec le NPA ».
Le conseiller municipal Pepe Alalo (Meretz) est également certain que toute l’idée de parcs nationaux dans la partie orientale de la ville a pour but de bloquer les Palestiniens. « Lors d’une discussion avec la commission locale, j’ai vu que des zones appartenant à l’université hébraïque étaient également marquées mais qu’actuellement elles ne font pas partie du parc » dit Alalo. « J’ai demandé à un représentant du NPA pourquoi ces zones n’étaient pas inclues dans le parc et il m’a répondu que l’université ne veut pas les donner au parc car elle a l’intention de construire dans cet endroit dans le futur. C’était évident pour lui qu’il fallait prendre en compte la volonté de l’université mais pas celle des Palestiniens ».
Le NPA rejette cette critique. Cohen et Peled font remarquer qu’il y a aussi des parcs nationaux et des réserves de la nature dans la section ouest de la ville... Mais néanmoins, ils ont eut du mal à citer un exemple de parc national qui ait été proclamé dans la section urbaine de Jérusalem Ouest ces dernières années. La municipalité de Jérusalem nie aussi que des considérations comme la tentative pour empêcher une connexion entre Issawiya et A-Tur soient derrière son soutien pour le nouveau parc national....
Peled dit que « ce n’est pas un secret qu’il y a des constructions illégales à Jérusalem Est, c’est flagrant. Vous en voyez l’importance et cela nous dérange et nous préoccupe. Une personne appelle cela « la Bataille pour Jérusalem », l’autre dira que c’est pour préserver le poumon vert de la ville ».