Publié le 28 février 2019
Il est couché sur le canapé de la salle de séjour, près du réchaud à gaz, cherchant à réchauffer son corps brisé. Quand nous lui avons rendu visite cette semaine, il venait de revenir de l’hôpital et il était épuisé par le traitement par dialyse auquel il est soumis trois fois par semaine depuis 11 ans après que ses reins ont cessé de fonctionner, à la suite d’un grave diabète.
Avant cela, il y a 15 ans, il a commencé à perdre la vue, et depuis ces quelques dernières années il est complètement aveugle. Egalement, au cours des six dernières années, il a dû progressivement se faire amputer des orteils, opération après opération. Il a le visage cireux à cause de la dialyse.
Physiquement brisé, il est couché là, à peine capable de bouger. Il a besoin d’aide pour se lever ; il est incapable de faire quoi que ce soit tout seul. Tous les quelques mois, il va en Jordanie pour se faire poser un cathéter aux vaisseaux sanguins des jambes, lesquels se bouchent.
Donc oui, Munzer Mizhar, 47 ans, est un homme très malade. Malgré tout, la semaine derrière, cela n’a pas empêché des soldats israéliens de le bourrer de coups sans pitié, même après que les voisins les aient prévenus qu’il était malade. Sa femme non plus, témoin de l’agression, n’a pas été capable d’empêcher les violences envers son mari bien qu’elle ait crié qu’il était aveugle, aussi.
Rien n’y a fait. Les poings l’atteignaient au visage – les marques bleues sont toujours visibles, particulièrement sous ses yeux morts, maintenant rouge-sang. Il a aussi des blessures sur les épaules et les deux mains - à la suite de ses tentatives de parer l’agression brutale.
Tout cela est arrivé après 4 heures du matin, le 20 février, alors qu’il était au lit.
Technicien médical, Mizhar était employé dans un laboratoire appartenant à l’Autorité Palestinienne mais il a dû prendre précocement sa retraite à cause de la détérioration de son état de santé. Il parle bien l’anglais. Lui et sa femme Iman ont quatre fils, l’aîné de 18 ans et des triplés de 16 ans. Iman, qui a 45 ans, a le cancer, pour lequel elle est soignée à l’Hôpital Augusta-Victoria à Jérusalem-Est, et en Jordanie.
Son état de santé est bon. Elle s’est jointe à la conversation cette semaine chez eux mais elle est devenue pâle alors que l’échange se poursuivait et elle a dû plusieurs fois s’allonger, les yeux fermés, les larmes lui montaient aux yeux. Le traumatisme de la raclée infligée à son mari est encore vif, douloureux et difficile pour elle à supporter, peut-être encore plus que pour lui. Les membres de la famille disent qu’elle se recroqueville de peur à chaque fois qu’on rappelle les horreurs de cette nuit. Ils habitent dans une maison bien entretenue de la ville de Dawha près de Bethléem.
Ce mercredi-là, Munzer a été réveillé vers 4 h 45 du matin par le bruit de pas dans la maison. Il a réveillé sa femme. Il a pensé que peut-être ses fils déambulaient dans l’obscurité.
Sa femme a ouvert les yeux et a crié. Il n’a pas compris ce qui se passait. Ils ont d’abord pensé que des cambrioleurs étaient entrés par effraction. Mais Iman a vu des ombres qui étaient entrées dans leur chambre, tandis que des faisceaux laser rouges traversaient l’obscurité en direction de leur lit.
Les spectres se déplaçaient sans bruit. Par la suite il devait apparaître que les soldats avaient fait tomber la porte sans faire de bruit. Au bout d’un moment, Iman a réalisé que les intrus étaient des soldats. Ils étaient masqués, à cinq ou six dans la chambre à coucher, pointant leur fusil sur le couple. Davantage de soldats attendaient à l’extérieur.
Iman s’est levée du lit, ses cheveux exposés à la vue des hommes qui avaient envahi sa chambre – un sujet très sensible pour eux, auquel Munzer fait douloureusement allusion. Un soldat s’est approché du lit et sans un mot a donné un coup de poing à Munzer au visage. Munzer est persuadé que l’agresseur portait un poing américain. Il a commencé à saigner au visage, avec une grande quantité de sang lui coulant du nez, ainsi que de ses blessures aux mains, par lesquelles en fin de compte il ne réussissait pas à se protéger le visage. Bien sûr, il ne voyait rien.

- La ville de Dawha en Cisjordanie, près de Bethléem. Alex Levac
Iman, debout près du lit, s’est mise à crier, mais les soldats l’ont empêchée de défendre son mari. Elle a essayé d’expliquer qu’il était aveugle et malade, mais cela n’a servi à rien. Aucun des soldats probablement ne comprenait l’arabe. Le soldat tenait d’une main la tête de Munzer et le frappait sans relâche de l’autre main, dit-elle. Les autres ne faisaient que se tenir là. Les coups ont continué pendant au moins cinq minutes.
Une lampe dans la salle de bains répandait un peu de lumière dans la chambre. Dehors, il faisait encore sombre, et les soldats n’avaient pas allumé les lumières à l’intérieur. C’est peut-être pourquoi ils n’ont pas remarqué que la personne victime de violences était sans défense, aveugle et malade. Munzer a demandé aux soldats qui ils étaient. Il n’a pas eu de réponse. Iman leur a dit qu’elle voulait parler à l’officier responsable. Aucun n’a répondu. Enfin, les coups ont cessé.
Iman a aidé Munzer à s’asseoir dans le lit. Il lui a demandé où étaient les enfants. Puis elle l’a aidé à se lever et l’a mené vers une chaise dans la chambre. D’abord les soldats ne voulaient pas autoriser Munzer, au visage taché de sang, à s’asseoir. Ils ne lui ont pas demander de s’identifier et n’ont pas dit qui ils cherchaient.
Avant ceci, son fis aîné, Talal, s’était réveillé et avait entendu ses parents crier qu’il y avait des cambrioleurs dans la maison. Ensuite, depuis la porte il a vu son père en sang. Ses frères aussi se sont réveillés. Les soldats ont refusé de les laisser entrer dans la chambre de leurs parents et leur ont ordonné de lever les mains. Un des fils a été pris de vertiges et est tombé au sol.
Les soldats étaient dans la maison depuis environ 20 minutes. Ils n’ont rien cherché. Aucun d’entre eux n’a songé à proposer des soins médicaux à Munzer blessé. Munzer déclare que la pire des choses est qu’une personne aveugle ne sait pas quand le prochain coup arrive.
Pourquoi l’ont-ils frappé ?
« Vous ne savez pas pourquoi ? » nous demande sa soeur Maysoun, un sourire amer sur les lèvres. « J’ai peur de parler parce que vous êtes juifs. Ils nous frappent tous. L’occupant nous frappe tous. Nous sommes sous occupation. Ce n’est pas la première fois qu’ils frappent quelqu’un sans raison, et ce n’est pas la dernière. Ce qu’il y a de nouveau cette fois-ci, c’est qu’ils frappent une personne aveugle. »
Un des garçons suggère une explication différente : peut-être ont-ils frappé son père parce qu’il a une barbe ? C’est vrai, pas une barbe complète, mais tout de même une petite barbe qui éveille le soupçon.

- Munzer Mizhar avec sa femme, Iman, et sa soeur, à la maison dans la ville de Dawha en Cisjordanie. Alex Levac
Maysoun est inquiète du fait que maintenant son frère ne sera pas autorisé à aller en juin en Jordanie pour ses soins médicaux habituels. Nous avons cherché à la rassurer – après tout, il n’a rien fait.
Dans tous les cas, pour revenir à ce mercredi matin, les soldats ont ordonné aux quatre garçons de se mettre à genoux, le visage appuyé sur le sol, et de ne pas bouger. Puis ils ont quitté la maison.
Munger a été emmené à l’Hôpital Hussein à Beit Jala. Depuis l’incident, il éprouve des douleurs à la mâchoire et a du mal à manger des aliments solides. Le voir couché totalement sans défense sur le canapé, essayant de trouver une position confortable, les restes de ses pieds bandés, fermant de temps à autre les yeux, laisse à comprendre ce que les soldats ont fabriqué.
Le lendemain la famille a appris que les soldats avaient cherché Fadi Hilweh, 20 ans, qui est recherché par l’armée et le service de sécurité du Shin Bet, bien que la raison n’en soit pas claire. Il habite à l’étage au-dessus. Les soldats y sont d’abord allés, et lorsqu’ils ne l’ont pas trouvé, un agent du Shin Bet, connu sous le nom « Capit. Nidal », a ordonné à la mère d’Hilweh de contacter celui-ci et de le faire venir à la maison.
Pendant ce temps, les soldats ont descendu les escaliers pour aller chez les Mizhar. Les voisins disent qu’eux aussi ont averti les soldats que Munzer était aveugle et malade, mais aucun n’y a prêté intérêt. Munzer veut savoir pourquoi ils n’ont pas frappé à la porte au lieu de faire irruption dans la maison. Il aurait ouvert la porte et ils auraient pu voir par eux-mêmes que Hilweh n’était pas là.
Finalement Hilweh est venu à la maison et a été arrêté. Les soldats ont-ils pensé que Munzer était la personne recherchée, pour qu’ils l’aient battu ? Même dans l’obscurité, personne ne pouvait confondre un homme aveugle et malade de 47 ans avec quelqu’un âgé de 20 ans. « Peut-être qu’ils ont pensé (que l’homme recherché) c’était Munzer, et peut-être qu’ils ne sont que des criminels violents, » a déclaré Maysoun. Musa Abu Hashhash, chercheur de terrain pour le compte de B’Tselem, association de défense des droits de l’homme, dit calmement, « c’est le cas le plus choquant dont j’ai jamais été informé. »
Le Bureau du Porte-parole des FDI [1] a fait la déclaration suivante à Haaretz : « Au cours d’une opération à Bethléem pour appréhender une personne recherchée, on a reçu l’information selon laquelle la personne recherchée se trouvait à l’intérieur d’un bâtiment particulier, et une fouille y a été entreprise. Pendant la fouille, une Palestinienne a essayé d’empêcher un des combattants d’arriver jusqu’à un Palestinien dans la pièce que le combattant voulait inspecter. Le combattant a essayé de vérifier qui était le Palestinien, qui a réagi en lui agrippant le corps et l’arme, et qui a crié et agi de façon perturbatrice. Le combattant a repoussé le Palestinien agressivement en essayant de le maîtriser, et par conséquent l’homme a été blessé. A ce stade le combattant s’est rendu compte que l’homme était aveugle, qu’il n’était pas la personne recherchée, et il a essayé de le calmer tout en permettant à la femme de l’homme de s’occuper de lui immédiatement. L’incident a fait l’objet d’une enquête et les conclusions appropriées ont été tirées. »
Iman se trouve depuis cette nuit-là dans un état de dépression et de frayeur continuelle. Les garçons demandent si les soldats reviendront. La famille a ajouté une serrure supplémentaire à la porte d’entrée. Munzer ne peut se concentrer que sur sa maladie et sa douleur. Il se réveille toutes les nuits en s’imaginant qu’il entend des pas dans l’obscurité. Il est certain que les soldats reviennent pour lui donner une autre raclée.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS
(1) FDI : Forces de Défense Israéliennes, en fait l’armée israélienne.
Photo de couverture : Munzer Mizhar chez lui dans la ville de Dawha en Cisjordanie, près de Bethléem. Alex Levac