Difficile d’imaginer qu’il y a encore trois mois, Tair Kaminer se trouvait dans une prison militaire. Cette Israélienne de 20 ans a refusé la conscription et de servir pendant deux ans (trois pour les hommes) dans l’armée israélienne. Pareil pour Omar Saad, assis à côté d’elle à Paris en ce mois d’octobre, et emprisonné au cours de l’année 2014.
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Le choix de Tair Kaminer et d’Omar Saad a été courageux : les deux objecteurs de conscience auraient pu se faire exempter de service militaire en choisissant une option moins compliquée et politique, pour raison médicale ou religieuse (les juifs orthodoxes sont dispensés de service militaire). Mais ils ont voulu faire inscrire leur choix officiellement, et ont pour cela payé un prix élevé : ils ont été incarcérés dans des prisons militaires à plusieurs reprises : six fois pour Tair, pour des durées allant de 20 à 45 jours, sept fois pour Omar, entre 20 jours et un mois à chaque incarcération.
Sans le soutien familial, "je ne suis pas sûre que j’aurais pu survivre"
Tous les deux viennent de familles qui les ont soutenus dans leur choix : Omar est druze, une minorité musulmane dont les hommes sont contraints au service militaire depuis 1956 –ce n’est pas le cas pour les arabes israéliens. Son père avant lui et ses deux frères cadets ont tous refusé. « Nos parents nous ont élevés comme des membres de la nation palestinienne. Nous élever ainsi nous a appris à aimer notre nation et à refuser de participer à l’armée d’une nation qui occupe et qui détruit les maisons de nos frères et sœurs. Avec l’aide de ma famille, cela a permis de créer une campagne internationale qui a beaucoup aidé. »
Tair, elle, vient « d’une famille très à gauche » : « J’ai été élevée dans la critique de l’armée, nous avons des refuzniks dans ma famille, dont mon oncle pendant la guerre contre le Liban en 2012, et son fils a fait deux ans de prison pour les mêmes raisons. J’ai reçu du soutien de la part de la plupart des membres de ma famille. Sans cela, je ne suis pas sure que j’aurais pu survivre. Mais c’est important de savoir que beaucoup de refuznik n’ont pas ce soutien, sont expulsés de chez eux… »
"Si on ne fait rien, la situation risque d’empirer"
Tair Kaminer a reçu sa lettre de conscription après avoir effectué un an de service civique à Sdérot, une ville située près de la bande de Gaza. « Je travaillais auprès d’enfants, et j’ai été marquée par la haine qu’ils avaient en eux. Ils ont vécu toute leur vie en entendant les alarmes dès qu’une roquette était lancée depuis Gaza. Et j’ai pensé aux enfants de Gaza, où la situation est bien plus difficile. C’est une génération de haine et de souffrance. Si on ne fait rien, la situation risque d’empirer. » L’expérience l’a tant marquée que, contrairement à ses amis qui sont comme elles opposés aux colonies, elle a décidé de ne pas entrer dans l’armée.
Depuis, ses amis ont démarré leur service car « ils pensent qu’il n’y a pas d’autre choix ». « Depuis que tout cela a commencé, nous avons tous changé : j’ai choisi de refuser et je suis devenue plus active, consciente, je suis allée en Cisjordanie, j’ai rencontré des Palestiniens. Mes amis sont dans ce système de lavage de cerveau et j’ai l’impression de les avoir vus devenir aveugles à ce qu’ils font. […]Ce dont ils parlent, ce sont les armes, des bombes. Et ils ont 20 ans. C’est ce qui les intéresse. C’est très difficile. »
Un de ses proches, qui occupe un poste administratif, veut partir sur le terrain : « Il croit vraiment qu’il peut protéger les gens comme ça. J’ai compris que pour lui, un terroriste était quelqu’un avec une pierre. C’était dur pour moi de voir sa définition de terroriste. Mais il reste quelqu’un qui veut la paix, une solution. »
"La paix, c’est encore très loin"
Tair et Omar ne comptent pas baisser les bras face à une situation qui semble enlisée entre Israéliens et Palestiniens : « Nous refusons non seulement de servir l’armée, mais aussi de perdre espoir », résume Tair. Mais « la paix, c’est encore très loin », complète Omar : « Vous avez une majorité d’israéliens qui y est opposée, ça a été clair en élisant Netanyahou. La paix dépend de beaucoup de choses. Par exemple, la venue de Mahmoud Abbas aux funérailles de Shimon Peres a été critiquée par beaucoup de Palestiniens dont moi. Mais c’était peut-être sa façon de montrer que la main des Palestiniens est toujours tendue pour la paix. Nous avons toujours voulu la paix. Mais ça n’arrive pas de l’autre côté. Je pense que la paix est une chose très difficile à atteindre dans la situation actuelle. Mais nous ne perdrons jamais espoir. »
Avec ses deux frères Gandhi et Mostafa et sa sœur Tibah, ils forment le Galilee Quartet. Les trois garçons au violon et la jeune femme au violoncelle se produisent à travers le monde –cette semaine, ils ont donné des représentations à Montpellier (le 12 octobre), Nanterre (le 14 octobre) et Nantes (le 15 octobre), à l’invitation de l’Association France Palestine Solidarité.
Omar Saad tente ainsi une approche culturelle vers la paix : « La musique unit tout le monde. Nous avons peut-être une couleur de peau différente, une langue différente, des origines différentes mais lorsque nous écoutons de la musique, il se passe quelque chose, car la musique fait remonter des émotions dans nos esprits et dans nos cœurs, elle connecte tout le monde sans les mots. Elever une génération qui écoute et qui aime la musique, la culture, est un des fondements pour qu’elle puisse écouter les autres et arriver à la paix ».