Le contexte politique récent :
Le monde a assisté, en juillet-août 2006, à une guerre d’Israël contre le Hezbollah et contre le Liban tout entier, en même temps qu’une offensive d’envergure à Gaza, contre le Hamas, mouvement majoritaire au Parlement palestinien.
Au Liban : 12 camps de réfugiés palestiniens, constitués au fil de l’histoire, depuis la guerre israëlo-arabe de 1948-49, dont Chatila (12000 hbts), créé en 1949 et le camp de Wavell (Al Jawil ) dans la vallée de la Beqaa, aux portes de la Syrie.
Le discours politique ressassé :
« Pour sortir de la crise actuelle, il faut des actions décisives, en particulier, la reprise de l’ensemble des financements internationaux de l’autorité palestinienne, le démantèlement du mur d’annexion, le retrait des troupes d’occupation afin d’aller vers la création d’un état palestinien indépendant, dans les frontières de 1967, avec l’application des résolutions de l’ONU (résolution 194 dite du droit au retour ) ».
La mission :
Pendant que l’impérialisme israélien tient en échec les protestations politiques , entendues de toutes parts, il faut, aux réfugiés des camps de Chatila et d’Al Jawil, survivre au quotidien et s’organiser pour sauver ce qui peut et doit l’être de la dignité qui est la leur. C’est pour y contribuer, qu’une mission de l’Association des villes Françaises Jumelées avec les camps de réfugiés Palestiniens (AJPF), s’est rendue à Beyrouth, les 23, 24, 25 et 26 mars. Cette mission rassemblait des élus bretons de Brest, Morlaix, Quimper et Hennebont ainsi que des représentants de la ville de Bagnolet, déjà engagée dans un travail de soutien technique aux réfugiés de Chatila.
Basés à Beyrouth, encore marquée par les convulsions de la guerre récente, nous étions dix, conduits par la très compétente Mirvat Abou-Khalil, de l’ONU/ Liban : programme chargé qui nous a d’abord amenés à rencontrer diverses personnalités attachées à la cause palestinienne (écrivain, journaliste) ainsi que le maire d’un arrondissement de Beyrouth, membre du Hezbollah : visite obligée. Puis constat des dégâts occasionnés par les bombes israéliennes en tout genre : siège du Hezbollah rayé de la carte, soit un quartier, comme une immense clairière dans l’espace urbain de Beyrouth-sud : désolation tenace et absurde d’une guerre scélérate, cependant que la vie des affaires grouille comme des fourmis entêtées sur les décombres baignés d’une lumière crue et aveuglante. Partout, des hommes vêtus de noir, armés, massifs, sur le qui-vive. Auto mitrailleuses aux carrefours, comme d’étranges verrues vertes.
- Beyrouth, 15 juillet 2006
Bientôt, Chatila, quartier Sud de Beyrouth, quartier interdit, crasseux, noir de lumière et de misère noire : hommes en charpies, blessures laides, irrémédiables, mômes égaillés peuplant les ruelles de leurs guerres enfantines, sans meurtres.. Pauvreté sans nom aux portes de la glorieuse et opulente capitale, ronflante de ses BMW, américaines et autres 4.x 4. 12000 âmes tentent, ici, depuis 1948, de survivre, dans un espace restreint, une peau de chagrin (interdiction de s’étendre) : on construit en hauteur avec les moyens du bord, pour loger les familles, vite à l’étroit. Ce qui fait, ici, office de ciel, est sillonné et obscurci de fils électriques, de réseaux, installés de bric et de broc, d’une façade à l’autre, crachant sur les têtes leurs étincelles et leurs arcs meurtriers, à la moindre pluie, la moindre goutte : EDF au Liban, quand tu les tiens...Ruelles sombres dans le bain de lumière environnant, vite inondées et insalubres, quand l’eau du ciel s’en mêle. Ici, 70 métiers sont interdits aux réfugiés. Les poubelles débordent...
- Chatila, en 2000
On nous accueille : à bras ouverts, chaleureusement. Embrassades. Nous apportons nos subventions, nos messages de paix, nos promesses de soutien. La ville de Brest aura versé une subvention de 5000 euros, destinés à la scolarisation des gosses, pour qu’ils ne jouent plus à la guerre...et se construisent un véritable avenir, si les hommes le veulent bien. On mange sur les terrasses hautes : discours, congratulations, hospitalité des gens du sud, mezzé du Liban, fruits, coca du Nord comme un luxe mimétique (une aliénation de plus...). Emotions multiples.
- Chatila
Retour aux ruelles et découverte d’une salle blanchie à la chaux, au croisement de deux voies : nécropole où sommeillent définitivement 500 victimes de la guerre des camps, tant il est vrai que lorsque tout manque, il ne reste parfois plus qu’à s’entretuer, dans un élan ultime de sauvagerie suicidaire. Loi redoutable de la kalashnikov, quand la démocratie s’est tue, ou dérobée. Au sortir de l’ombre, les murs des rues exhibent des graffitis qui miment les esthétiques occidentales. Art de la rue, que signe une étrange et insistante« clé ». Référence au droit au retour, chacun ayant fui, riche de ce seul trésor comme une promesse de retrouver le foyer abandonné : allusion à la directive 194 de l’ONU qui promet ce qu’elle n’a jamais tenu. Nous rencontrerons l’artiste, pacifié, engagé, désormais dans un programme d’études qui le conduit à apprendre la langue française et à transmettre son art aux enfants de Bagnolet, invité régulièrement par cette municipalité communiste.
Nous irons encore plus loin, passée la montagne, dans la vallée de la Beqaa : là, les choses sont plus fraîches - comme la température - et se déroulent plus tranquillement, la démocratie et la tolérance sont mieux écoutées. Les différentes factions politiques s’entendent de manière constructive, et le Hezbollah porte le masque de l’ange pour le bien provisoire mais objectivement constatable. Le camp d’al Jawil s’enorgueillit de son collège, de ses nombreuses classes, de ses élèves assidus, qui touchent parfois du doigt la réussite scolaire, de ses multiples ordinateurs - financés parl’UNWRA - sans connexions internet : isolement dans la montagne éloignée. Le Cheikh est un homme jovial et accueillant, plein d’humour et de vie.
A « Al Jawil », 7600 hommes, femmes et enfants vivent entassés, relativement pacifiquement, sous des plafonds bas, parqués dans les alvéoles d’une ancienne caserne, sans lumière, sans facilité d’hygiène, ni commodités. Il y fait relativement bon survivre, et lorsque les bombes israéliennes sont tombées, elles visaient l’importante station d’essence qui s’adossait au mur du camp : elle n’existe plus. Allah ouh akbar !
Deux certitudes : si le Hezbollah porte le sourire de l’ange humanitaire, il semble bien être l’interlocuteur incontournable, pour toute entreprise de soutien portée aux Palestiniens des camps. Enfin, on ne réfléchit bien à la démocratie, on ne met bien en œuvre une rationalité politique apaisée qu’à la condition d’avoir le ventre plein et de vivre dans des conditions sanitaires qui restaurent la dignité minimale dont tout individu a besoin pour pouvoir se souvenir qu’il est porteur, au même titre que tous, de civilisation, loin de la sauvagerie et des crachats des kalashnikov.
Le politique doit s’en convaincre et le PCF utilise déjà ces voies pour porter un premier message de paix, pour vivre ensemble, enfin. La Ville de Brest veut y réfléchir.
Gaëtan LE GUERN
Elu communiste
Adjoint délégué aux affaires culturelles
Membre de la mission au Liban