5 novembre 2010
Chatila, jour 1
Au lendemain d’un long voyage, l’envie est forte de mettre enfin le pied à Chatila, ce camp de réfugiés palestiniens tristement célèbre, installé au coeur de Beyrouth, à un jet de pierre d’un quartier cossu qui abrite des ambassades et autres organismes internationaux. Le contraste est saisissant.
Notre compagnon Hussein nous mène tout d’abord vers le bureau du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), né d’une scission au sein du Front populaire pour la libération de la Palestine. Le passage par cet endroit est obligatoire, car la sécurité dans le camp est la responsabilité de la foule d’organisations palestiniennes qui s’y trouvent. Toutes les sensibilités palestiniennes sont d’ailleurs représentées à Chatila. Un jeune homme, près de la vingtaine, est à l’accueil, un kalachnikov en main. Après les salutations et les présentations d’usage, Khaled Abou Nour, chef local du FDLP et membre de l’Instance populaire et démocratique – qui gère les affaires courantes du camp - nous rejoint et nous invite aussitôt à son bureau.
Un long exposé de la situation dans le camp s’ensuit. Khaled Abou Nour, qui garde encore une cicatrice au front depuis sa participation à la Guerre des Six Jours, nous brosse un tableau noir de la situation à Chatila. Ce camp, nous dit-il, est le pire au Liban pour ce qui est du nombre de réfugiés malades, en raison des mauvaises conditions sanitaires. « Beaucoup de gens ici souffrent d’asthme, de diabète, de maladies cardiaques et d’autres maux à cause de l’eau polluée, du fort taux d’humidité et du cloisonnement des maisons, qui laisse pénétrer peu d’air et de soleil », explique-t-il.
Khaled Abou Nour s’est plaint aussi de « l’ostracisme » dont sont victimes, selon lui, les réfugiés palestiniens, privés de la citoyenneté libanaise et de tous les droits civiques, en dépit de leur présence au pays du Cèdre depuis plus de 60 ans. Ils n’ont pas droit non plus aux services publics libanais, comme les soins de santé et l’éducation, qui sont payants pour les Palestiniens, donc inaccessibles pour la plupart d’entre eux.
Dans les dédales de Chatila
Un tour dans le camp s’impose. Aux premiers pas, sur l’artère principale, une ribambelle d’enfants enjoués et curieux nous accoste pour nous demander, qui notre nom, qui notre provenance. Puis, on s’engouffre dans les entrailles de Chatila. Le camp est serpenté par des ruelles étroites ponctuées par de modestes échoppes. L’ambiance est bon enfant et les venelles grouillent de monde, mais surtout de motos, qui, avec leurs klaxons et leur va-et-vient incessant, ajoutent à l’agitation ambiante. On se rend compte immédiatement de la forte densité démographique dans ce camp d’un kilomètre carré où vivent plus de 12 000 personnes.
Plus on s’enfonce dans les dédales de Chatila, plus on prend la mesure de la misère qui y règne. Le camp est un fouillis d’habitations anarchiques agglutinées les unes aux autres. L’espace étant rare à Chatila, les familles, en grossissant, n’ont d’autre choix que de procéder à des extensions verticales de leur maison, souvent en faisant fi des normes de construction. Telles des guirlandes sauvages, les fils électriques des bicoques s’entremêlent dans un enchevêtrement inextricable. Difficile de croire que cet écheveau de câbles éclaire les nombreux logements. Khaled nous apprend que l’électricité au camp de Chatila est une denrée rarissime. « Il nous arrive fréquemment d’avoir du courant pendant seulement 15 minutes dans la journée, en hiver et en été », nous explique-t-il.
Presque partout où nous passons, les gens nous demandent d’où nous sommes. « Canada ? C’est OK, mais la France ou les États-Unis, non ! », nous lance sèchement un jeune Palestinien. Certains en profitent pour se renseigner auprès de nous sur les possibilités de s’installer au Canada comme réfugiés. Beaucoup de personnes que nous avons croisées ont refusé d’être prises en photo. Elles sont vraisemblablement désabusées par les délégations de journalistes et d’officiels qui ont défilé à Chatila, sans que cela améliore significativement leur sort.
Après un passage au monument dédié aux victimes du massacre de Sabra et Chatila, en 1982, nous terminons notre première visite du camp au centre de jeunes. Dans la cour de l’édifice, des garçons tourbillonnent autour d’un ballon de soccer. Alertés par des enfants plus jeunes venus à notre rencontre pour se faire photographier, ils se joignent au petit groupe pour offrir à notre appareil photo leurs plus belles prouesses sportives. Nous venons peut-être d’immortaliser les talonnades d’un Zidane en herbe, mais aura-t-il la chance de faire valoir son talent en dehors des sentiers tortueux du camp ?