On se posait déjà la question : au milieu de la tempête des révolutions arabes, le conflit israélo-palestinien va-t-il évoluer ? Depuis dimanche, on peut se poser une autre question : quel effet la mort de Ben Laden peut-elle avoir pour Israël et pour la Palestine ? À la première, il semblait impossible d’imaginer une réponse négative. Mais dans quel sens le vent de la contestation arabe allait-il pousser le curseur ? En quarante-huit heures, les 27 et 29 avril, un début de réponse a été apporté par deux événements de grande importance. Le 27 avril, au Caire, Azzam al-Ahmad, pour le Fatah, et Moussa Abou Marzouk, numéro deux du bureau politique du Hamas, ont paraphé un protocole d’accord marquant la réconciliation interpalestinienne presque quatre ans après les affrontements de juin 2007, à Gaza. Ce mercredi, également au Caire, une cérémonie devait consacrer ces retrouvailles, en présence de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, et Khaled Mechaal, le chef du Hamas en exil à Damas. Toutes les composantes du mouvement palestinien, Front populaire et Front démocratique de la libération de la Palestine, et Jihad islamique, devraient être présentes, ainsi que le secrétaire de la Ligue arabe, Amr Moussa, et le nouveau ministre égyptien des Affaires étrangères, Nabil al-Arabi.
Ce rapprochement surprise peut être interprété comme la conséquence d’un changement d’attitude de la diplomatie égyptienne, très hostile sous Moubarak à une réconciliation dont Israël ne voulait à aucun prix. On sait que l’ancien président égyptien, chassé du pouvoir le 11 février par le mouvement de contestation, était sous influence israélo-américaine. Par ailleurs, le soulèvement populaire qui, en dépit d’une sauvage répression, ne cesse de s’amplifier en Syrie, a pu convaincre le Hamas de repenser sa stratégie. Le mouvement islamiste est en effet soutenu par le régime de Bachar al-Assad, dont l’avenir est désormais incertain. Le Fatah et le Hamas se sont mis d’accord pour former un gouvernement d’union composé surtout de personnalités indépendantes. Ce qui va permettre à Mahmoud Abbas de redevenir le président « de tous les Palestiniens », et d’organiser des élections présidentielle et législatives d’ici un an. Ce qui va permettre aussi à l’Autorité palestinienne de solliciter au nom d’une Palestine unie la reconnaissance d’un État palestinien auprès des pays membres des Nations unies. Cette démarche devant aboutir à une proclamation unilatérale au mois d’octobre. Autant dire que cette réconciliation est violemment dénoncée par Israël. Le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, a aussitôt sommé Mahmoud Abbas de « choisir entre la paix avec Israël et la paix avec le Hamas ». Le mouvement islamiste, qui ne reconnaît toujours pas explicitement Israël, est considéré comme « terroriste » par l’État hébreu, les États-Unis et l’Union européenne. La présidence palestinienne a aussitôt rétorqué qu’il revenait à M. Netanyahou de « choisir entre la paix et la colonisation ». La position diplomatique d’Israël s’est d’autant plus affaiblie que pendant ces quatre années où l’Autorité palestinienne avait privilégié le dialogue avec Israël aucune négociation sérieuse ne lui a été proposée, et la colonisation de la Cisjordanie s’est intensifiée. Le Hamas, de son côté, considère toujours que la reconnaissance d’Israël ne pourra être concédée qu’en échange d’une reconnaissance par Israël d’un État palestinien.
Le deuxième événement survenu en 48 heures est directement la conséquence des bouleversements intervenus en Égypte. Le nouveau gouvernement a annoncé le 29 avril qu’il allait « prendre des mesures importantes pour aider à alléger le blocus » qu’Israël impose à la population de Gaza depuis juin 2006. Le ministre des Affaires étrangères, Nabil al-Arabi, a annoncé que son pays n’accepterait plus que le terminal frontalier de Rafah, le seul qui ne soit pas sous contrôle israélien, reste bloqué. En fait, l’étau s’était déjà desserré à l’initiative égyptienne depuis plusieurs jours. Le gouvernement d’extrême droite israélien comprend qu’il va devoir composer avec une nouvelle donne diplomatique. Même si l’Égypte avait affirmé, au lendemain de la chute de Moubarak, que le traité de paix avec Israël ne serait pas remis en cause, le temps de la complicité active semble en tout cas révolu. Certes, les révolutions n’ont pas fait entendre de slogans hostiles à Israël – il n’y a que Bernard-Henri Lévy pour s’en étonner –, mais la question palestinienne reste toujours très vivante dans la conscience des peuples arabes. Reste à savoir comment Israël, qui ne voit pas non plus d’un bon œil la déstabilisation d’un régime syrien pourtant officiellement honni, peut réagir dans une situation qui lui échappe en partie. Une nouvelle offensive militaire contre Gaza n’est hélas pas à exclure. Quant à la mort de Ben Laden, elle peut inciter le président américain, renforcé sur la scène intérieure, à une nouvelle offensive en direction d’Israël. Pas sûr, toutefois, qu’après ses premières déconvenues Obama n’attende pas le début d’un possible second mandat. Dans le meilleur des cas.