Ses partisans inconditionnels – un pitoyable ramassis de rois de casinos et de sionistes de droite impuissants – étaient assis dans les tribunes et une abondante délégation israélienne siégeait dans la salle, mais ils ne faisaient que souligner le vide général. Déprimant.
Quelle différence avec l’accueil du président Hassan Rouhani ! La salle était alors comble, le Secrétaire général et les autres dignitaires bondirent de leurs sièges pour le féliciter à la fin de son intervention, les médias internationaux ne pouvaient s’en lasser.
La mésaventure de Nétanyahou était largement imputable la malchance. C’était la fin de la session, chacun avait hâte de rentrer chez lui ou d’aller faire quelques achats, personne n’était d’humeur à entendre un autre exposé de l’histoire juive. Trop c’est trop.
Pire, le discours était totalement éclipsé par un événement sidérant – le “shutdown” du gouvernement fédéral. L’effondrement du célèbre système de gouvernement des États-Unis – quelque chose comme un 11 septembre administratif – fut un spectacle fascinant. Nétanyahou – Nétanya qui ? – ne faisait tout simplement pas le poids.
PEUT-ÊTRE y avait-il aussi un tout petit peu de joie maligne dans la réaction des délégués à l’égard de notre Premier ministre.
Lors de son discours de l’an dernier devant l’Assemblée Générale il avait joué le rôle de l’instituteur du monde, faisant usage à la tribune d’outils pédagogiques primitifs, soulignant à l’encre rouge une présentation sommaire de la Bombe.
Cela fait maintenant des semaines que la propagande israélienne dit aux dirigeants du monde qu’ils sont d’une naïveté enfantine ou tout simplement idiots. Peut-être n’ont-ils pas apprécié de se l’entendre dire. Peut-être ont-ils été confortés dans leur conviction que le Israéliens (ou pire, les juifs) sont insupportables, condescendants et paternalistes. Peut-être était-ce simplement le discours arrogant de trop.
Tout ceci est fort triste. Triste pour Nétanyahou. Il s’est tellement investi dans ce discours. Pour lui, un discours devant l’Assemblée Générale (ou le Congrès des États-Unis) est comparable à une grande bataille pour un grand général, un événement historique. Il vit de discours en discours, pesant à l’avance chaque phrase, recourant inlassablement au langage du corps, modulant sa voix, en acteur accompli qu’il est.
Et il était là, le grand shakespearien, déclamant “Être ou ne pas être”devant une salle vide, grossièrement dérangé par les ronflements du seul gentleman au second rang.
AURIONS-NOUS pu avoir une forme de propagande moins ennuyeuse ?
Bien entendu.
Avant de poser le pied sur le sol américain, Nétanyahou savait que le monde poussait un soupir de soulagement devant les signes de la nouvelle position iranienne. Bien qu’il ait pu avoir la conviction que les ayatollahs mentaient (comme à leur habitude, dirait-il), était-il sage d’apparaître comme l’éternel rabat-joie ?
Il aurait pu dire : “Nous apprécions les nouveaux propos qui nous viennent de Téhéran. Nous avons écouté avec beaucoup de sympathie le discours de monsieur Rouhani. Avec le monde entier représenté par cette auguste assemblée, nous espérons très fort que la direction iranienne est sincère, et que des négociations sérieuses vont permettre de trouver une solution juste et efficace.
Cependant, nous ne pouvons par ignorer la possibilité que cette offensive de charme ne soit qu’un rideau de fumée derrière lequel les ennemis internes de monsieur Rouhani poursuivent la construction de la bombe atomique qui est une menace pour nous tous. C’est pourquoi nous souhaitons que nous agissions tous avec la plus grande prudence dans la conduite des négociations…”
Ce sont les notes qui font la musique.
AU LIEU DE CELA, NOTRE Premier ministre a de nouveau brandi la menace – et de façon plus nette que jamais – d’une attaque israélienne de l’Iran.
Il a brandi un révolver qui, chacun le sait, n’est pas chargé.
Cette possibilité – comme je l’ai maintes fois répété – n’a jamais existé en réalité. La géographie, le contexte économique et politique rendent une attaque de l’Iran impossible.
Mais même si cette possibilité a été réelle à une certaine époque – elle est absolument hors de question aujourd’hui. Le monde y est opposé. L’opinion publique des États-Unis y est absolument opposée.
Une attaque conduite par Israël seul, malgré une opposition déterminée des Américains, est aussi probable qu’une colonie israélienne sur la lune. Légèrement invraisemblable.
Je ne sais rien de la faisabilité militaire. Pourrait-on le faire ? Notre armée de l’air pourrait-elle le faire sans l’aide et le soutien des États-Unis ? Même si la réponse était positive, le contexte politique l’interdit. Et même, nos chefs militaires semblent accorder vraiment peu d’intérêt à une telle aventure.
LE SOMMET du discours a été la déclaration grandiloquente de Nétanyahou : “si nous devons rester seul, nous resterons seuls !”
Que cela me rappelle-t-il ? Fin 1940 on a vu apparaître en Palestine – et, je suppose, dans l’ensemble de l’Empire britannique – une superbe affiche de propagande. La France était tombée, Hitler n’avait pas encore envahi l’Union soviétique, les États-Unis étaient encore loin d’intervenir. L’affiche montrait Winston Churchill, inébranlable, avec un slogan “Eh bien désormais, seuls !”
Nétanyahou ne pouvait pas se souvenir de cela, encore que ses souvenirs semblent remonter avant sa naissance. J’appelle cela “Alzheimer à l’envers” – le souvenir précis de choses qui ne se sont jamais produites. (Il lui est arrivé de raconter en détail comment il avait eu, enfant, une discussion avec un soldat britannique dans les rues de Jérusalem – bien que le dernier soldat britannique ait quitté le pays plus d’un an avant sa naissance.)
La phrase que cherchait Nétanyahou date de 1896 – l’année où Théodore Herzel a publié son important ouvrage “Der Judenstaat”. Un homme d’État britannique inventa le slogan “Splendide isolement” pour caractériser la politique britannique sous Benjamin Disraeli et son successeur.
En réalité, le slogan venait du Canada, où un homme politique avait parlé de l’isolement de la Grande Bretagne pendant les guerres napoléoniennes : “Jamais l’“Ile Empire” n’était apparue d’une grandeur si magnifique – elle tenait debout par elle-même et il y avait une splendeur particulière dans la solitude de sa gloire !”
Nétanyahou se voit-il comme la réincarnation de Winston Churchill, debout, fier et déterminé contre un continent englouti par les Nazis ?
Et où cela place-t-il Barak Obama ?
NOUS SAVONS où. Nétanyahou et ses partisans nous le rappellent en permanence
Obama est le Neville Chamberlain moderne.
Chamberlain le pacifique. L’homme qui brandissait une feuille de papier à l’automne de 1938 en proclamant “La paix pour notre temps”. L’homme d’État qui amena son pays au bord de la destruction.
Avec cette présentation de l’histoire, nous assistons actuellement au second Munich. Une répétition de l’accord honteux entre Adolf Hitler, Benito Mussolini, Édouard Daladier et Neville Chamberlain, selon lequel le territoire des Sudètes, province de Tchécoslovaquie bien qu’habitée par des Allemands, était transféré à l’Allemagne nazie, laissant la petite Tchécoslovaquie démocratique sans défense. Une demie-année plus tard, Hitler envahissait et occupait la Tchécoslovaquie. Encore quelques mois et la seconde guerre mondiale éclatait lorsqu’il entra en Pologne.
Les analogies historiques sont toujours dangereuses, spécialement entre les mains d’hommes politiques et de commentateurs qui n’ont qu’un savoir historique superficiel.
Examinons la question de Munich. Dans l’analogie, la place d’Hitler est occupée par Ali Khamenei ou peut-être Hassan Rouhani. Vraiment ? Disposent-ils de la plus forte machine de guerre du monde, comme celle qu’avait déjà Hitler à l’époque ?
Et Nétanyahou lui-même ressemble-t-il à Edouard Benes, le président tchèque qui tremblait devant Hitler ?
Et le président Obama ressemble-t-il à Chamberlain, le dirigeant d’une Grande Bretagne affaiblie et pratiquement sans défense, ayant désespérément besoin de temps pour réarmer ? Obama s’incline-t-il devant un dictateur fanatique ?
Ou bien est-ce l’Iran qui renonce – ou prétend renoncer – à ses ambitions nucléaires, mis à genoux par le rigoureux ensemble de sanctions internationales dictées par les Américains ?
(À ce propos, l’analogie avec Munich était encore plus absurde lorsqu’elle a été récemment appliquée en Israël à l’accord américano-russe sur la Syrie. Là, Bashar al-Assad tenait le rôle d’Hitler victorieux, et Obama était l’Anglais naïf au parapluie. Pourtant c’était Assad qui renonçait à ses précieuses armes chimiques, alors qu’Obama ne donnait rien, sauf l’ajournement d’une action militaire. Quelle sorte de “Munich” était-ce là ?)
EN REVENANT à la réalité : il n’y a rien de splendide dans l’isolement d’Israël ces temps-ci.
Notre isolement signifie faiblesse, perte de pouvoir, moins de sécurité.
C’est le travail d’un homme d’État de trouver des alliés, de monter des partenariats, de renforcer la position internationale de son pays.
Nétanyahou s’est mis dernièrement à citer nos anciens sages : “Si je ne suis pas pour moi, qui est pour moi ?”
Il oublie la suite de la phrase : “Et si je suis pour moi-même, que suis-je ?”